Se lancer, risquer, prendre la mesure,…
Sortie en 1980 du régendat, je n’enseigne que depuis 14 ans. J’ai passé quelques années avec mes enfants avant de retourner à l’école. Et je m’y suis heurtée à l’indifférence des élèves, aux chahuts, au surmenage, à la déprime… Et je m’y suis sentie exploitée par un système qui a utilisé rationnellement mon engagement. Puis les grèves… et un transfert révolté de mon militantisme dans un mouvement pédagogique : j’y rencontre des enseignants qui osent un regard réflexif sur leurs pratiques, qui organisent et pratiquent la formation permanente. Je participe à trois stages de Pédagogie Institutionnelle, je découvre la dynamique qu’elle engendre.
En classe, j’instaure l’institution du Conseil avec les huit élèves de 4e professionnelle Services sociaux. Noura rêve de devenir chanteuse, écrit des textes… Je reçois des propositions de concours d’écriture. On prévoit les cours de français dans cette optique, on rédige et on critique les textes. On trouve des responsabilités pour chacun : la classe est propre, décorée, les informations circulent, la bibliothèque est gérée… Les élèves se forment au traitement de texte pour taper les rapports du Conseil, avec la coopération d’une prof en dehors des heures de cours. Tout baigne.
Murir
Ils veulent organiser un voyage à Paris, aller visiter un studio d’enregistrement. Une randonnée parrainée à vélo est organisée, ils lavent des voitures sur un parking de supermarché, vendent des gaufres… Une partie de l’argent rentre chez l’élève trésorière. Mais certains gardent l’argent de leur parrainage, ne rendent pas les feuilles. Comment obliger l’élève qui s’est fait parrainer à apporter l’argent en classe ? Comment motiver à participer à la randonnée une fois l’argent récolté ? Deux filles du groupe, demandeuses d’asile, ne peuvent quitter le territoire ; une dispute entre trois autres provoque le retrait d’une d’entre elles. Impossible de partir à Paris. Les élèves votent l’annulation du projet et la récupération de l’argent qu’ils ont gagné. Je mets mon véto. Cette question d’argent se discute ferme : il appartient… ou pas aux élèves ; il peut servir à rembourser une partie des frais scolaires impayés… ou pas. Questions. La dispute qui a provoqué le retrait est gérée en médiation par l’assistant social de l’école. Le reste fait l’objet de discussions acharnées, de choix difficiles. Le groupe murit. Il assume ses décisions. Nous partons deux jours à la mer après les examens, sauf Magali qui rejette ces lois !
J’apprécie cette pédagogie qui me permet de regarder fonctionner les élèves, qui ose leur donner la parole, qui favorise la prise d’initiatives, l’expression des besoins, les mises au point, le respect. Je m’y risque dans les classes dans lesquelles j’ai beaucoup d’heures (et du « poids » face aux élèves et aux collègues), pas encore dans les autres. Comment faire naitre le désir d’un autre fonctionnement de la classe quand il semble tellement éteint ou mourant, quand il s’oppose aux pratiques de ses autres profs ? Je me protège. Cette année, je vais risquer dans tous les groupes l’instauration d’un quart d’heure de Quoi d’neuf, une autre institution de la PI. Et j’observerai encore.