La Fédération Wallonie-Bruxelles va-t-elle s’asseoir sur la Constitution ?

6 juillet 2021

Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, le gouvernement de la FWB devrait bientôt approuver les référentiels concernant les différentes matières à enseigner. Ces référentiels définissent ce qui doit être appris. Ils garantissent l’égalité des acquis de base pour tous. C’est donc une sorte de contrat entre l’école et la société.
Un de ces référentiels est consacré à la Formation historique, géographique, économique et sociale. L’intégration des sciences économiques et sociales dans le cursus scolaire est une nouveauté bienvenue, tant leurs apports, au même titre que d’autres sciences bien sûr, sont nécessaires au « développement d’une citoyenneté ouverte sur le monde ».
Or, ce référentiel, en l’état, nous semble généralement peu ambitieux, parfois imprécis si ce n’est inexact, mais surtout peu actuel. Fruit d’une série de petits compromis, il manque singulièrement de souffle, de projet, de visée. Alors qu’il devrait susciter l’enthousiasme des enseignants et des élèves, il renonce à ce qui devrait en constituer l’âme et le cœur.
Renoncement d’abord à une ambition scientifique. En effet, les sciences humaines observent, interrogent et étudient l’organisation des sociétés d’hier et d’aujourd’hui. Elles procèdent par des démarches d’investigation qui respectent les principes de la démarche scientifique. Ces démarches d’investigation se basent, notamment, sur l’observation, la consultation de documents et de personnes, l’enquête, l’utilisation de représentations existantes. Elles sont méthodiques et rigoureuses. Une structuration et une validation des informations recueillies permettent une synthèse des résultats mise en relation avec le questionnement de départ et une communication des nouveaux savoirs construits est envisagée. A cette ambition méthodologique, le référentiel renonce.
Renoncement à la pensée complexe, au croisement des disciplines, au dialogue des expériences et des expertises. Alors qu’aujourd’hui, pour la gestion de la crise sanitaire, par exemple, c’est dans le croisement des différents points de vue et intérêts particuliers (artistes, restaurateurs, jeunes élèves, personnes âgées…) et des différentes expertises disciplinaires (virologie, épidémiologie, économie, psychologie, …) qu’on tente de répondre au problème, ce référentiel impose, lui, une programmation par discipline qui rend pratiquement impossible une approche concertée des différents objets d’études.
Renoncement aux compétences scientifiques et didactiques disponibles, à l’université et dans les hautes écoles. Renoncement aux échanges et débats entre pairs, ce qui constitue pourtant l’essence même de l’esprit scientifique. En effet, dans le processus de l’élaboration de ce référentiel, le choix des experts consultés s’est avéré très arbitraire et totalement opaque, aucun retour ne leur étant fait de leurs propositions, les voix divergentes ont été ignorées voire exclues sans explications. Ce processus, trop soucieux de respecter certaines susceptibilités a finalement écarté les principales avancées scientifiques actuelles des sciences humaines et sociales. Quelques illustrations.
En histoire, comment encore accepter une conception de l’évolution des sociétés humaines déterministe, téléologique et mécaniste ? L’histoire racontée dans ce référentiel sélectionne les évènements en retenant les étapes qui ont permis d’aboutir aux réalités actuelles. Bien sûr, il faut faire des choix et ne surtout pas viser l’exhaustivité pour les élèves de moins de 15 ans ! Bien sûr, l’élève sera mieux armé pour comprendre le présent s’il étudie le passé ! Mais quand l’histoire est aseptisée, que l’action de l’homme est subordonnée aux découvertes techniques pour raconter la « rencontre entre deux mondes » ou la Révolution industrielle, quand on ne montre pas au jeune que les hommes et les femmes ont eu des choix à effectuer ou que la société n’est pas programmée pour un progrès linéaire et infini, on gomme précisément les aspects du passé qui lui permettraient de prendre un rôle d’acteur.

En géographie, comment encore accepter une vision du territoire dominée par une approche statique, localiste et cédant au déterminisme physique à l’heure d’une Belgique urbanisée, connectée au reste du monde et qui évolue au rythme des décisions prises (ou non) ici mais aussi ailleurs ? Le pas risque d’être vite franchi : laisser sous-entendre que les sociétés n’y sont pour rien. Tout en oubliant les savoirs astronomiques, climatiques et géomorphologiques de base permettant de faire des choix éclairés en matière d’architecture, de politique énergétique, d’aménagement ou encore de gestion des risques.
Pour les disciplines économiques et sociales, comment encore accepter qu’elles soient moins scientifiques que d’autres sciences, qu’elles soient surtout constituées de recommandations (bien vaines d’ailleurs) concernant les manières de consommer ou de tenir son budget, et de proclamations d’égalité de genres ou de principes démocratiques niant une réalité qu’on n’interroge pas et pour laquelle bien peu d’outils intellectuels de compréhension sont proposés ?
Renoncement, enfin, à l’article 7bis de la Constitution : « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations. » En effet, le développement durable n’est pas repris dans la liste des 5 enjeux actuels de notre société retenue par les rédacteurs du référentiel, on y évoque uniquement les « impacts environnementaux ». Ce renoncement est totalement assumé : le développement durable serait une vision trop politisée des enjeux sociétaux. Faut-il dès lors considérer qu’on ne parlerait pas non plus à nos élèves des droits économiques, sociaux et culturels énoncés par l’Article 23 de la Constitution ?
Ce référentiel, contrat entre la société et l’école, qui devrait annoncer ce qu’il n’est pas permis d’ignorer à la sortie du tronc commun, renonce à ce qui mobilise de nombreux jeunes et à ce qui pourrait susciter le plaisir de chercher et de comprendre chez les enseignants et les élèves.
Mais il n’est pas trop tard, pour autant que soient associés à la réalisation d’une nouvelle mouture de ce référentiel, des personnes compétentes dans les disciplines concernées et des didacticiens de ces mêmes disciplines. Le tout de manière transparente et dans un cadre permettant le débat scientifique et épistémologique, en tenant compte des avancées disciplinaires et des engagements internationaux de la Belgique. Quitte à infléchir certaines traditions scolaires trop pesantes. L’excellence dont se revendique le pacte pour l’école est à ce prix.
Collectif SHS