Zoé Genot a participé pendant des années à des rencontres avec des classes ou des élèves, en tant que parlementaire fédérale. À partir de son expérience, nous avons voulu
cerner le regard que l’école construit sur la politique…
Quels sont les points essentiels auxquels une formation
à la citoyenneté devrait s’attaquer ?
L’actualité politique est quelque chose de difficile à
suivre car les médias ne reflètent qu’un tout petit moment
du problème traité. Le plus souvent, on n’a pas
les antécédents qui permettent d’en comprendre les
causes. Il est aussi difficile d’identifier tous les acteurs,
visibles et invisibles, les enjeux, ainsi que de comprendre
les grands rouages à travers lesquels se prendront
les décisions. Formuler des hypothèses sur ce qui
pourrait se passer dans le futur est d’autant plus difficile.
Or, toutes ces opérations mentales sont essentielles
à une réflexion politique. Du coup, les
jeunes ont tendance à décrocher.
Lorsque je rencontre des classes,
un autre élément qui me frappe, c’est
la figure de l’homme ou la femme
politique : les jeunes n’osent pas lui
poser des questions, alors que c’est
précisément une des facettes les plus
importantes de son travail ! Il faut donc absolument démythifier
cette fonction.
Lorsque je rencontre une classe pour la première
fois, je n’explique donc pas d’emblée les partis. Je pars
d’exemples concrets. Avec ce biais, j’explique quelques
rouages (par exemple, la différence entre législatif et
exécutif ) et, aussi, les enjeux d’une décision en la matière
: si on change telle loi dans tel domaine, qu’est-ce
qui risque de se passer ?
Par exemple, je me base sur le cas vécu des ouvrières
travaillant dans les usines chimiques. Avant, quand elles
étaient enceintes, la loi imposait de les écarter immédiatement,
pour des raisons de santé. Le problème, c’est
que cette intention à priori généreuse avait des effets
paradoxaux. En effet, une fois écartées, elles ne recevaient
plus que la moitié de leur salaire. Du coup, elles
cachaient pendant longtemps leur grossesse. Nous, en
tant que politiques, on ne pouvait rien savoir de tout ça.
C’est parce qu’il y avait des citoyennes concernées qui
nous ont interpelés, notamment par le biais de leur syndicat,
qu’on a pu se mettre autour d’une table avec elles,
envisager des réponses au problème, puis essayer de
convaincre les autres groupes politiques d’adopter les
propositions que nous avions élaborées. C’est à partir
d’exemples de ce type qu’on peut aider à comprendre la
mécanique politique.
Vous rencontrez régulièrement des classes, pourriez-
vous caractériser le travail réalisé ?
Je pourrais dire qu’il y a deux types de rencontres :
d’une part, il y a des classes consommatrices de visites
qui dans la même journée peuvent ensuite enchainer
avec une visite du palais de justice, puis du parlement
européen. Dans ce cas-là, c’est très difficile d’essayer de
faire participer les jeunes. Et puis, il y a les classes qui
ont préparé la rencontre.
Le type de préparation est aussi très variable : soit
elle est très théorique, soit elle est axée sur l’analyse d’un
problème très précis, avec lecture d’articles sur la question.
Les groupes qui se sont préparés théoriquement
me posent plutôt des questions d’organisation, tandis
que ceux qui ont travaillé sur un sujet donné viennent
plutôt avec des questions de fond, parfois très philosophiques.
Ce sont surtout les classes de technique et de
professionnelle que l’on rencontre dans cette deuxième
catégorie. C’est le type de rencontre que je préfère.
Mon travail sera donc très différent selon le type de
préparation menée. Avec les classes qui se sont préparées
de manière plus « formelle », j’essaierai de les tirer
vers des questions de fond, tandis que j’attirerai l’attention
des autres sur le rôle des rouages et des procédures
dans la décision politique.
Comment sensibiliser les jeunes au fait qu’il y a
plusieurs manières de poser un problème, et donc
plusieurs manières d’y répondre ?
Il y a évidemment l’organisation dans les écoles de débats
réunissant les représentants des principaux partis.
Ce qui est stupéfiant, c’est qu’on n’est invité dans les
écoles qu’en période électorale ! Une année non électorale,
on avait lancé une invitation pour mettre en
contact des jeunes politiques des différents partis, avec
des élèves de classes de terminale. On n’a eu que 4 réponses,
alors qu’on avait écrit à 170 écoles de la région
bruxelloise.
Une autre chose qui me frappe, c’est la crainte éprouvée
par nombre d’enseignants de ne pas respecter leurs
devoirs en matière de neutralité ou de déontologie.
Dans l’enseignement officiel, les autorisations nécessaires
pour organiser une rencontre semblent parfois
très difficiles à obtenir, et paraissent exiger de longues
et pénibles démarches.
Quand elles peuvent s’organiser, ces rencontres présentent
parfois le risque que les politiques simplifient
trop leurs positions par souci de « pédagogie ». Après le
débat, les élèves nous ont déjà dit qu’ils ne voient plus
trop les différences entre les uns et les autres. De fait,
au niveau des grandes intentions, les positions des principaux
partis belges ne sont pas si éloignées. Les différences
se voient surtout quand on passe aux décisions
« La figure de l’homme politique est à démythifier. »
concrètes ! Or, c’est très difficile de les examiner autrement
qu’en travaillant sur un dossier précis. Pour faciliter
mon propos lors de rencontres, j’ai donc préparé
des fiches pour montrer concrètement quel parti avait
voté quoi sur telle ou telle question. Mais cela reste forcément
réducteur.
Autre chose qui n’est pas facile à comprendre pour
les élèves, c’est la notion de compromis. Elle a souvent
très mauvaise réputation. Ou alors ils ne savent pas du
tout ce que c’est. Ce n’est donc pas facile d’expliquer en
quoi cela peut être intéressant, dans ce système belge,
d’avoir autant de partis qui ont à négocier ensemble,
que cela permet d’avoir une plus grande stabilité, une
plus grande représentativité, etc. Les jeunes sont clairement
influencés par les élections à l’américaine ou à
la française qui se polarisent autour de deux camps bien
distincts.
Non seulement les écarts en Belgique ne sont pas
très grands entre partis, mais en plus leur « communication
» gomme ces différences pour paraitre
le plus politiquement correct. Et ce n’est pas facile
de savoir qui a proposé quoi sur quel sujet ni qui a
voté quoi ! Quels sont les outils dont disposent les
citoyens à cet effet ?
Au niveau européen, il y a de sites avec des grands tableaux
où on voit les votes de toutes les familles politiques.
Chez nous, ce n’est pas du tout comme ça. Au
parlement fédéral, il faut lire les comptes rendus de
séance sur le site en ligne, regarder à la fin les votes,
etc. Quand on connait le site du parlement fédéral, on
trouve les choses, car tout est disponible. Mais sinon,
c’est extrêmement compliqué. Il y a vraiment un effort
de lisibilité à faire. Par exemple, les débats filmés ne sont
pas archivés en ligne. On est vraiment très en retard.
Participez-vous à d’autres collaborations avec des classes ?
Il y a des élèves qui font un travail sur un
sujet donné, par exemple, les droits des homosexuels.
Ils nous demandent de nous rencontrer.
Cela se passe souvent le mercredi
après-midi. Il en va de même avec quelques
projets plus rares, comme telle école, où des
élèves suivent un politique sur toute l’année,
avec rencontres trimestrielles. Mais c’est toujours
sur le temps « libre » des élèves que
cela se fait, jamais tous ensemble pendant les
heures de cours.
Qu’en est-il des projets menés avec l’enseignement
fondamental ?
Ces expériences sont plutôt rares. L’une
d’elles s’inscrit dans le projet « Place aux
enfants » : ceux-ci, accompagnés d’un adulte,
rencontrent des gens exerçant un métier déterminé
: un fleuriste, un kiné, un dentiste…
Ou un politique.
Il y a aussi les visites au parlement. Les
enfants aiment bien participer à un jeu de
rôle de type politique : on réserve une salle, et
on « joue » une séance plénière à la chambre,
avec des exercices de débat, 4 qui parlent
pour un projet, 4 contre, puis on vote… Je
n’explique pas le parlement, j’explique comment
on prend une décision, et ça marche bien.
Mais indéniablement, le travail est plus difficile avec
le fondamental.
Outre l’organisation de rencontres avec des politiques qui ne se font qu’en période préélectorale, y a-t-il d’autres points sur lesquels vous avez l’impression que l’école loupe quelque chose en matière de formation citoyenne ?
Je crois qu’il y a vraiment un lien à faire avec la lecture des journaux ou le visionnement du journal télévisé, et le travail d’analyse qui s’ensuit. À partir d’un support
comme le journal gratuit Metro, qu’est-ce qu’on peut comprendre de la politique ? Je crois qu’il y a un vrai enjeu pour entrer « dans le jeu ».
Par ailleurs, on sous-utilise peut-être des outils
comme « Apprentis citoyens ». Il s’agit d’une plateforme
réunissant des jeunes issus de tous les partis démocratiques.
Cela a le mérite de montrer que la politique, ce
n’est pas qu’une affaire de vieux.
Il y aurait encore tout un travail à réaliser autour
de Facebook et de YouTube. Force est de constater que
nombre de jeunes se sensibilisent à certains problèmes
(de manières très diverses !) ou même me contactent
via ces canaux.
Enfin, s’il y a plus de démocratie dans l’école, on peut
partir de l’expérience des élèves pour les faire réfléchir :
« Sur ce point-là, comment vous vous y êtes pris pour
décider ? » C’est dans le concret qu’on se rend compte
qu’il n’est pas toujours facile de se mettre d’accord,
que ce n’est pas que les uns ont de mauvaises idées, et
les autres, les bonnes. Si, à l’école, les jeunes expérimentent
« pour du vrai » la négociation, les rapports de
force et la construction de compromis, ils s’approprieront
mieux ce qu’est la politique.