La ministre de l’Enseignement obligatoire de la Communauté française, Marie-Dominique SIMONET, présente la réforme de la certification par unités (CPU) pour le troisième degré de l’enseignement qualifiant comme le grand chantier de sa lutte contre le redoublement scolaire.
Voici, succinctement présenté, le contenu de la réforme, tel que nous avons pu en prendre connaissance[1]Parmi nos sources, deux rencontres avec un responsable du cabinet responsable du dossier et un PowerPoint de la ministre, présentant la réforme : Valoriser les acquis plutôt que sanctionner les … Continue reading.
Les objectifs de cette réforme sont multiples. Il en est de très généraux, comme fonder une culture de la valorisation des acquis, proposer aux jeunes un enseignement plus concret, plus valorisant, instaurer une structure d’enseignement plus souple, susciter une attractivité plus grande de l’enseignement qualifiant.
Plus concrètement les objectifs sont :
• augmenter le nombre de diplômés à leur sortie de 6e technique et professionnelle ;
• donner à ceux qui n’obtiennent pas le diplôme de fin de secondaire, des certificats de qualification partielle ;
• permettre à ceux qui n’ont que des certifications partielles de poursuivre les unités manquantes auprès d’autres opérateurs de formation ;
• permettre aux jeunes sans diplôme de mieux négocier leur embauche.
Le critère d’évaluation de la réforme sera l’amélioration des statistiques de réussite. Comment la réforme propose-t-elle d’atteindre ces objectifs ? Selon les autorités scolaires, la stratégie est purement organisationnelle et non pédagogique. Ils insistent beaucoup sur cet aspect.
La nouvelle organisation scolaire repose sur les éléments suivants :
• découpage des compétences professionnelles en unités ;
• certification indépendante des unités ;
• faire précéder l’évaluation d’une remédiation ;
• pas de décision d’échec en 5e, mais l’élève peut décider de recommencer les unités ratée ;
• pour obtenir le diplôme en 6e, il faut réussir toutes les unités ;
• si toutes les unités ne sont pas atteintes, réception d’un portfolio avec les unités réussies ;
• que faire avec les élèves qui recommencent certaines unités ? Ils ne doivent recommencer que les unités ratées. À charge des directions de trouver le moyen d’utiliser au mieux le temps ainsi libéré, en faisant preuve de créativité (par des stages, par exemple).
• la formation générale doit assumer deux objectifs : la formation citoyenne et la théorie de la formation professionnelle. Cette dernière est évaluée dans le cadre de la certification de l’unité.
À l’examen, cette réforme bien intentionnée est grosse de nombreux effets pervers. Parmi les principaux prévisibles, citons d’abord l’impact négatif sur la formation générale.
Dans la réforme, la formation générale doit poursuivre deux objectifs : une formation générale citoyenne et une formation théorique fonctionnelle, cette dernière étant évaluée dans le cadre de la certification des unités. Cette contrainte va rendre le travail des enseignants de cours généraux très difficile. En effet, cette obligation suppose que l’apprentissage théorique fonctionnel puisse évoluer au rythme de la progression de l’apprentissage professionnel. Ce n’est possible qu’au prix du sacrifice de la vraie formation générale.
D’un point de vue didactique, en effet, une formation générale ne peut être exclusivement fonctionnelle. Prenons l’exemple de la communication comme compétence professionnelle, que l’on retrouve dans un certain nombre de référentiels de formation. Ce n’est pas en apprenant quelques formules de politesse ou quelques attitudes de base qu’on va rendre une personne à l’aise dans des relations et des échanges, même professionnels. On communique d’autant mieux qu’on maitrise la langue utilisée et qu’on est au clair avec soi-même et avec ses idées. Maitriser la langue et maitriser ses idées, pouvoir analyser et pouvoir raisonner, tels sont, en fin de compte, les objectifs de base d’une formation à la communication.
Or, l’apprentissage de la langue et de la communication présuppose un détour didactique qui ne peut se baser exclusivement sur des situations professionnelles. La capacité d’exprimer des idées claires exige un entrainement au développement cognitif. Celui-ci, à son tour, exige une formation généraliste susceptible d’être applicable à une multitude de situations. En somme, une communication efficace (et donc une pratique du métier efficace) est une application de capacités générales qui demandent d’être apprises comme telles.
Autrement dit une compétence particulière contextualisée n’est jamais qu’une application d’une compétence générale. Or, apprendre celle-ci prend du temps et exige des détours… ! L’enseignant, contraint de préparer les jeunes à réussir leur module pour un moment donné, va organiser son programme en fonction de celui-ci. On peut donc s’attendre à une propension vers un apprentissage appauvri, tendant vers l’acquisition de recettes, au détriment d’une véritable maitrise des savoirs de la formation générale, que l’on poursuivra, par ailleurs, si on en a le temps[2]L’exigence d’un savoir théorique fonctionnel est en lui-même une erreur. En effet, le véritable savoir théorique de l’action, nécessaire pour la conduite du travail efficace, n’est pas … Continue reading.
Si le portfolio a une utilité sur le plan du curriculum de formation, pour autant que les autres opérateurs construisent leur offre de formation sur le modèle des unités, il n’en a aucune sur le marché du travail. Croire et faire croire, comme le prétend le cabinet, que ces morceaux de qualification peuvent outiller le jeune « pour négocier son embauche » est une erreur et une mystification. Peut-être l’embauche pour un poste non qualifié sera plus facile pour un jeune partiellement certifié que pour un jeune qui ne peut faire valoir aucune connaissance du métier. Mais ce sera aux conditions de l’employeur et si celui-ci le veut bien. Le vrai problème est le manque d’emploi. Les statistiques montrent d’ailleurs que le diplôme, le vrai, protège relativement du chômage. Et l’analyse du marché du travail montre que ce qui compte surtout dans l’embauche, c’est le besoin en travailleurs, les conditions de l’embauche étant fonction de la rareté relative (ou de l’excédent relatif) de candidats. Quand l’employeur est demandeur, il baisse ses exigences. Quand les candidats sont très nombreux, il les monte.
Par contre, mettre sur le marché des certifications multiples et non significatives d’un métier va embrouiller la représentation et la valeur de la certification professionnelle et va, sans doute, contribuer à déprécier cette dernière. Comme le dit la loi économique : la mauvaise monnaie chasse la bonne.[3]Ceci sans parler de la confusion que ces certifications partielles vont avoir sur les conventions paritaires qui utilisent le diplôme comme critère de qualification.
Le vocabulaire utilisé est d’ailleurs ambigu, comme est ambigüe l’attitude face à la qualification. Les autorités utilisent le même terme « certification » pour la réussite d’un module comme pour la réussite d’une qualification (la maitrise d’un métier). Or, au dire même du cabinet, les deux certifications n’ont pas le même statut. Il parle parfois, pour la certification de la qualification, de « diplomation », mais il maintient par ailleurs les deux usages du mot certification, usage qui le gêne dans son propre discours. En mettant volontairement en circulation le même terme pour deux réalités différentes, le cabinet crée volontairement une possible confusion et donc une « disqualification de la qualification véritable ».
La ministre affirme ne pas décréter une réforme fermée qui vient d’en haut « que les acteurs de terrain n’ont qu’à appliquer quelle que soit leur attitude face aux enjeux et aux objectifs de la réforme envisagée »[4] Voir la réponse de la ministre à la question parlementaire du député Y. REINKIN..
Comment dès lors faut-il interpréter le fait que la réforme sera obligatoire (selon deux modalités), en septembre 2011, pour les options retenues et qu’elle sera d’application générale, dans les options retenues, en 2012 ? Si on comprend bien, les acteurs du terrain n’auront, semble-t-il, qu’à l’appliquer « quelle que soit leur attitude face aux enjeux et aux objectifs de la réforme ». Mais ils auront de l’initiative… Ils devront avoir de l’initiative.
Quelles sont les initiatives que les acteurs du terrain devront obligatoirement prendre :
• organiser la remédiation dans une perspective de différenciation des apprentissages. Comment ? Comme ils l’entendent (au nom de la liberté pédagogique et de l’association des acteurs à la réforme).
• organiser l’emploi du temps des élèves voulant recommencer leurs unités ratées. Comment ? Comme les directions l’entendent. Liberté pédagogique oblige. Des idées seront données, issues d’une socialisation des bonnes pratiques (organiser des stages, par exemple).
En somme, au nom de l’autonomie pédagogique des acteurs du terrain, les autorités politiques leur font porter la gestion concrète de ce qui résulte de ce qu’elles ont décrété. Sur la gestion concrète, elles ne veulent pratiquement rien dire. Serait-ce parce qu’elles ont si peu à dire et qu’il est plus facile de repasser les questions difficiles, celle du comment, aux praticiens dont on loue, dans ce cas-ci, le professionnalisme et la créativité.
Quant à la décision concernant la suite à donner à l’échec dans l’apprentissage des unités au terme de la 5e année, c’est l’élève lui-même qui doit décider s’il « recommence » les unités ratées ou s’il cherche à sortir l’année suivante sans diplôme, mais avec un maximum d’unités réussies. Ne doit-il pas être responsabilisé ?
Ce qui doit être le fer de lance de la lutte contre l’échec scolaire est, en fait, une réforme pour gérer l’échec en renonçant à l’éradiquer et en le diluant. Le cabinet semble résigné à ne pas pouvoir changer fondamentalement les pratiques pédagogiques (les enseignants fonctionneraient dans leur majorité avec une culture de l’échec !). Pour vaincre l’échec dans le qualifiant, il faut entre autres remonter à sa source, dans le primaire. Il faut aussi améliorer les pratiques pédagogiques, bien au-delà de la seule remédiation. Pour valoriser le qualifiant, il faut bien plus que quelques transformations organisationnelles ou le décrochage de fragments de compétences. La ministre et son équipe nous semblent développer une attitude de battu qu’on pourrait résumer dans les termes suivants : essayons cela, c’est toujours mieux que rien ; ça ne peut pas être pire que maintenant.
Notes de bas de page
↑1 | Parmi nos sources, deux rencontres avec un responsable du cabinet responsable du dossier et un PowerPoint de la ministre, présentant la réforme : Valoriser les acquis plutôt que sanctionner les échecs. Mettre en œuvre l’apprentissage tout au long de la vie. L’expérimentation de certification par unités, décembre 2010. |
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↑2 | L’exigence d’un savoir théorique fonctionnel est en lui-même une erreur. En effet, le véritable savoir théorique de l’action, nécessaire pour la conduite du travail efficace, n’est pas un savoir général appliqué. Ce fait essentiel, point aveugle de la formation professionnelle scolaire, mérite un article à lui tout seul. |
↑3 | Ceci sans parler de la confusion que ces certifications partielles vont avoir sur les conventions paritaires qui utilisent le diplôme comme critère de qualification. |
↑4 | Voir la réponse de la ministre à la question parlementaire du député Y. REINKIN. |