Le système d’enseignement de la Communauté française de Belgique est souvent épinglé comme un système fortement inégalitaire. Comment peut-on comprendre les origines des inégalités scolaires ? L’éducation comparée apporte une réponse à ce type de questionnement en comparant les structures scolaires de différents pays et en essayant de rapporter les différences observées à des variations dans les performances scolaires des pays étudiés.
À ce propos, plusieurs études centrées sur la question de l’égalité dans les systèmes scolaires ont attiré l’attention sur le fait que les systèmes scolaires de type intégré sont globalement plus égalitaires (et souvent plus efficaces) que les systèmes scolaires de type différencié. Qu’entend-on par là ? Un système scolaire intégré se caractérise par une structure commune à tous les élèves (sans filières) sur une longue durée, un nombre de cours à options très limité au sein de cette structure commune et un recours faible ou inexistant au redoublement. Il s’agit donc de systèmes scolaires qui, de manière structurelle, refusent le plus longtemps possible de séparer les élèves en fonction de leurs performances. Autrement dit, il s’agit de laisser suffisamment de temps à l’école pour aller contre les différences de ressources culturelles des familles et apporter à chaque élève des chances réelles de réussite avant d’opérer toute forme de sélection. À l’opposé, on parle d’enseignement différencié pour évoquer des systèmes scolaires avec des filières organisées de manière précoce, un recours important aux orientations, aux options et au redoublement comme outils de gestion des parcours scolaires.
Aux deux extrémités de cet axe enseignement intégré versus enseignement différencié, il est assez aisé de placer d’une part les pays scandinaves, avec une structure unique pour tous les élèves jusque 16 ans et généralement une promotion automatique des élèves entre les années d’étude, et d’autre part l’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg, la Suisse et les Pays-Bas, avec un système de différenciation précoce des parcours des élèves. La plupart des systèmes scolaires des autres pays européens pourraient être positionnés dans un troisième groupe, au centre de cet axe.
Une critique peut toutefois être formulée à l’encontre de cette analyse. Celle-ci consiste à dire que les systèmes scolaires apparaissant comme les plus égalitaires ne sont pas seulement des systèmes d’enseignement intégré, mais sont aussi les systèmes scolaires des pays plus soucieux que les autres de l’égalité entre les personnes. On ne peut en effet pas ignorer que ce sont classiquement les pays scandinaves qui apparaissent comme le prototype d’une logique d’intégration. Dès lors, la question suivante mérite d’être posée : dans quelle mesure le caractère égalitaire de ces systèmes scolaires repose-t-il sur un effet école, attribuable en partie à la structure du système, ou plutôt sur un effet société, attribuable aux caractéristiques sociales et politiques de ces pays ?
Deux hypothèses explicatives des différences d’égalité entre les systèmes scolaires européens sont donc mises en concurrence pour rendre compte des inégalités scolaires. La première considère qu’il s’agit fondamentalement d’un effet société et que l’égalité à l’école s’explique par l’égalité dans la société. La seconde hypothèse considère que c’est un effet lié à la structure de l’école et en particulier à la position de ces pays sur l’axe enseignement intégré versus enseignement différencié.
Afin d’arbitrer entre ces deux hypothèses, nous avons mené deux analyses[1]Dupriez V. et Dumay X., L’égalité dans les systèmes scolaires : effet école ou effet société, Les Cahiers de recherche en éducation et en formation 04/031, GIRSEF . Une première analyse consistait à mettre en relation un indicateur des inégalités de revenus dans les pays considérés avec un indicateur d’inégalité des chances à l’école, construit à partir des données collectées par Pisa 2000 en compréhension à la lecture. De manière assez claire, il ressort de cette analyse, que la relation entre les deux paramètres est extrêmement faible et non significative. Il apparaît dès lors, qu’à l’échelle de l’Union européenne en tout cas, une mesure de l’inégalité de revenus n’est pas associée à l’état des inégalités scolaires, discréditant ainsi l’hypothèse d’un effet société.
Une deuxième analyse s’intéressait non pas à l’état des inégalités à l’âge de 15 ans, mais principalement à l’état des inégalités présentes dans l’enseignement primaire et à l’écart entre celui-ci et la situation observée à 15 ans. Dans l’hypothèse d’un effet société dominant, on devrait observer, dans les pays scandinaves en particulier, davantage d’égalité dès l’enseignement primaire. Si la structure scolaire est par contre le facteur déterminant de l’état des inégalités, on doit s’attendre à observer dans les systèmes scolaires intégrés une réduction des inégalités entre l’école primaire et l’école secondaire plus forte qu’ailleurs. Deux conceptions de l’inégalité étaient prises en considération dans cette analyse : outre l’inégalité des chances (le lien entre le score de l’élève et les ressources socioculturelles familiales), un indice de l’inégalité de résultats était proposé. Celui-ci correspond à l’écart de scores entre les élèves les plus faibles et les plus forts au sein de chaque pays.
Les résultats de cette analyse permettent de montrer que, d’une part, vers l’âge de 10 ans, les systèmes scolaires scandinaves ne sont pas systématiquement les plus égalitaires. Au contraire, des pays comme la Norvège et l’Islande connaissent à ce stade de la scolarité une inégalité de résultats plus forte que l’Allemagne, les Pays-Bas, la France et l’Italie, par exemple. Outre la caution que ce résultat apporte à l’hypothèse d’un effet école, il permet en outre de rejeter un argument parfois évoqué : le tronc commun long serait possible dans certains pays, car il y aurait dès le départ beaucoup d’homogénéité et d’égalité. Au contraire, nos résultats suggèrent que des pays comme la Norvège et l’Islande, mais aussi l’Angleterre et l’Écosse connaissent au départ une importante inégalité de résultats entre élèves, ont malgré tout mis en place une structure commune de longue durée et parviennent, davantage que les autres pays, à réduire entre 10 et 15 ans l’état des inégalités. Fondamentalement donc, cette analyse indique que si les pays à orientation tardive sont plus égalitaires que les autres, ce n’est pas parce qu’ils l’étaient déjà dès l’enseignement primaire, mais parce que leur mode de fonctionnement leur permet d’atténuer, davantage qu’ailleurs, les inégalités.
Mais, si l’analyse quantitative conforte l’hypothèse d’un effet école, l’effet société existe cependant. Il renvoie au contexte culturel et politique d’une société qui rend souhaitable ou discutable l’adoption d’une structure scolaire. Les difficultés d’adoption en Belgique d’un tronc commun de longue durée et d’un travail en cycles en attestent clairement.
Notes de bas de page
↑1 | Dupriez V. et Dumay X., L’égalité dans les systèmes scolaires : effet école ou effet société, Les Cahiers de recherche en éducation et en formation 04/031, GIRSEF |
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