«Aurélie a changé d’école, on est très contents! C’était déjà bien dans l’autre école, mais ici, tu sais qu’elle revient chaque jour avec un nouveau bricolage de la garderie?…»
C’était il n’y a pas longtemps, lors d’un diner entre amis, la discussion était lancée, mais vite rabotée… Je ne saurai rien de plus sur l’école, à peine le nom de la nouvelle institutrice, et surtout rien sur la pédagogie appliquée dans cette école, sur le projet éducatif, mais là, je vais trop loin et l’on me parle déjà de la nouvelle Mini qui vient de sortir, de son look, son prix et du choix des accessoires…
Au cœur de la classe
L’enthousiasme de mes amis vis-à-vis de la nouvelle école de leur fille m’a fait l’effet d’une douche froide. Moi qui suis de l’autre côté, je ne me rendais pas compte combien la garderie a de la valeur aux yeux des parents qui travaillent!
C’est vrai que nombreux sont les enfants qui passent par la garderie avant d’entrer en classe, et y retournent après, au moment où je reprends ma voiture pour rentrer chez moi.
C’est vrai aussi que le contact direct avec les parents se fait de plus en plus rare (il m’est déjà arrivé de passer une année scolaire sans avoir vu aucun des deux parents), que le «cahier de communication» est une solution satisfaisante, à condition que les parents puissent -ou osent- écrire dedans… À condition aussi qu’ils sachent lire…
C’est encore plus vrai que la «dame de la garderie» est bien gentille, que je connais à peine son prénom, rien sur elle ni sur sa vie privée. Je sais surtout qu’elle a bien du courage et que je préfère être à ma place qu’à la sienne…
De toute façon, moi, après l’école, je rentre vite à la maison après avoir récupéré mon gamin qui a bien de la chance -lui- de ne pas connaitre la garderie et ses bricolages…
C’est alors qu’assise à la table de la cuisine, un petit suisse dans une main et une tasse de café dans l’autre, j’essaie de donner du sens à ce que je fais et à mon travail d’instit’.
Au fond de la tasse
Et je repense à ma journée… Aujourd’hui, il y a eu l’arrivée d’un petit nouveau pour lequel nous avons tous fait un beau dessin. Ensuite nous avons appris une nouvelle chanson qu’un plus grand nous a fièrement fait connaitre. Il y a eu la cuisine et la préparation d’un gâteau pour l’anniversaire de Jérémy. Il y a aussi eu les ateliers peinture, modelage et constructions, ainsi que la retranscription de la recette du gâteau dans le grand album de vie de la classe. Entre temps, un accident-pipi, la récréation, le séchage des peintures et la découverte du mélange des couleurs, puis l’histoire racontée. L’après-midi, cuisson et dégustation du gâteau avec chant d’anniversaire et applaudissements, nettoyage du jus d’orange renversé et cassette vidéo de Mickey que Samih avait apporté. Les cahiers dans les cartables, le petit cadeau pour l’enfant fêté, et la journée se termine pour moi.
À part l’enfant fêté qui ramènera son petit cadeau à la maison, aucun autre enfant n’y ramènera quoi que ce soit de ce temps de classe, à part son cahier de communication dans lequel je ne m’épuise plus à écrire toutes les activités de l’enfant, à peine ses progrès…
Et c’est quand ma tasse de café sera vide, que mon fils aura épuisé ses Mickey à la télé, que quelques-uns de ceux qui m’ont été confiés en journée ramèneront leur beau bricolage de la garderie, et que l’école prendra tout son sens…
Et c’est là que je me dis que peu importe si l’enfant aura accueilli un petit nouveau, modelé pour la première fois un bonhomme en plasticine, découvert que jaune + bleu = vert, ou gouté du gâteau pour lequel il aura battu les œufs… En finale, ce qui compte, c’est le bricolage, cet objet de transition, relai entre l’école et la maison, preuve concrète que l’enfant aura su occuper son temps libre en attendant papa et maman.
J’ose humblement espérer que ce bricolage sera nouveau pour lui, aura la forme -même lointaine- d’un bonhomme, sera plein de couleurs et aura le gout d’une douce sucrerie… Histoire de me sentir un peu moins inutile…