À chaque conseil de classe, des enseignants pointent chez certains élèves une mauvaise étude. Pour y remédier, il leur est proposé de revoir leur méthode de travail. Pour ces enseignants, sans doute dans leur conception de ce qui se fait à l’école et à la maison, il s’agit d’une difficulté qui doit trouver une solution en dehors de la classe.
Logopède dans une école secondaire d’enseignement général, je suis en première ligne dans ce suivi des élèves hors de la classe. Bien que cela soit une spécificité de mon travail d’accompagner des élèves en individuel ou en petit groupe, il me semble que beaucoup d’élèves gagneraient à ce que les étapes de la mémorisation soient expliquées et amorcées en classe. Car un bon nombre d’entre eux a l’illusion de savoir ce qu’est mémoriser. Pour ces jeunes, étudier signifie lire ses notes la veille du contrôle. Ils sont d’ailleurs déstabilisés lorsque ce n’est pas suffisant. Ils n’ont pas conscience que s’ils peuvent parfois se contenter de lire, c’est qu’ils ont déjà commencé la mémorisation en classe.
Lors des derniers conseils de classe, deux élèves de deuxième secondaire m’ont été envoyés pour travailler la mémorisation.
« Lutter contre l’oubli programmé en évoquant. »
Au cours de notre première séance de travail, je me suis assurée qu’ils avaient bien compris ce qui était attendu d’eux. Il arrive que cela soit un peu flou. En effet, les élèves ne savent pas toujours déduire ce qu’ils doivent étudier et/ou les modalités d’évaluation lorsqu’on leur dit : « Dans dix jours, évaluation de synthèse sur le chapitre 3 ». Doivent-ils connaitre des points par cœur ? Doivent-ils être capables de mobiliser des concepts clés pour analyser des documents ? Doivent-ils connaitre une procédure pour résoudre une situation problème ? Doivent-ils reconnaitre les caractéristiques d’un concept à partir d’un exemple ? Doivent-ils réutiliser une démarche dans un exercice d’application ? Or, plus l’objet d’apprentissage est clair pour l’élève, plus il a de chance d’utiliser la bonne stratégie pour étudier.
Mes deux élèves ont pu m’expliquer ce qu’attendait leur professeure de français. Ils devaient étudier un verbe à tous les temps de tous les modes, pour pouvoir le restituer à l’identique dans des tableaux vierges. Nous avons analysé ce verbe et avons conclu qu’il y avait certains temps qu’ils connaissaient bien, mais des temps moins courants allaient nécessiter un travail plus approfondi. Cette analyse préalable est importante pour bien gérer leur étude dans le temps.
Dans un deuxième temps, nous avons vu que l’oubli fait partie intégrante de la mémoire et que c’est un signe de son bon fonctionnement. L’une des clés de la mémorisation est donc de lutter contre l’oubli programmé en évoquant, de manière espacée, dans le temps. C’est à cette étape que nous parlons d’évocation, de planning et de séance d’étude.
Les élèves, mais pas qu’eux, sont souvent peu conscients qu’ils évoquent pour comprendre, pour résoudre des problèmes, pour être attentifs… L’évocation est un objet « mental » constitué et produit dans le prolongement d’une activité perceptive. C’est également un processus mettant en scène un geste opératoire de la pensée en quête de sens [1]J.-P. Gaté, A. Géninet, M. Giroul et T. Payen de la Garanderie, Vocabulaire de la gestion mentale, 2009.. Lorsqu’une personne lit, elle peut voir des images défiler dans sa tête comme dans un film, elle peut entendre sa voix dire les mots… L’évocation est importante, car elle est un préalable à la mémorisation. Pour pouvoir mémoriser, il faut que l’information existe mentalement sans avoir à la percevoir par nos sens. Si nous n’évoquons pas, il est impossible de mémoriser. C’est pourquoi il faut évoquer, sans regarder ou sans écouter. Par contre, l’évocation n’est pas suffisante, car notre mémoire se réorganise sans cesse.
Il est donc essentiel que les élèves découvrent leurs évocations. Avant d’évoquer sur la base de leur travail scolaire, nous faisons de petits jeux de mémoire. Au fil des jeux, je leur pose des questions pour qu’ils réalisent qu’ils sont en train d’évoquer et pour qu’ils puissent verbaliser leurs évocations. Lors du premier jeu, ils devaient mémoriser de petites images cachées par des jetons de couleur. Je leur demandais de quelle nature étaient leurs évocations : visuelle, auditive ou kinesthésique et de me les décrire. L’un des élèves pouvait me redire tout ce que nous nous étions dit lorsque nous avions caché l’image (le bateau). Il se redisait dans sa tête la scène dans son ensemble. L’autre me racontait ce qu’il voyait (le chat), mais cela n’était pas précis, c’était une image qui n’était pas stable dans sa tête. Une fois cette expérience vécue, nous nous sommes amusés à guider nos évocations en nous basant sur différents paramètres : couleur, jeu de mots, liens logiques… Si je dis chien, que se passe-t-il dans vos têtes ? Et petit chien ? grand chien ? Temps de chien ? Malade comme un chien ? Cette activité visait à vivre de manière consciente les évocations. À chaque évocation, l’un d’eux devait verbaliser ce qu’il avait évoqué. Ils ont ainsi pu mieux comprendre pourquoi il est conseillé d’évoquer le cours à cahier fermé le soir et non pas simplement de le relire. Le cahier doit être ouvert, dans un second temps, pour vérifier que les évocations sont correctes.
Ensuite, nous sommes passés à la manipulation de l’information : dessiner, résumer, créer une carte mentale, un tableau… Dans ce cas-ci, les élèves ont souhaité présenter leur verbe sous forme d’une carte mentale. La carte mentale est un schéma qui part d’un noyau central et qui peut avoir plusieurs niveaux de branches. Ici, ils ont écrit au centre de leur carte le verbe à étudier consommer et créé une branche conditionnel, avec deux sous-branches : conditionnel présent et conditionnel passé. Pour chaque temps, ils ont écrit le verbe, sans regarder, au crayon gris. Ils ont ensuite vérifié que leur trace écrite était correcte et l’ont mise en couleur : une couleur pour le radical et une couleur pour la terminaison. Une fois la carte mentale réalisée, ils ont mémorisé la partie qu’ils souhaitaient. Il est impossible de retenir trop d’informations en une seule fois. Il faut découper l’information et y aller progressivement. Les cartes ont été collées dans le couloir et ils devaient aller mémoriser la branche choisie. Une fois qu’ils estimaient que l’information était mémorisée, ils devaient revenir dans le local et écrire ce qu’ils avaient retenu. Ce trajet leur a permis de prêter attention à ce qu’ils faisaient dans leur tête, à leur manière d’évoquer. Ce travail fait, ils ont pu mieux estimer le temps que leur prendrait l’étude complète de ce verbe et ainsi mieux planifier cette étude dans le temps.
Par la suite, j’ai pu discuter avec l’enseignante de la manière dont elle pouvait aider les élèves en classe. L’un des buts qu’elle poursuit, en demandant de mémoriser des verbes est l’acquisition de bonnes stratégies de mémorisation. En lui racontant comment je travaille avec les deux élèves, nous nous sommes aperçues que certaines démarches sont applicables en classe. Nous avons donc dégagé plusieurs stratégies à tester.
La première stratégie, c’est de rendre l’écoute des élèves active en leur laissant le temps d’évoquer. L’enseignante peut leur demander de donner des exemples personnels en lien avec l’information, de faire des liens avec ce qu’ils savent déjà…, il est important de laisser deux ou trois secondes de silence après la demande pour la pause évocative. L’écoute active permet de faire vivre mentalement l’information. Elle doit être expliquée pour que les élèves se mettent en projet mentalement.
La deuxième stratégie est de mettre l’élève en position de professeur. Par exemple, les élèves vont se réexpliquer l’un à l’autre ce qu’ils ont retenu à la fin du cours ou à la fin d’une explication magistrale.
La troisième stratégie est de manipuler l’information soit en la mettant en forme (tableau, carte mentale) soit en l’utilisant dans des exercices. Généralement, nous mémorisons pour réutiliser l’information. Lorsqu’un enseignant demande aux élèves de réaliser un exercice à l’aide de la démarche qui vient d’être expliquée, il est demandé de le faire en évoquant. Ces différentes manipulations à faire en classe permettent aux élèves d’avoir un feedback rapide pour rectifier ce qu’ils n’ont pas bien compris ou mémorisé.
En ramenant ce travail de mémorisation en classe, cela pourrait permettre à tous les élèves de sortir de l’illusion de la mémorisation et de comprendre qu’une bonne mémoire n’est pas un don, mais s’entraine et se consolide par l’utilisation de stratégies et par le travail. De plus, tous les élèves sont différents. Ils évoquent, mémorisent différemment. C’est pourquoi, le groupe classe a l’avantage d’enrichir les stratégies de tous.
Notes de bas de page
↑1 | J.-P. Gaté, A. Géninet, M. Giroul et T. Payen de la Garanderie, Vocabulaire de la gestion mentale, 2009. |
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