Comment prendre en compte les petites choses pour en faire des montagnes et leur permettre ainsi de retomber.
Au départ, une explosion, lors de la réunion hebdomadaire des enseignants de l’école… Celle d’une collègue, institutrice maternelle, qui avait fait face à un enfant de la classe dont j’étais titulaire, qui refusait de fermer son manteau pendant la récréation de ce début de printemps ensoleillé. « Mais toi non plus, tu n’as pas fermé ton manteau ! », argumentait l’enfant face à l’enseignante, surprise, qui jugea la réponse « insolente ».
« En plus, je n’ai pas froid ! », ajoutait-il. Et l’institutrice de tenir bon, parce que, expliquera-t-elle ensuite, si les petits voient les grands sans manteau, ils ne comprennent pas pourquoi, eux, doivent en porter un. Et le gamin de terminer par : « D’ailleurs, ce n’est pas écrit dans les règles qu’il faut porter un manteau ! »
La peau de l’autre
Les règles de la cour sont construites au Conseil d’école, qui rassemble chaque semaine deux représentants de chaque classe de l’école autour de demandes, propositions et ajustements de tout ce qui touche à l’espace commun, c’est-à-dire surtout la cour de récréation. On y décrit, par exemple, qui peut utiliser le terrain de football ou pratiquer le roller, à quel moment. Les tournantes qui permettent à tous de profiter du matériel commun y sont expliquées.
Et en effet, nos règles ne prévoient rien en ce qui concerne le port du manteau. Par contre, il est prévu qu’en cas de situation d’urgence, les surveillant(e)s ont le devoir de décider, même si ce n’est pas prévu dans les règles, et d’en rendre compte au Conseil suivant. Les rares fois où de telles situations ont été vécues, une règle a été aménagée ou une nouvelle règle proposée, après réflexion de l’équipe éducative (enseignants et surveillantes) en Conseil des adultes.
En réponse à la collègue, j’exprime d’une part qu’il m’arrive aussi d’avoir trop chaud avec le manteau fermé, alors que la collègue qui surveille la cour avec moi a froid… Comment peut-on savoir à la place de quelqu’un, adulte ou enfant, ce qu’il ressent ? Une part importante de mon travail éducatif consiste précisément à aider l’enfant à percevoir ses émotions, ses sensations, le cheminement de sa pensée devant un problème et à en faire part d’une façon qui permette de le comprendre. Qu’en est-il lorsque l’adulte refuse de tenir compte de l’enfant, qui exprime qu’il a trop chaud ? Quelle confiance manifeste-t-on face à son ressenti ?
Et celle des ours
D’autre part, la réponse de l’enfant qui voit l’institutrice avec son manteau ouvert appelle à la cohérence. Et au fait qu’il est essentiel que la loi soit la même pour tous, car elle permet précisément de ne pas être soumis au bon vouloir de chacun. La loi fait « tiers », afin que nous ne restions coincés dans nos duels « Je veux… » – « Et moi, je veux… ».
Les institutrices d’enfants plus jeunes soutiennent ma collègue de maternelle, expliquant qu’il est difficile d’obtenir que tous mettent et ferment leur manteau. Elles souhaitent qu’on tienne également compte du fait que les petits sont plus sensibles au froid.
Comme rien n’est prévu et qu’on risque de s’engluer à coup d’arguments, d’émotions, de pressions dans ce débat, il nous faudra donc à nous aussi, adultes, de la loi pour avancer. Comment pouvons-nous objectiver les différences entre les plus grands, les plus petits ? Nous décidons de fixer une température « pivot », à l’essai pendant deux semaines, qui sera différente pour les enfants jusqu’à 8 ans et les autres. Tant que cette température n’est pas atteinte, on doit porter le manteau. Lorsqu’elle est dépassée, on peut choisir de l’enlever ou pas.
Nous achetons un grand thermomètre mural, qui sera lu très souvent les premiers jours, et puis, une fois la règle validée au Conseil après le délai fixé, de moins en moins… Les institutions ont joué leur rôle de médiateur, permettant à chacun de tenir une place, une fonction. L’imprévu peut alors être cadré dans une solution où personnes et besoins différents sont reconnus.