L’expert

Un atelier informatique Produire en réseau pendant les Rencontres Pédagogiques d’Été. Une vingtaine de personnes. Un programme bien au point. Un horaire serré. On a pensé à tout. Des machines clinquantes. On est connectés. Tout est prêt.

Assurer à chacun une place confortable
Assurer à chacun une place confortable
La première journée, on fait connaissance, on installe la façon de travailler : temps collectifs et temps individuels, temps de détente (chants et jeux coopératifs), temps de démonstrations, temps d’écriture, temps libres, temps d’écoute d’intervenants extérieurs, de spécialistes et temps de parole. Ça bouillonne, ça démarre. Les inquiets n’osent pas encore le dire et les paumés, en silence, se renforcent dans l’idée qu’ils ne sont décidément pas faits pour les ordinateurs.

Le pari est bien là : travailler en groupe hétérogène avec un objectif de production. Produire un site Internet en 6 jours. Et surtout en déclarant qu’il ne faut pas être spécialiste pour participer à l’atelier.

Chaque activité-atelier est présentée avec deux niveaux. En fonction de ce que les participants croient savoir de leurs compétences et de leurs envies, ils choisissent leur côté. Deux groupes donc en parallèle, mais pas toujours les mêmes personnes dans les deux groupes. Un syllabus est distribué, avec les instructions, modes d’emploi pour tous les ateliers, pour chaque niveau : ce qui se fait dans un groupe est ainsi accessible pour les autres participants.

Des brevets doivent ponctuer le travail d’initiation technique. Une épreuve permet de vérifier la compétence acquise et de délivrer ces brevets. Le néo-breveté devenant ainsi personne-ressource pour initier tout qui en aurait envie (ou besoin). Les responsabilités se mettent en place dès le premier jour. Bien obligé ! Une équipe de journalistes doit se constituer pour accueillir notre premier intervenant. Des photographes, intervieweurs, biographes et des scribes ou résumeurs sont désignés. Seuls quelques photographes sont brevetés. Une partie du site est explicitement consacrée à la relation (textes et images) de ces interventions extérieures. Le reste du site se définira en fonction de ce qui se passera. Espaces contraints et espaces libres.

Fin de journée

Vient le premier soir. Henry déclare, dans le temps de régulation de fin de journée, qu’il est très embêté car il a bien lu le programme, épluché le syllabus et trouve que le niveau est fort bas. Il a bien peur qu’il n’apprendra rien et se demande s’il va revenir le lendemain. Il a déjà réalisé un site Internet et se demande quand on va enfin aborder le langage PHP parce qu’on a déjà perdu une journée !

Silence gêné. Je bredouille en demandant un peu de patience et, regardant furtivement Stéphane, mon coéquipier, je dis qu’on va en parler à nous deux et voir ce qu’on peut faire. On s’attendait à des réactions des largués mais pas à devoir régler ce genre de problème. Stéphane relit avec moi le programme et rien à dire, les activités sont conformes à ce qui était annoncé.

Qu’est-ce qu’on fait ? Un peu vexés, malgré notre envie de le laisser se débrouiller (il n’avait qu’à mieux lire le programme), on convient qu’il faut s’en occuper, qu’il faut profiter de ce qui se passe. L’intérêt est qu’il y a demande et que Henry a eu le courage de poser le problème. Deux solutions. Soit il se taille et on peut éventuellement voir avec les organisateurs des RPE si le remboursement d’une partie de ses frais d’inscription est négociable. Soit on négocie avec lui un programme adapté.

On va visiter son site pour voir son « niveau » et le côté statique de celui-ci nous indique qu’on peut lui apprendre à ajouter un peu de mouvement, d’interactivité à son site. On va donc lui proposer de passer deux moments individualisés avec lui le lendemain pour l’initier à l’utilisation d’un programme qui produit des animations et des textes « réactifs ». On va ensuite lui demander de nous aider dans l’accompagnement technique des nombreuses personnes d’autres ateliers qui viennent demander d’utiliser des ressources techniques pour leurs productions. Enfin, on lui demandera, quand le sujet de l’activité s’y prête et qu’il se sent compétent, de pouvoir, grâce à lui, organiser un troisième niveau.

Bon, on prend rendez-vous avec les responsables de l’organisation des Rencontres Pédagogiques d’Été, qui nous demandent une soirée de délai pour pouvoir en discuter : le cas ne s’est jamais présenté et, généralement, les mécontents s’en vont sans demander leur reste. Stéphane et moi rappelons que ce n’est pas sa demande mais que nous essayons de bien définir les espaces de négociation possibles. Rendez-vous donc demain matin pour une réponse claire.

Le lendemain

Le lendemain matin, la responsable des RPE nous informe que la négociation est possible, mais que nous ne devons pas la suggérer, et que, si Henry le demande, nous devons le renvoyer vers l’équipe des RPE. Ce qui était bien notre intention.
Démarrage de l’atelier. Henry est absent. Tour de parole : Stéphane et moi prenons la parole et relatons notre discussion et les propositions que nous aurions faites à Henry s’il avait été là ! Nous soulignons le courage d’Henry qui a eu le culot de prendre de la place si rapidement : les brèches peuvent commencer à s’ouvrir et la structure, pensée et installée en vase clos, peut commencer à se lézarder et être prise d’assaut.

Cela permet à quelques participants de déposer leurs désarrois face aux apprentissages trop rapides, à la masse de choses à emmagasiner, face aux doutes d’avoir choisi le bon atelier, face à leur éternel sentiment d’impuissance devant un mode d’emploi. Stéphane et moi rappelons que les temps de régulation de fin de journée permettent de transformer ces doléances justes et importantes en demandes précises à des personnes précises et dans un horaire précis. Nous ajoutons que nous avons modifié l’horaire du lendemain pour augmenter les temps de réponses possibles à ces demandes.

Henry arrive en milieu de matinée. Problème de voiture. Nous le prenons à part et son accueil enthousiaste à un programme personnalisé et surtout à la perspective de pouvoir être utile nous rassure. On se dira après coup que le co-pilotage d’un groupe est bien rassurant face à ces mécanismes humains et complexes, où on est chaque fois impliqué : va-t-on réussir à leur donner à manger à leur faim, sans les dégouter ? Va-t-on réussir à les rassurer sur leurs possibilités de satisfaire leurs désirs, sans le faire à leur place ?

Le soir et la suite

Le soir, flot de demandes dont plusieurs vers Henry qui définit son planning du lendemain et ses multiples rendez-vous.

Après trois jours, peu de brevets sont passés. Nous supposons que les temps de demandes ont rendu inutile cette formalisation des compétences. Très rapidement, grâce sans doute à Henry, aux lieux et temps institués, modifiables et adaptables, les participants ont utilisé ces ressources pour gérer les nombreuses frustrations engendrées par « On ne sait pas tout faire et être partout en même temps ».

À la fin des 6 jours, Henry déclare « J’ai beaucoup appris, des trucs pour améliorer l’interface de mon site, mais j’ai surtout appris en observant comment gérer un groupe, utiliser les différences, organiser le travail, les horaires, les différents moments. J’ai été très impressionné de voir la solidarité entre les participants et je dois vous avouer que ça fait du bien de se sentir utile. Finalement, l’informatique n’est qu’un prétexte à nous faire réfléchir sur notre façon de faire notre métier ! »
Je ne peux m’empêcher de penser à Yasmine qui après deux jours de classe en 5e primaire se demande ce qu’elle fait là : elle ne pige rien et elle n’a pas l’impression d’être à sa place.

À voir aussi :

http://users.swing.be/RPE2001/atelier/regulation/atelieregulation.html.
http://users.swing.be/RPE2001/participants/productions/emotion.html.