La terre, une patrie pour chacun

L’éducation au développement à l’école fondamentale ou croire qu’un autre monde est possible…

07.1.jpg Le texte ci-dessous a été rédigé en guise d’épilogue à un travail de fin d’études. Hélène Van Roy a intitulé ce travail : L’éducation au développement dès l’école fondamentale ou croire qu’un autre monde est possible. Cette jeune institutrice a tenu à exprimer fermement son espoir d’une école plus cohérente avec ses discours, plus ouverte au monde et plus solidaire au quotidien. Cette réflexion témoigne d’un engagement et d’une vision d’école et de la société qu’on souhaiterait partagés par de nombreux éducateurs. (Jacques Liesenborghs)

Avant de fermer la boucle, je voudrais vous faire part de quelques réflexions. Je pense que faire de l’éducation au développement en tant qu’enseignant, c’est non seulement poser un choix mais aussi entreprendre une démarche qui, pour être efficace, doit pouvoir s’inscrire dans la durée de tout un parcours scolaire.

Ce souci de continuité est un préalable indispensable si l’on vise une efficacité réelle. En effet, exploiter la thématique Nord-Sud pendant quelques cours et puis l’oublier jusqu’à l’année prochaine ou jusqu’au jour où un autre enseignant (engagé ou bien intentionné ou soucieux de ce qui fait l’air du temps…) reprenne le flambeau n’a pas beaucoup de sens. Idéalement, l’éducation au développement devrait donc faire partie du projet d’établissement. Comment concevoir une école moderne, en prise avec son époque et les problèmes de celle-ci, si elle n’intègre pas une série de problématiques (développement, solidarité, action humanitaire, droits de l’homme) dans son action éducative ?

Un silence…

Pourtant, après trois années d’études qui m’ont permis de rentrer dans de nombreux établissements via mes stages, je réalise que si tous les projets éducatifs consultés accordaient de l’importance à l’éducation citoyenne, ils étaient muets concernant l’éducation à la citoyenneté internationale, autrement dit au développement. Pourquoi ?

S’engager dans un processus d’éducation au développement est d’une exigence extrême car cela implique pour l’enseignant qu’il soit cohérent avec lui-même, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de hiatus entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. Cette cohérence doit être perceptible dans sa classe, bien sûr, mais aussi dans sa vie à travers ses choix et sa manière d’être au quotidien.

S’engager pour instaurer un développement durable et équitable pour tous les habitants de la planète, c’est s’engager à s’informer de manière permanente et à analyser l’actualité quotidienne, c’est être d’accord pour acheter différemment ou « plus cher », c’est accepter une redistribution équitable de toutes nos richesses, c’est se faire un devoir du respect inconditionnel des droits de l’homme (donc accueillir ?), c’est militer pour un changement de société.

Comment peut-on faire de l’éducation au développement sans se remettre totalement en question, sans tenir un discours révolutionnaire ?

Et si telles sont les exigences, les établissements scolaires peuvent-ils facilement suivre cette voie et tenir ce langage, alors qu’implicitement ils sont chargés par la majorité des parents de former les enfants pour qu’ils s’intègrent à un tout autre type de société ?

Ou un engagement

Je pense que faire le choix d’une éducation au développement (en allant jusqu’au terme de ses exigences) est pratiquement impossible pour certaines écoles prestigieuses et élitistes. « En tout cas, je ne pourrais pas voir la pointe d’une djellaba dans l’école de mes enfants ! » est une réflexion entendue au cours d’un souper de classe d’une sixième primaire d’un établissement huppé de la capitale. Auparavant, les parents avaient discuté pendant des heures des meilleures filières à suivre, du GSM pour l’année prochaine…

Il est très probable que le parent, auteur de la réflexion, ne s’est jamais opposé à une récolte de fonds en faveur du tiers monde… ; donner, oui, mais pas côtoyer ! Au cours de cette soirée, personne n’a rebondi sur le propos, il n’y eut pas de débat, voire pas de malaise apparent. Dommage ? Sans aucun doute !

Ce type d’incident nous permet de mesurer le chemin qui reste à parcourir et d’entrevoir l’impasse dans laquelle un enseignant peut se trouver. Encore une fois, celui-ci peut-il toujours concilier la mission que lui confient les parents (préparer les enfants à se mettre au diapason d’une société de compétition) et celle qui lui parait en accord avec sa conscience (préparer les enfants à s’engager pour une société plus juste et plus solidaire) ?

Afficher clairement ses choix de vie, ne pas diluer son discours pour plaire risque évidemment de faire fuir la clientèle de certains établissements scolaires…

Malgré tout, j’ose espérer que bientôt, demain peut être, davantage d’enseignants épaulés par leurs collègues et leur direction énonceront clairement leur projet éducatif ; non pas un projet qui donne bonne conscience ou qui racole mais un projet « révolutionnaire » parce qu’il tend à rendre chaque homme de plus en plus humain ; un projet qui accouche d’un autre monde, d’une terre qui est la patrie de chacun.

Extrait de Lettre du 32, numéro 6/7, juillet/aout 2001.