C’est un risque réel quand les ceintures de comportement sont mal comprises ou détournées
Les ceintures de comportement qui s’inscrivent dans une classe coopérative en pédagogie institutionnelle (PI) sont une invitation à grandir. Comme le dit René Laffitte dans son mémento, elles matérialisent la position provisoire de chacun par rapport aux exigences de la minisociété coopérative. Et il ajoute qu’il serait injuste et nocif, tant sur le plan scolaire que sur le plan du comportement d’exiger la même chose de tous les élèves ou de tous les membres d’un groupe.
« Les ceintures ainsi détournées s’apparentent donc bien à de l’éducation canine. »
Par ma formation en sociologie, je me suis demandé quelles fonctions remplissaient les ceintures de comportement et si on pouvait y trouver des fonctions manifestes et latentes, en particulier les nuisibles. Cette interrogation est venue à la suite de l’usage que des collègues faisaient des ceintures de comportement dans leur classe. Selon moi, ils s’inscrivaient plus, sans en dire le nom, dans une « éducation positive » inaugurée par Steve Bissonnette au Canada, une éducation à la récompense… Ils étaient contents, les enfants obéissaient enfin.
Je ne pouvais m’empêcher de voir là un dysfonctionnement du système des ceintures, un détournement. Dans un tableau ci-dessous, je vais tenter d’expliciter ce détournement à l’aide des concepts de fonctions manifestes et latentes, mais avant je souhaiterais exposer d’où me vient cette vigilance :
d’une part, de mon chemin réalisé en pédagogie institutionnelle, en particulier de l’éthique qui est vécue au sein de cette pédagogie avec l’objectif de ne pas nuire, de participer à l’émancipation… ;
d’autre part du fait qu’à la maison, nous avions un jeune chien, un berger des Pyrénées… nous nous étions inscrites dans un club canin pour faire son éducation. Et quel ne fut pas mon étonnement d’entendre les moniteurs parler d’éducation positive. Chaque fois que le chien obéissait aux ordres, il recevait une croquette, une caresse… bref une récompense. S’il faisait des bêtises, il fallait essayer de détourner son attention sur autre chose. Éducation très comportementaliste, stimulus, réponse…
Les ceintures ainsi détournées s’apparentent donc bien à de l’éducation canine.
Aujourd’hui, en Belgique, ce type d’éducation tente à se diffuser en particulier dans les classes dites difficiles. Là, où sans doute, il faut, selon certains, mater les jeunes plutôt que de leur apprendre à grandir et soigner ce que l’école caserne a détruit. D’après le courant fonctionnaliste, toute institution, rite, croyance… chaque pratique sociale remplit à minima une fonction en vue de favoriser l’intégration, l’adaptation des personnes au sein d’une société, d’un groupe. Merton distingue deux grands types de fonctions :
Quelques mots supplémentaires sur ces fonctions latentes. Merton se réfère explicitement à Freud pour distinguer les fonctions manifestes et les fonctions latentes. Le terme latent se rapporte à des conséquences qui seraient involontaires, inconscientes, voire cachées par ceux qui créent des institutions ou les reproduisent.
Certains enseignants lorsqu’ils instaurent des ceintures dans leur classe n’ont pas en effet conscience qu’en réalité ils créent les ceintures pour eux, pour assurer leur pouvoir, leur autorité. Pire, certains cachent leur véritable intention, mais sous prétexte d’un label pédagogique, ils détournent les ceintures de comportement à leur profit. Alors que les ceintures de comportement renvoient à une position, un statut qui implique une échelle des exigences. Dans une classe coopérative, on ne donne pas un permis à quelqu’un qui ne sait pas conduire.
Les ceintures s’inscrivent dans tout un système d’institutions qui se répondent l’une l’autre. Les ceintures se demandent au Conseil de ceintures, elles font échos à des responsabilités ou métiers qui sont pris. Elles renvoient à la question du pouvoir, de la liberté et de la responsabilité. Plus on a une ceinture élevée plus les exigences sont élevées, des droits qui s’accompagnent de devoirs.
Les ceintures sont au profit du groupe, au profit de la classe coopérative, de son bon fonctionnement. Les enfants, les jeunes peuvent ainsi grandir en toute sécurité. Ils sont reconnus à leur juste statut et l’exigence sera à la hauteur de celui-ci. Peut-être qu’il faudrait renommer ces ceintures, ne pas les appeler de comportement, mais bien les ceintures pour faire civilisation.
