La pratique des ateliers pourrait-elle conduire à l’échec

Les activités organisées dans les différents ateliers de la classe sont censées rendre possibles des apprentissages pour tous. Cette affirmation s’est peu à peu imposée comme une évidence… pas assez questionnée.

La pratique des ateliers conduit-elle à l’échec ?
Joseph Stordeur

Dans son dernier livre, Olivier Houdé[1]O. Houdé, « Apprendre à résister », Éditions Le Pommier, 2014.démontre que le cerveau des enfants doit apprendre à résister aux euristiques, « stratégie très rapide, très efficace (par exemple : longueur = nombre) — donc économique pour l’enfant —, qui marche très bien, très souvent, mais pas toujours (à la différence de l’algorithme, plus lent et réfléchi, mais qui conduit toujours à la bonne solution) ».
Ce qui est vrai pour les enfants l’est aussi pour les adultes… Parmi les euristiques bien ancrées chez les enseignants du niveau maternel, il y a l’idée de l’efficacité de l’organisation de la classe en ateliers. Elle est difficilement mise en question. Et pourtant !
Dans son historique des ateliers, Christine Passerieux[2]Ch. Passerieux, « La maternelle : première école, premiers apprentissages », Chronique sociale, Lyon, 2009. les définit ainsi : « Les ateliers étaient présentés comme un des dispositifs les plus adaptés au “libre développement” de l’enfant. Plus exactement, ils devaient permettre de mettre à la disposition de “l’enfant” tout le matériel “sensoriel” par la manipulation duquel ce dernier était censé développer ses capacités “sensorimotrices”. C’est sans doute la raison pour laquelle les activités organisées en atelier ont longtemps été presque exclusivement “manipulatoires” (manuelles). » Et elle continue un peu plus loin : « La possibilité qu’offrent les ateliers d’individualiser les apprentissages est en effet de plus en plus mise en avant. Mais jusqu’à quel point le permettent-ils ? »

La répétition est nécessaire

Voici trois ans, en vue de mieux lutter contre l’échec scolaire, nous avons décidé de tenir davantage compte de nos connaissances du fonctionnement neuronal pour préparer les activités proposées aux enfants. Parmi les critères réfléchis pour améliorer nos pratiques, il y avait prioritairement la nécessité de répéter une activité plusieurs fois dans un laps de temps court. Sans cette répétition, il n’est pas possible de permettre à tous les enfants de se créer des traces mémorielles suffisantes. Seuls les enfants qui maitrisent déjà plus ou moins bien l’activité peuvent en profiter parce que, pour eux, il s’agit bien d’un renforcement des traces présentes. Pour tous les autres, l’activité, dispersée dans un ensemble d’activités variées, laisse peu de traces et ne permet donc que peu ou pas d’apprentissage. Les différences entre les enfants à l’entrée à l’école maternelle sont ainsi trop peu atténuées.

Des activités complexes avec un matériel individuel

Pour que cette répétition nécessaire à la constitution de traces ne devienne pas du drill, il est important de travailler avec des situations complexes, qu’aucun enfant ne maitrise au départ de la première séance de travail. Cette complexité permet de construire les relations indispensables au bon fonctionnement de l’intelligence.
Une troisième condition fondamentale est indispensable en vue de solliciter vraiment tous les réseaux neuronaux des enfants : chacun doit disposer d’un matériel personnel pour affronter l’obstacle travaillé. Si la verbalisation nécessaire peut être réalisée à partir d’un matériel collectif, elle n’est pas suffisante pour aider chaque enfant à progresser. La manipulation par essais et erreurs est indispensable. La quantité de matériel nécessaire pour une classe de plus ou moins vingt-cinq enfants aurait pu nous reconduire vers les ateliers pour quelques-uns à la fois. Mais cette répartition empêche les répétitions. La collaboration et le partage du matériel avec d’autres classes sont bien plus bénéfiques à tous points de vue.
Deux ou trois activités d’apprentissage pour toute la semaine
Ces trois conditions de base de notre travail nous ont obligés à nous positionner face à l’habitude des ateliers. Le premier motif pour abandonner les ateliers était purement pratique par rapport à nos options de base. En travaillant en ateliers de cinq ou six enfants et en voulant assurer la répétition journalière jugée indispensable pour construire de véritables traces au niveau neuronal, l’enseignante est amenée à animer la même activité pendant toute la journée pour que chaque groupe puisse la vivre, et ainsi pendant une semaine pour assurer les répétitions nécessaires. Ce n’est pas pensable. C’est ainsi que nous avons été amenés à proposer une activité dite d’apprentissage à toute la classe en opposition aux activités variées d’entrainement en ateliers. Deux ou trois activités d’apprentissage sont ainsi possibles par journée et pour toute la semaine.

Des ateliers trop souvent occupationnels !

Mais les habitudes difficiles à abandonner nous ont obligés à réfléchir plus loin. Le travail en ateliers, à choisir ou imposés, conduit le plus souvent à l’organisation suivante : un atelier dit d’apprentissage et plusieurs ateliers d’entrainement. L’enseignante est surtout présente pour les sollicitations du cheminement des enfants dans l’atelier d’apprentissage. Les autres ateliers sont plus ou moins laissés à la bonne volonté des enfants qui sont censés savoir se débrouiller. Quand ce n’est pas le cas, l’enseignante constate amèrement que ce sont toujours les mêmes qui travaillent ou qui ne font rien. Et l’on finit par considérer cette constatation comme normale. Pour éviter l’indiscipline provoquée par les enfants qui ne maitrisent pas bien ce qui est demandé, et qu’on ne sait pas vraiment suivre, les ateliers d’entrainement ont tendance à se simplifier et à devenir régulièrement occupationnels : colorier sans exigence ni de méthode ni de précision ; construire des puzzles qu’on connait par cœur, compléter des fiches déjà travaillées et qu’on colorie ensuite pour s’occuper jusqu’au bout de l’atelier d’apprentissage, travail sur fiche avec matériel (Attrimaths – réglettes —…), modelage, graphisme, mais sans contrôle de la bonne formation des signes…
La simplification des tâches ne permet pas une sollicitation des enfants vers le haut. Si elle permet une réussite facile, elle ne valorise personne, amène les enfants à réaliser les tâches, non plus pour apprendre, mais pour faire plaisir à Madame. C’est une base de la démotivation de beaucoup d’enfants pour l’école : « À quoi sert l’école, si c’est juste pour montrer ce que je sais faire ? Et surtout si je reste en difficulté quand je ne sais pas ? »

Les difficultés de l’atelier d’apprentissage

Même l’atelier d’apprentissage pose problème. D’abord, il n’est vécu qu’une fois sur une semaine parce qu’il est réservé aux autres enfants les autres jours. Il n’est donc utile que pour ceux qui ont déjà de bonnes bases. Les autres enfants, même s’ils comprennent lors de l’animation, vont perdre une grande partie des acquis avant qu’ils n’aient l’occasion d’y revenir. D’où l’impression que ce sont toujours les mêmes qui avancent ou qui sont en difficultés. L’expérience de trois années nous permet de constater que la répétition journalière d’une même activité complexe permet d’améliorer sérieusement cette « fatalité ».
Les sollicitations de l’enseignante dans un petit groupe ne sont pas nécessairement plus performantes. En étant trop présente auprès des cinq à six enfants avec qui elle travaille, elle laisse parfois trop peu de temps au travail de recherche individuelle, aux essais et erreurs de ceux pour qui l’activité est vraiment nouvelle. Les réponses et/ou le produit sont attendus au rythme des meilleurs sans qu’on ne s’en rende toujours compte.
Un autre aspect nous interpelait aussi dans l’organisation en ateliers. Souvent ceux-ci sont organisés autour d’un thème et non autour d’une même compétence. Or, ce n’est pas le thème qui doit guider la progression des enfants, mais bien la compétence qu’il est nécessaire de travailler. Christine Caffiaux[3]Ch. Caffiaux, « L’entrée dans l’écrit : les enjeux à l’école maternelle » http://goo.gl/ftKivs, en citant Devanne, exprime bien que « les activités répétées au rythme des saisons, des anniversaires et des fêtes du calendrier, comme le travail par “thème”, ne sont pas favorables pour permettre aux élèves d’apprendre à penser au sens où “penser, c’est créer des liens.” »
Ce sont d’autres choix pédagogiques, basés sur nos connaissances du fonctionnement neuronal, qui nous ont amenés à résister à l’idée de l’efficacité des ateliers, qui nous ont conduits à les interroger et finalement à les mettre en cause. Comme le disait Célestin Freinet : « Vous n’abandonnerez une méthode de travail que lorsque vous aurez trouvé mieux pour vous raccrocher.  »Il n’est jamais possible d’abandonner une prise sans assurer la prise suivante. Mais il est toujours nécessaire pour progresser de savoir résister à ce qui parait comme une évidence. 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 O. Houdé, « Apprendre à résister », Éditions Le Pommier, 2014.
2 Ch. Passerieux, « La maternelle : première école, premiers apprentissages », Chronique sociale, Lyon, 2009.
3 Ch. Caffiaux, « L’entrée dans l’écrit : les enjeux à l’école maternelle » http://goo.gl/ftKivs