L’aventure du texte libre

J’enseigne à des élèves de Cours préparatoire (6 ans) et à des élèves de Cours élémentaire (7 ans). Dès le début de l’année, les enfants ont dans leur casier un petit cahier intitulé « J’écris… », où, à tout moment, ils peuvent écrire un texte libre. Le contenu est entièrement libre. Un temps plus formel est aussi institué lors des ateliers de l’après-midi.

J’ utilise le système de ceintures dans de nombreuses matières, dont la production d’écrits que je nomme « ceinture de texte » avec les élèves. _ Les compétences en français sont décli- nées dans un certain ordre en fonction de la difficulté d’apprentissage et regroupées en ceinture (rose puis blanche puis jaune).

Lorsqu’un élève a acquis toutes les compétences d’une ceinture donnée, il l’obtient.

Cela entraine une reconnaissance de savoir-faire par la classe, très utile dans les productions coopéra- tives (journal, lettre aux correspondants). Il peut alors s’entrainer pour la ceinture suivante. Selon leur ceinture de texte, les élèves n’abordent pas l’écrit de la même façon.

« J’aimerais qu’ils prennent l’habitude de se poser des questions. »

ÉCRIRE SON TEXTE QUAND ON EST CEINTURE ROSE
Quand ils ont les ceintures roses et blanches (celles des débutants en production d’écrit), les élèves commencent par dessiner leur histoire. Lorsque le dessin est terminé, ils s’inscrivent sur un tableau accroché à un mur de la classe dans la rubrique « Je dicte mon texte. ».

Avec la collègue de CM2, nous avons institué un temps, le jeudi après-midi, d’une demi-heure pendant lequel des CM2 viennent écrire le texte de l’élève sous la dictée. La consigne donnée aux élèves est de respecter et d’écrire l’histoire dictée sans en changer le fond. Cependant, une attention particulière est apportée à la cohérence et ils peuvent demander des précisions ou souligner les incohérences afin de faire reformuler par l’auteur. À la fin de l’écriture, je prends cinq minutes avec les CM2 pour leur faire relire le texte et faire quelques remarques sur l’écrit. J’ai ainsi fait remarquer à Emmanuel qu’il ne mettait aucun point dans le texte et que la lecture en était donc plus difficile. Ou encore, à Caroline, qu’elle oubliait les accords sujet-verbe. Je note avec eux une chose sur laquelle ils pourraient porter plus d’attention. À l’heure d’aujourd’hui, le travail s’ar- rête là, mais je pourrais envisager avec leur maitresse que ce travail de relecture se fasse dans leur classe.

Il m’arrive aussi d’être la secrétaire, celle qui met par écrit le texte des enfants. La dictée peut se faire, soit au moment de l’accueil du matin, soit directement au moment du choix de textes. Au fur et à mesure que j’écris, je peux ainsi demander à l’élève s’il saurait écrire tel ou tel mot ou le guider vers l’outil qui pourrait l’aider à écrire seul le mot (parce qu’on l’a vu dans un texte précédent ou dans la lettre des correspondants). Je fais alors un trait sur lequel l’élève va écrire le mot (cf. le texte de Lola).
Le fait de dicter son texte et d’avoir un secrétaire oblige l’élève à s’arrêter à chaque idée et donc à faire des phrases. Je peux aussi travailler sur la compréhension : « Tu dis “il”, mais je ne vois pas de qui tu parles ! »

ET QUAND ON EST CEINTURE JAUNE…
Pour les élèves qui ont leur ceinture jaune ou orange (celle des élèves qui commencent à produire une ou plu- sieurs phrases), les élèves écrivent d’abord leur texte. Quand ils ne savent pas écrire un mot ou un son, ils mettent un trait. J’écrirai alors sous la dictée, les mots manquants et parfois une partie de l’histoire quand elle est longue.
Les élèves sont nombreux à écrire des textes libres, dans la classe. Le passage par le dessin permet à des élèves en difficultés scolaires de rentrer, peu à peu, dans l’écrit. Je remarque un certain plaisir, l’envie de produire.
Parfois, j’ai l’impression que certains écrivent sans se soucier de l’orthographe. Effectivement, ils se libèrent d’un poids et produisent de l’écrit, mais j’aimerais qu’ils prennent l’habitude de se poser des questions. Lorsque les élèves viennent me demander l’orthographe de tel ou tel mot : « Maitresse dans “vacances”, est-ce que c’est le “en” de “vent” ? » Je trouve ça bien même si parfois c’est un peu lourd à gérer. Dès le début de l’année, j’es- saie de leur apprendre à rechercher et à se référer aux outils de la classe : les phrases du jour, 3 000 mots, les textes étudiés… mais cette habitude est longue à mettre en place.

PRÉSENTATION ET CHOIX DE TEXTES
Les élèves qui le souhaitent ont la possibilité de pré- senter leur texte au « Choix de textes » pour qu’il puisse éventuellement paraitre dans le journal de la classe. Pour se faire, ils déposent leur cahier dans une boite prévue à cet effet. Lors du « Choix de textes », qui a lieu tous les lundis, chacun présente son texte à la classe soit en le lisant, soit en demandant à une grande ceinture en lecture de venir le lire pour lui. Suite à la présentation, es élèves peuvent poser des questions pour que l’auteur donne des précisions. Puis, à la fin des présentations, nous procédons à un choix par un vote à main levée. Le texte élu sera retravaillé le lendemain avec l’ensemble de la classe, afin d’être publiable.

METTRE AU POINT SON TEXTE
En règle générale, j’écris le texte au tableau. J’ai pris la peine de corriger les erreurs que les élèves ne peuvent pas corriger seuls. Nous nous attardons alors essentiellement sur la forme.
Pendant les ateliers de l’après-midi, une équipe est chargée de taper le texte à l’ordinateur, un élève volon- taire se charge de l’illustration. Une fois terminé, le texte est accroché au mur avec les autres pages du jour- nal en attendant la publication.
Je corrige les textes non élus avant de les rendre à leurs auteurs. Ce qui m’importe, c’est de ne pas freiner le désir et l’envie d’écrire par des corrections trop lon- gues et interminables de leur texte. Le travail d’orthographe se fait à d’autres moments dans la classe, lors d’apprentissages plus structuraux de la langue.
Un exemple de mise au point de texte.
Dans ce texte élu, réécrit au tableau pour la mise au point, j’ai laissé uniquement les fautes d’accord dans le groupe nominal afin que les CE1 les recherchent et les corrigent eux-mêmes. La mise au point a porté essen- tiellement sur la distinction histoire vraie/histoire ima- ginaire, le découpage en phrases et l’ordre des idées.
Un extrait de l’échange avec les élèves pendant la mise au point :
– Moi : De qui parles-tu dans ton histoire ?
– Clara : De mon chat.
– Moi : Si tu parles de ton chat, il s’agit de la réalité. Ce que tu dis, c’est ce qui se passe à la maison ?
– Clara : Oui.
– Moi : On utilise « Il était une fois » pour les histoires inventées.
– Moi (à la classe) : Que pourrait-on écrire à la place de « Il était une fois un chat… » ?
– Louka : Mon chat rapporte des souris.
– Moi : Oui. C’est bon pour toi, Clara ?
Je relis le texte en insistant sur le manque de respira- tion (points).
– Moi : Vous voyez comme j’ai du mal à lire. Il manque les points dans son texte. Dites-moi quelles sont les diffé- rentes idées dans le texte. D’abord ?
– Marwan : Le chat mange des souris.
– Mathéo : Il mange des croquettes et du pâté.
– Clara : Il aime les câlins.

À chaque proposition validée, je mets des crochets au tableau.
– Moi : Maintenant, nous allons effacer tous les mots qui restent. Quels mots va-t-on effacer ?
– Les élèves : « Et » et « aussi ».
– Moi : Vous utilisez souvent « et » « et puis » « et aus- si » dans vos textes. Au lieu de les écrire, il vaut mieux mettre un point. Ce sera plus simple pour lire le texte.
Nous avons ensuite parlé de la cohérence dans l’en- chainement des phrases.

Voici sa version finale :
Mon Chat

Mon chat est un chat d’intérieur. Il adore les câlins.

Il mange des croquettes et du pâté pour chat.

Il rapporte souvent des souris.

Clara

Pendant la mise au point du texte, la plupart des élèves restent très attentifs, mais il ne faut pas que cela dépasse 15/20 minutes. Ce temps de discussion autour du texte produit me semble important. Peu à peu, les élèves enregistrent les conseils, les remarques faites oralement. C’est ainsi que peu à peu les « et… et… et aussi… » disparaitront des textes des élèves pour laisser place aux points.

Les élèves sont vraiment contents que la classe s’in- téresse à leur texte. En règle générale, les auteurs ac- ceptent facilement les remarques et les corrections ap- portées. _ Ils sont très fiers de la version finale qui parait au tableau et dans le journal.

Je suis encore un peu gênée par le fait d’écrire volon- tairement des fautes au tableau afin de leur faire trouver et corriger. Est-ce que les élèves ne vont pas enregistrer ces erreurs plutôt que la correction ? J’ai pensé que je pourrais ne pas écrire (laisser des blancs ou des traits comme je leur demande lorsqu’ils écrivent leur texte) et demander à ceux qui savent de venir écrire au tableau.

Ce qui reste encore aussi compliqué, c’est la cor- rection des textes non élus. J’essaie de demander aux auteurs une ou deux choses à corriger en fonction de leur niveau en français (mettre les majuscules ou faire les accords dans le groupe nominal). Mais bien souvent, une fois passée la satisfaction de présenter son texte au choix de textes, les élèves n’ont plus envie d’y revenir et de le corriger. Je me dis que je pourrais essayer une correction à plusieurs en petits groupes de deux ou de trois.

Mais je reste persuadée que le texte libre suscite l’envie d’écrire et reste une belle aventure collective !