Le chant choral en Alpha et FLE

Maria Helena Schoeps est chanteuse et chef de chœur. Elle dirige la chorale « Kubica » à Anderlecht et la chorale « Anaconda » à Ixelles, mais elle s’investit aussi dans des projets qui intègrent le chant dans l’apprentissage du français, notamment à « La Rosée » à Anderlecht.

Quand vous animez des ateliers « chant » en Alpha, qu’est ce qu’il est important pour vous de faire vivre par les participants ?
En tout premier lieu, le fait d’être bien, à l’aise dans l’espace et dans le groupe. J’essaie d’instaurer un cadre de confiance et de solidarité pour que les participants osent parler et chanter.
Ensuite, je pars du principe que tous ont quelque chose de musical en eux et je travaille à partir de leur niveau, le but n’étant pas de développer des capacités musicales spécifiques, mais d’apprendre les notions de base qui sont au service de la langue, tout en s’amusant et en vivant un plaisir spécifique au chant et au langage.

En quoi cet apport est-il sans doute à la fois spécifique au chant et à la fois précieux pour des personnes qui sont là pour apprendre à lire et à améliorer leur connaissance du français ?
Étant moi-même d’origine étrangère, ayant appris le français à l’âge adulte, j’ai connu certaines des difficultés auxquelles les apprenants sont confrontés et je suis persuadée qu’une ambiance accueillante est le premier pas pour que l’esprit soit ouvert à une autre langue.
Souvent, les personnes décident d’apprendre la langue par obligation et sont, malgré leur décision, un peu résistantes à cet apprentissage… alors, je tente de diminuer les résistances !
L’acte physique du chant implique fortement le corps et apporte tous les bénéfices de détente d’une bonne respiration : détente physique, meilleure oxygénation du cerveau, apaisement du stress, etc. Comme acte ludique, chanter est bénéfique aussi pour le moral de manière globale et, dans le chant choral, cela s’ajoute au fait d’être dans le groupe et donne un sentiment d’appartenance.

Et pour ce qui concerne l’apprentissage même de la langue ?
Plusieurs facettes entrent en ligne de compte : le travail de compréhension des textes, d’articulation, de prononciation, la fluidité de l’expression orale, le découpage syllabique avec utilisation du rythme, comme facteur d’acquisition de la langue.
Mais aussi, les jeux préparatoires, vocalises et exercices de socialisation et dedétente, pour apprendre la langue en jouant, sans s’en rendre compte.

Qu’avez-vous remarqué comme plaisir, craintes, évolutions lors de ces ateliers ?
Lors de ma première année, j’ai perçu de la résistance, puisqu’une bonne partie des participantes ne comprenaient pas ce que la musique venait faire là : elles étaient dans une école et attendaient de l’apprentissage « scolaire », selon leur représentation de l’école et des apprentissages. Mais à la fin de l’année et au cours des années suivantes, cette résistance a énormément diminué.
Un autre motif de résistance était dû à la perspective du concert final devant un public mixte, ce qui est difficile pour des femmes de culture musulmane. Ce problème a fort diminué par la suite, parce qu’elles étaient prévenues du challenge dès le départ et celles qui se sont inscrites ont participé jusqu’au bout.
De plus, des ateliers de théâtre se sont joints au chant et les deux ateliers se sont inscrits dans le planning hebdomadaire du cours. Les participantes ont alors toutes bénéficié de cours « académiques » prévus dans l’horaire et des deux ateliers d’expression par semaine afin de créer, à la fin de l’année, un spectacle plus dynamique.
L’évolution des participants a été tangible et d’une année à l’autre, les chansons reviennent dans leur mémoire très spontanément.

Trouvez-vous qu’on peut parler de dimension artistique dans ces ateliers ?
Si on définit l’art comme étant une manière esthétique de se réapproprier du réel, OUI, les ateliers ont tout à fait une dimension artistique. Le répertoire est choisi selon une thématique qui est travaillée en classe. Le groupe se l’approprie et y intègre des éléments de son expérience personnelle. Les chants ainsi que les sketchs se mélangent donnant un sens et une direction au spectacle.

En quoi une rencontre avec cet art du chant est-elle importante pour vous ?
Le chant est une manière de mieux se connaitre et aussi de s’ouvrir aux autres, au monde extérieur. L’apport du geste vocal n’est pas seulement physique (respiration, articulation, prononciation, rythme, justesse…), le chant, c’est la musique et elle nous donne de la joie et différentes émotions, du plaisir, de la détente, elle stimule l’imaginaire et nous fait voyager. Cela enrichit tellement l’individu qu’un apprentissage « secondaire » comme une langue étrangère se faufile entre les notes, les sons, les rires et les larmes.

Et qu’en est-il de la dimension chant CHORAL ?
C’est tout l’apport déjà expliqué plus haut multiplié par la dimension « groupe ». Quand on fait de la musique en groupe, il nait une énergie particulière. Les voix, les accents et les difficultés de chacun se mêlent pour donner lieu à un son global qui est la résultante solidaire de ce que chacun est et qui enrichit l’autre. C’est comme un tableau pointilliste où les points paraissent mis au hasard, mais quand ils sont regardés de plus loin, ils nous donnent à voir une forme tout à fait reconnaissable.
Le plus formidable c’est que les vibrations vocales de chacun se transmettent aux autres comme un regard qui perce. La voix, c’est notre âme et elle montre tout ce que nous sommes. La partager à travers du chant est l’un des plus grands bonheurs qu’on puisse ressentir.
La chorale, intégrée dans les cours de français, prolonge aussi l’apprentissage de la langue et permet d’en approfondir certains aspects. Ouverte, sans exigence de prérequis, à tous les participants, la chorale réunit des personnes de tous les niveaux linguistiques, contribue à leur intégration et peut aussi être un élément structurant.
Quel qu’en soit le cadre, la pratique vocale collective apporte, au-delà du chant comme tel, des contributions non négligeables à la personnalité des
participants : une expérience physiologique et psychologique particulière, une relation originale à l’espace et au temps (gestion anticipée des évènements, réminiscences, mémoire), une prise de risque où le chanteur s’expose, s’implique et se dépasse, la mise en pratique de la notion d’engagement dans un projet (le concert), le développement de l’esprit d’équipe et de collaboration, l’installation d’une dynamique de groupe propice aux projets et aux apprentissages, le dialogue intercultures, par le biais de la représentation publique et de l’apprentissage de différents chants venus du pays d’accueil, mais aussi d’ailleurs, le plaisir d’un travail collectif reconnu dans le cadre de la formation et en dehors de celui-ci.
Plus spécifiquement, le contexte du chant choral intégré au cours de français se veut ludique et principalement basé sur le plaisir de se découvrir chanteur, de découvrir sa voix et son interaction avec celle des autres.

Construisez-vous ce travail en lien avec les autres intervenants en Alpha ?
La chorale en Alpha est une réelle construction pédagogique collective. La chanteuse intervenant en atelier ne peut rien toute seule !
La concertation avec l’équipe pédagogique est nécessaire pour décider de la fréquence des répétitions, des horaires, de la thématique souhaitée ;
Les autres intervenants s’engagent à faire travailler les participants entre les répétitions : mener des jeux complémentaires de maitrise de la langue à partir des textes des chansons et entrainer à la mémorisation, capitale pour obtenir une réelle compréhension du contenu et son interprétation.
Pendant les répétitions, l’équipe assiste la chanteuse en aidant les participants à adopter un comportement compatible avec la chorale (posture, respect d’autrui, écoute, participation active, respect des horaires…) ;
L’équipe choisit le répertoire musical en concertation avec l’artiste intervenant, un répertoire qui soit adapté au niveau du groupe et tenant compte des compétences spécifiques des participants et de la progression souhaitée. Les chants seront principalement en français, mais des chants dans d’autres langues (traditionnels pour la plupart) seront travaillés aussi, pour adoucir les résistances à la nouvelle langue, et pour permettre aux participants d’entrer en contact avec divers univers musicaux et phonétiques.
Et, ce qui est porteur aussi c’est que les autres animateurs participent aux répétitions et apprennent les chants par cœur comme les participants.