La Logopédie préventive

« Mieux vaut prévenir que guérir » ou encore, en matière de langage, « l’époque du laisser murir est révolue » (P. Ferrand).

La logopédie s’inscrit dans les trois axes de prévention définis par l’Organisation mondiale de la santé.

La prévention primaire : essentiellement basée sur l’information, elle intervient avant même que le trouble du langage n’apparaisse. Elle prend souvent la forme d’actions de sensibilisation auprès des parents, enseignants, médecins et autres intervenants de la petite enfance. Elle peut aussi se muer en guidance dans certains milieux à risques ou à la demande de parents et/ou d’enseignants.

La prévention secondaire : se confond souvent avec la notion de dépistage. Elle consiste en tout cas en une intervention du logopède dans certains contextes de la petite enfance (crèche, école maternelle…). Par l’observation et l’application de certaines épreuves, il tentera de mettre à jour les enfants qui témoignent déjà de difficultés, même légères dans le domaine du langage. Ce stade permet aussi la mise en place de stratégies susceptibles d’enrayer les petites difficultés et d’éviter qu’elles ne se transforment en réelles pathologies.

La prévention tertiaire : c’est à ce stade qu’on retrouve le plus les activités « classiques » du logopède, puisqu’il mettra en œuvre des stratégies de remédiation, de rééducation auprès d’enfants dont les carences langagières, observées dès le plus jeune âge, doivent être compensées sous peine de se répercuter ultérieurement sur les apprentissages scolaires, par exemple. On travaille à ce stade, à la correction de troubles pour éviter d’en voir apparaitre d’autres, encore plus invalidants.

Dépister et intervenir

Le dépistage est une intervention ponctuelle qui permet de mettre en évidence, de manière précoce les difficultés langagières au sens large. Car le logopède peut cibler différents aspects du développement de l’enfant. (Audition, voix, articulation, parole, langage, raisonnement logique…) Ce dépistage ne s’effectue pas encore de manière systématique dans notre pays. Nous fonctionnons, à l’heure actuelle, à la demande, surtout dans certaines écoles maternelles. Il est sans doute bon de préciser qu’en matière de prévention et de dépistage, la Belgique est un peu à la traine par rapport à certains de nos voisins européens : en France, les orthophonistes considèrent que l’âge idéal pour ce dépistage se situe entre quatre et cinq ans et au Luxembourg, dès trente mois.

L’intervention précoce peut s’effectuer sous différentes modalités et n’est pas nécessairement synonyme de rééducation, même si, dans certains cas dépistés, celle-ci s’impose par la gravité de la symptomatologie. Les principales interventions précoces que nous avons tenté de mettre en place se situent à l’école maternelle et prennent la forme de groupes de stimulation. Ces groupes peuvent avoir des objectifs très divers : parole et articulation, la découverte du livre, les activités de segmentation… Quelques tentatives d’intervention précoce ont également vu le jour dans le contexte des crèches.

La collaboration : on a souvent reproché aux logopèdes (en tout cas, dans le cadre scolaire), de travailler, non seulement en rééducation individuelle, mais aussi « individuellement », c’est-à-dire, d’exercer calfeutrés dans leur local, sans beaucoup prendre en compte les contextes sociaux de leur intervention. Dans le contexte préventif, la collaboration s’impose d’emblée et les principaux acteurs en sont : les parents et l’entourage familial, les professionnels de la santé (y compris les centres PMS), les enseignants.

C’est dans le cadre de l’école maternelle et primaire que notre réflexion a débuté, suite à des demandes réitérées d’enseignants qui souhaitaient un partenariat avec des logopèdes. Nous avons donc tenté, dans différents contextes de stage, de semer les premiers jalons d’une intervention précoce susceptible d’aider les enfants en difficulté de langage, mais qui ne présentent pas à proprement parler une « pathologie » spécifique. Exemple : légers défauts de prononciation, enfants inhibés, enfants instables, peu structurés, enfants bilingues…

Partenaires dans la prévention

L’enseignant (en maternelle et début primaire) est sans doute un des partenaires privilégiés du logopède dans le domaine préventif. Mais la collaboration n’est pas toujours aisée à instaurer à l’école et cela pour plusieurs raisons :
– Le logopède s’est souvent présenté, antérieurement, à l’école de manière très intrusive. Comme c’est un terrain privilégié de « recrutement » de clientèle, il s’introduit souvent de force et peut être vécu comme un « redresseur des travers » de l’enseignant.
– Si, en plus, il ne prend pas le temps d’expliquer sa spécificité professionnelle aux enseignants, il est perçu comme un professeur d’adaptation ou de rattrapage, souvent moins bon d’ailleurs que les enseignants eux-mêmes qui ont une formation pédagogique.
– Si le logopède ne se définit pas, son action spécifique n’est pas reconnue et certains se laissent « inféoder » par les enseignants.
– Les enseignants vivent mal le « succès » que peuvent rencontrer les logopèdes auprès de certains enfants qui suivent mal en classe. S’installe ainsi un climat de rivalité, peu propice à la collaboration.

Depuis le début de notre réflexion sur la prévention, nous sommes de plus en plus convaincus que la place du logopède dans l’école peut et doit être définie autrement. Il n’est pas sûr que le logopède doive y exercer son métier de thérapeute du langage et prendre des enfants en rééducation. Nous pensons plutôt qu’il doit mettre sa spécificité au service de l’école et aider les enseignant(e)s dans les multiples tâches qui sont les leurs, entre autres, l’éducation du langage. Nous croyons aussi que l’école doit s’adjoindre la collaboration d’autres intervenants et que le milieu scolaire doit s’ouvrir à la pluridisciplinarité. On demande de plus en plus aux enseignants et ils n’ont sans doute jamais été aussi seuls pour affronter leur classe, les difficultés, les échecs scolaires, les parents qui démissionnent…

Dans notre démarche, nous ne nous introduisons dans une école que suite à une demande explicite de celle-ci de s’adjoindre l’aide d’un logopède. À l’heure actuelle, c’est surtout par l’intermédiaire de stagiaires que nous tentons de montrer l’efficacité d’une réelle collaboration basée sur le bien de l’enfant, le partage des savoirs respectifs, l’écoute de l’autre, le dialogue, le respect mutuel…