Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite (1)

Une classe de 18 enfants, 8 enfants en 3e maternelle, 10 enfants en 2e maternelle et une institutrice pratiquant la pédagogie Freinet avec beaucoup de plaisir depuis de nombreuses années.

Notre classe :
• une communauté d’enfants impliqués dans des rapports de coopération[1]Nicolas Go, Pratique la philosophie dès l’école primaire, Hachette..
• un lieu de vie où les enfants peuvent cheminer à leur rythme, où les enfants apprennent à prendre la parole, à créer, tâtonner individuellement ou en petit groupe, où les enfants apprennent à s’organiser dans leur travail…

Premier moment

Dans la bibliothèque de notre classe, un petit livre Le Bonheur de Paul Fort. À la demande des enfants, j’en fais la lecture. Le livre terminé, Yannis, 5 ans demande : « Qu’est-ce que c’est, le bonheur ? » Magnifique question que je renvoie aux enfants.

Maïly : C’est être content, heureux.

Yannis : C’est un peu comme la vie.

Moi : C’est-à-dire ?

Yannis : Ça nous aide à vivre et à mourir.

Tyliann : C’est quand il y a du soleil.

Alexandre : Quand il y a des nuages, ce n’est pas le bonheur.

Tyliann : Moi, j’aime les nuages.

Maïly : C’est quelque chose qui vient du corps.

Tyliann : Je suis content du printemps.

Yannis : Je suis content d’être dans la classe.

Tyliann : Et moi de venir à l’école.

Marie : Moi, je suis contente de jouer dans mon jardin.

Roan : Le bonheur, il habite dans certaines maisons.

Yannis : Dans toutes les maisons.

Moi : Dans toutes les maisons ?

Maïly : Moi, dans ma maison, il y a du bonheur.

Moi : Qu’est-ce qui te donne du bonheur dans ta maison ?

Maïly : Des fois, c’est maman ou papa ou ma grande sœur.

Sébastien : Jouer, ça donne du bonheur.

Yannis : Quand on nous attaque, le bonheur n’est pas là.

Erin : Elles sont belles, les images.

Roan : Moi, j’aime ce livre.

Sébastien : C’est rigolo quand il a filé.

Moi : Qu’est-ce qui a filé ?

Amélie : Le ballon ou le bonheur ?

Erin : Sur la dernière page, le ballon a filé, on ne le voit plus.

Marie : Pourquoi il (l’auteur) dit toujours la même chose : « Cours-y vite, cours-y vite ».

Amélie : Parce qu’il a envie.

Yannis : C’est lui qui décide, parce que c’est très beau quand on répète la même chose.

Cette conversation a été suivie d’autres conversations, les jours qui ont suivi, de manière à permettre aux enfants d’approfondir leur compréhension du livre et de construire leur pensée.
Moments de paroles libres, surgis du questionnement d’un enfant. Le lendemain de notre conversation apparait, dans le cahier de dessin libre de Maïly, un très beau dessin accompagné d’une merveilleuse petite phrase.

Deuxième moment

Dans notre classe, au centre de notre travail quotidien, nous réalisons depuis toujours un journal scolaire, recueil de textes et de dessins libres. Dans sa forme actuelle, le journal, réalisé sur une feuille A3 pliée en deux, sort plus ou moins dix fois par an. Un journal « pour ne pas oublier nos paroles, parce que c’est important ce qu’on dit », explique Julie, 5 ans.

Un journal pour montrer nos dessins et textes qui racontent ce que l’on fait, ce qu’on pense,
ce qu’on ressent, les questions qu’on se pose… Un journal qui est une ouverture sur le monde, un journal qui valorise le travail et les progrès de chaque enfant. Un journal qui s’adresse aux parents, grands-parents, aux correspondants et amis de la classe.

D’où viennent les textes que nous mettons dans le journal ? Tout simplement, ils jaillissent de l’entretien du matin. Quand un enfant raconte quelque chose de personnel, je lui suggère de taper son texte à l’ordinateur (je le recopie en imprimé, ensuite il le recopie à l’ordinateur). Et s’il est d’accord, je lui propose de le mettre dans le journal. Il va alors illustrer son texte. Parfois, c’est le contraire : un enfant réalise un dessin très personnel pendant le travail en ateliers libres. Je l’invite à le mettre dans le journal et à y ajouter un petit texte qu’il va taper à l’ordinateur.

Troisième moment

Nous travaillons tous les jours en ateliers libres et coopératifs. Les enfants y choisissent leur(s)atelier(s). Parmi ceux-ci, l’atelier « construction ». Celui-ci comprend des planches de tailles et de formes différentes (carré, rectangle, triangle…), des rouleaux, des grandes planches, des animaux, des personnages… et un grand tapis sur lequel les enfants peuvent construire librement. Les enfants, seuls ou en petits groupes de deux ou trois, peuvent y faire leurs expériences, et tâtonnent beaucoup avant d’arriver à des constructions de plus en plus élaborées.

Andro, 6 ans, y a passé de très nombreuses heures. Construire, pour lui, était indispensable à son équilibre intérieur. En construisant, il s’est construit. Au fur et à mesure des mois, au fil de ses tâtonnements, il est arrivé à réaliser des constructions de plus en plus compliquées. Il y a eu une période où il s’est passionné par la tour Eiffel, il l’a construite de multiples fois. Quand il avait fini sa construction, nous nous réunissions tous autour du tapis, et Andro nous
expliquait comment il avait construit sa tour pour qu’elle ait un bon équilibre. Le lendemain, d’autres enfants essayaient de construire des tours et Andro venait les aider quand ils en avaient besoin. Andro, l’enfant aux multiples difficultés, était reconnu pour ses compétences et devenait une référence dans le domaine de la construction.

Trois moments de la vie de notre classe, parmi bien d’autres. Mon rôle est d’être à l’écoute des enfants, d’entendre et de relever tous ces moments de vie intense qui surgissent à tout instant dans la classe… Mon rôle est de permettre à chaque enfant d’entrer dans une démarche d’apprentissage qui lui est propre, et d’accéder à la parole libre…

(1) Le bonheur, poème de Paul Fort, tiré du recueil Ballades françaises, Flammarion (réédition).

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Nicolas Go, Pratique la philosophie dès l’école primaire, Hachette.