La ségrégation scolaire

Une conséquence, mais aussi une cause du mauvais état de notre système scolaire…

Nous voudrions réfléchir avec les parents de milieux favorisés qui pensent que la mixité sociale et ethnique est un fait dans notre société et que vivre ensemble dans les quartiers, et donc aussi à l’école, est une valeur positive. Ces parents sont pris dans un dilemme terrible quand ils doivent faire le choix d’une école pour leurs enfants : ils se replient régulièrement sur des choix d’écoles opposés à leurs convictions parce qu’ils ne trouvent pas la qualité pédagogique qu’ils attendent dans l’école de leur quartier.
Ils pensent alors — et ils le déplorent — que la ségrégation (c’est-à-dire la concentration d’enfants pauvres et étrangers dans certaines écoles et d’enfants de familles aisées dans d’autres) est le résultat du mauvais état de notre système scolaire et de la grande différence de qualité entre écoles. Nous voudrions attirer leur attention sur le fait que la ségrégation est aussi une cause qui renforce ces différences de qualité et donc, involontairement, par leur comportement, ils renforcent les problèmes de notre système scolaire.
La bonne nouvelle, c’est qu’ils peuvent aussi agir pour l’améliorer ! Mais quand ils agissent, parfois, ça ne produit pas l’effet escompté…

Passons d’un cercle vicieux…

Il était une fois deux écoles fondamentales bruxelloises fréquentées uniquement par des enfants de milieux défavorisés et d’origine étrangère. Petit à petit, avec la gentrification et le travail de qualité de ces deux équipes pédagogiques, des parents bobos recherchant la mixité ont décidé d’y mettre leurs enfants. Appréciant la combinaison de bonne mixité et de qualité pédagogique — portée par des enseignants capables de gérer l’hétérogénéité de leur classe —, ils en ont parlé autour d’eux, tant et si bien que d’autres parents bobos se sont dépêchés d’y inscrire leurs enfants aussi. Et comme ils anticipent beaucoup plus le choix de l’école et l’inscription de leurs enfants, sans le vouloir, ils ont pris la place des autres enfants. D’écoles mixtes socialement et culturellement, ces écoles sont devenues des écoles socialement homogènes, puisqu’il n’y a pas de régulation des inscriptions à l’école fondamentale.
Moralité de l’histoire : sans régulation, ça ne marche pas.
Si nous pensons que la mixité sociale est nécessaire pour le vivre ensemble et si nous prenons acte des travaux de recherche[1]V. Dupriez, « Tronc commun ou filières : comment organiser l’école secondaire ? », chap. 17 dans Améliorer l’école, PUF, 2006, qui montrent qu’à condition d’être bien gérée pédagogiquement et relationnellement, la mixité sociale et pédagogique ne pénalise pas les élèves forts et profite aux élèves faibles, alors, devenons les ambassadeurs actifs de cette école commune de demain. Assumons, soutenons, poussons l’idée qu’il faut réguler plus tôt les inscriptions et qu’il est possible d’obtenir une plus grande mixité scolaire en proposant aux parents une place pour leur enfant dans une école de leur quartier, à moins d’un kilomètre, et ce, jusqu’à la fin du tronc commun[2]Tronc commun qui vient d’être voté au Parlement FWB et qui s’étendra de trois à quinze ans. Cerise sur le gâteau : ce sera bénéfique pour l’environnement : il n’y a qu’à voir la différence de circulation automobile entre les jours où il y a école et les autres.

À un cercle vertueux !

Cette étude[3]B. Delvaux et N. Hirtt ont montré qu’on pouvait proposer une place à chaque enfant dans un rayon de moins de mille mètres en ville et produire plus de mixité qu’actuellement. … Continue reading va à l’encontre de notre vision intuitive qui nous fait penser que les quartiers sont aussi ségrégués que les écoles. C’est compter sans le phénomène de gentrification qui ramène au cœur des quartiers les plus pauvres des familles plus aisées. Dans les grandes villes, les écoles sont régulièrement plus ségréguées que les quartiers, car les familles plus aisées s’y implantent, mais n’y mettent pas leurs enfants.
Poussons donc l’idée qu’il faut réguler les inscriptions, dès la maternelle et tout au long du tronc commun, pour obtenir et maintenir une mixité sociale et pédagogique. Exigeons aussi le soutien pédagogique nécessaire pour les équipes enseignantes qui s’engagent dans la mixité sociale, car enseigner en milieu hétérogène est plus complexe.

Cette chronique est nourrie de la réflexion en cours au sein de l’équipe sensibilisation de CGé, d’où le nous.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 V. Dupriez, « Tronc commun ou filières : comment organiser l’école secondaire ? », chap. 17 dans Améliorer l’école, PUF, 2006
2 Tronc commun qui vient d’être voté au Parlement FWB et qui s’étendra de trois à quinze ans
3 B. Delvaux et N. Hirtt ont montré qu’on pouvait proposer une place à chaque enfant dans un rayon de moins de mille mètres en ville et produire plus de mixité qu’actuellement. https://is.gd/KO7Us0