Combien de profs voudraient un local spécifique pour un cours en partage éventuel avec l’un ou l’autre collègue ? Certains l’obtiennent… Même pour un cours de math.
Je ne sais plus exactement quand ni exactement pourquoi ? Si ce n’est qu’il y avait une grande lassitude de ma part suite au transport de local en local et à la recherche de lieu de stockage de tout un petit matériel de bricolage conceptuel. Pour la géométrie de l’espace, par exemple, il s’agissait de plaques de frigolite[1]Polystyrène expansé., de bois à brochettes, de solides en bois, des pailles,…
Chronologie
Mais l’arme, ce sont les bancs qui me l’ont donnée. Fatigué de voir des élèves répartis en rangs, désireux de les faire travailler en groupes[2]C’était pour moi la découverte de l’auto-socio-construction du savoir., j’ai systématiquement, à tous les cours, dans tous les locaux où j’allais, déplacé les tables pour les grouper par deux. Vu le temps que cela prenait en début de cours, je ne les remettais jamais en place. Et il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les collègues grognent et qu’on me parque à demeure dans un local unique, le 103. Il était petit et permettait peu la circulation entre les tables, il était mal insonorisé mais c’était « mon » local et il y avait une armoire pour stocker le matériel.
J’y suis resté de nombreuses années jusqu’à ce que je quitte l’école. Après trois ans, quand je suis revenu, il a fallu tout reprendre. Mais le même processus a abouti au même résultat et j’y ai gagné car on m’a attribué le 204, un local spacieux et éclairé par de nombreuses fenêtres sur trois pans de mur et dans le toit. Et des armoires murales sur presque tout le périmètre. J’y suis toujours. Et seuls deux, trois collègues de math y font des incursions.
Un local de math ?
Pourquoi ? Quel intérêt ? On pourrait rétorquer pourquoi pas, il y a bien des classes et labos de sciences et de langues, des locaux vidéo, un cybermédia. L’expérimentation et l’activité en mathématiques ne nécessitent-elles pas une salle appropriée ?
Mais encore ? Le 204, c’est d’abord un lieu où l’élève comprend vite qu’il y entre pour faire des maths, pour travailler et pour chercher. On ne sait trop ce que les élèves font ailleurs, mais leurs habitudes ne semblent pas correspondre à une activité calme et soutenue dans l’étude et la recherche.
Le 204, c’est un environnement particulier avec des affiches, des panneaux : la carte du ciel, des polyèdres, des gravures d’Escher, des vues en perspective classique, curviligne ou cylindrique, un tableau reprenant les grands mathématiciens, etc. C’est un cadre qui reste relativement propre et peu soumis aux dégradations comme d’autres locaux sans attache, sans locataire fixe.
Le 204, ce sont des tables groupées en permanence par deux, face à face (pour le travail en groupe de quatre) et disposées en épi pour permettre la vue du tableau. Un tableau blanc sur lequel on projette transparents, écran de machine à calculer ou écran d’ordinateur.
Dans les armoires, il y a des fardes, des livres, un rétroprojecteur, une machine à calculer avec viewscreen, du matériel de construction de solide, des plaques, des balles, des solides, de la ficelle, des maquettes.
Le 204, c’est tout le reste… La vue sur le parking des profs, sur une cour d’élèves et sur d’autres locaux de classe, des moyens pour regarder et suivre la vie de l’école. Un coin accueillant pour les petits repas du midi avec les camarades.
Privilège ?
L’espace qu’on habite, qui habite, qu’on structure, qui structure, auquel on donne une âme, qui donne une âme,… Cet espace est un facteur aussi déterminant que le nombre d’élèves par classe dans le déroulement du cours. D’aucuns diront qu’il s’agit d’un luxe, d’un privilège pour quelques profs dans quelques écoles. D’autres prétendront qu’il s’agit du confort du prof et qu’il vaut mieux satisfaire celui de l’élève en attribuant plutôt les locaux aux classes. Je ne sais pas. Je sais seulement ce que ce local apporte et si je devais changer de fonctionnement, je m’adapterai.