Le blues du prof de néerlandais

Depuis la rentrée, l’école primaire de mes enfants ne propose plus le néerlandais, mais l’anglais comme langue étrangère. Je peux comprendre cette décision et en même temps, je la regrette.

La situation n’est pas simple puisque les directeurs des écoles primaires sont obligés de choisir. Les voilà tiraillés entre différents besoins. Nous devons maitriser l’anglais si nous voulons comprendre le monde qui nous entoure, y évoluer avec aisance, si nous désirons interagir avec un grand nombre d’individus. Et en Belgique, nous devons parler le néerlandais si nous souhaitons communiquer avec nos voisins flamands. En Wallonie et bien sûr à Bruxelles, les entreprises souhaitent engager des employés francophones qui maitrisent le néerlandais. Le Conseil supérieur de l’emploi conclut dans son rapport de juin 2018 que de nombreux postes vacants restent à pourvoir faute de candidats offrant les compétences linguistiques recherchées [1]Conseil supérieur de l’emploi, État des lieux du marché du travail en Belgique et dans les Régions, Belgique, 2018.
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Rappelons que le décret Missions stipule dans son article 9 au point 4 : [2]l’intérêt de connaitre des langues autres que le français et, principalement, de communiquer dans ces langues. Depuis ce décret, chaque école primaire de Wallonie doit organiser un cours de langue néerlandaise, anglaise ou allemande, uniquement en cinquième et sixième primaire, à raison de deux heures par semaine. L’école a le choix de la langue et dans certains cas, de deux langues.

La question qui fâche

Ne faudrait-il pas imposer le néerlandais dans l’enseignement fondamental ? Selon moi, la question est mal formulée. Dès que le verbe imposer est utilisé, le poil se hérisse, certains cheveux se dressent… Pourquoi partir de l’idée que parce que quelque chose est imposé, il est mal appris, voire mal aimé ? Est-ce que ce qui est imposé est voué à l’échec ? Se demande-t-on s’il faut imposer le cours d’éducation physique ou d’informatique dès le plus jeune âge ? Chacun est persuadé du bienfondé de l’enseignement de ces activités. Pourquoi devons-nous sans cesse soumettre la question de l’enseignement du néerlandais obligatoire au sacrosaint pour ou contre ? Pourquoi mener des débats interminables pour se retrouver face à des querelles d’experts peu fertiles et devoir choisir un camp ? C’est peut-être là l’arbre qui cache la forêt. Et, en attendant, l’apprentissage du néerlandais n’a pas lieu. La question n’est-elle pas plutôt de savoir comment proposer l’apprentissage du néerlandais aux élèves dès leur entrée à l’école fondamentale, voire même l’apprentissage du néerlandais et de l’anglais.

Tous multilingues…

Je suis enseignante de langues en promotion sociale et en haute école. Pour certains de mes élèves, les apprentissages sont lents et douloureux. C’est différent avec les apprenants exposés et initiés tôt à une autre langue que la leur.
Des recherches montrent que nous pouvons apprendre tout au long de la vie, mais que certaines matières seront acquises plus efficacement à des périodes plus propices. Nous serions bien plus sensibles aux différents sons d’une langue lorsque nous sommes tout petits.
Les émotions jouent aussi un rôle déterminant. Elles nous permettent de rester attentifs, motivés… Face au manque de motivation, ne serait-il pas temps de tenir compte de ce que ressentent nos apprenants ?

De l’importance du climat de classe

Apprendre une langue est une activité non seulement intellectuelle, mais aussi une expérience personnelle [3]J.-M. Defays, Le français langue étrangère et seconde : enseignement et apprentissage, Mardaga, 2003.. Tout apprenant sera confronté au trac, il aura peur de perdre la face [4]E. Goffman cité dans l’ouvrage en note 2., de commettre des erreurs. Il est temps de dédramatiser, de leur rappeler qu’ils ne jouent pas leur vie à chaque fois qu’ils ne parlent pas parfaitement…
La peur de commettre une faute inhibe fortement. Certains étudiants scrutent les autres, à l’affut du moindre faux pas et les corrigent immédiatement. Le prof de langue lui-même a été drillé à la rigueur et sera exigeant au point de ne pas supporter les erreurs qui pourtant font partie intégrante de l’apprentissage.
Il y a quelques années, j’ai été frappée de lire les résultats de recherches sur les pratiques enseignantes et leur effet sur la motivation [5]Sarrazin, D. Tessier, D Trouilloud D., « Climat motivationnel instauré par l’enseignant et implication des élèves en classe : l’état des recherches », Revue française de pédagogie, … Continue reading. Les conclusions étaient claires : donner à l’erreur sa juste valeur favorise un climat de classe positif.
En classe, lorsqu’un élève a la parole, je réagis au contenu et j’essaie de ne pas faire de remarques. Je les retiens pour les partager quand tout le monde a parlé, sans nommer personne. Mon objectif, c’est de ne stigmatiser personne.
Au début d’une année scolaire, il y a toujours au moins un apprenant par classe qui me signale qu’il est nul en langues. J’essaie de tenir un discours rassurant et soutenant. Les savoirs sont tellement relatifs… À l’heure actuelle, nous atteignons une somme de connaissances qui dépasse l’entendement et nous n’en maitrisons qu’une infime partie. La classe peut être le lieu pour exposer, dans la langue étudiée, sa passion, pour partager ses expériences dans un domaine particulier.
L’étude à laquelle j’ai fait référence met également l’accent sur les activités qui ne mettent pas les élèves en compétition, mais qui demandent un investissement personnel et représentent un défi. Je constate que lorsque je mets au travail les apprenants selon un parcours individuel, avec des exercices à résoudre à leur rythme et que je passe dans les bancs pour leur donner un feedback personnalisé, ils se concentrent sur leur tâche, avec plaisir, et cherchent à aller jusqu’au bout. J’alterne les phases de travail avec le groupe classe, en sous-groupes, et en individuel.
Enfin, le comportement de l’enseignant a un effet favorable lorsqu’il tient compte de ses élèves, de leur opinion, qu’il se met à leur place, qu’il est soutenant et disponible. Certains apprenants veulent plaire à l’enseignant, comme s’ils voulaient se conformer à ses souhaits. J’ai l’impression qu’à force de vouloir satisfaire l’enseignant, beaucoup s’oublient, et minimisent leurs émotions alors qu’elles peuvent justement indiquer à l’enseignant comment avancer, quels contenus aborder, et peuvent les aider eux-mêmes dans la recherche de ce qu’ils désirent vraiment.

Vers plus de solidarité… entre communautés

Si la valorisation de la coopération en classe favorise l’apprentissage, elle permettra peut-être également de changer les mentalités. Des enseignants, à leur petite échelle, peuvent changer le cours des choses. Ils peuvent non seulement influer en servant de modèle, en organisant, dans leur forme, des leçons où la solidarité et l’entraide sont de mise, mais aussi en transmettant un contenu prêtant à la réflexion de fond sur les communautés, leur histoire, la solidarité…
Au cours de néerlandais, je m’efforce lorsque cela est possible, d’expliquer les Communautés et les Régions, leur organisation. Je constate que peu comprennent notre système fédéral et le dénigrent au lieu d’abord, de le connaitre. Au vu de l’actualité, cela reste difficile. Mais je continue à donner les accès internet vers les radios flamandes, les journaux. Nous allons au cinéma voir des films flamands, je dresse la liste des séries flamandes du moment et j’utilise des extraits avec certains apprenants.
Ainsi le néerlandais peut-il être considéré, non plus comme argument dans la recherche d’un emploi, mais comme voie vers la compréhension mutuelle et l’entente avec une autre communauté. Comprendre la langue de l’autre communauté permettrait d’accéder aux médias flamands et de prendre la mesure de la voix donnée à certains hommes politiques exprimant sans détour leur hostilité face à l’autre communauté linguistique. S’en inquiéter, alerter, expliquer, prôner la solidarité activement amènerait peut-être plus de tolérance et de compréhension.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Conseil supérieur de l’emploi, État des lieux du marché du travail en Belgique et dans les Régions, Belgique, 2018.
2 l’intérêt de connaitre des langues autres que le français et, principalement, de communiquer dans ces langues.
3 J.-M. Defays, Le français langue étrangère et seconde : enseignement et apprentissage, Mardaga, 2003.
4 E. Goffman cité dans l’ouvrage en note 2.
5 Sarrazin, D. Tessier, D Trouilloud D., « Climat motivationnel instauré par l’enseignant et implication des élèves en classe : l’état des recherches », Revue française de pédagogie, 2006.