Le conseil en maternelle

« L’homme de demain se forme actuellement, chaque jour, dans un certain mi-lieu sur lequel nous pouvons particulièrement agir : le futur viendra non d’une volonté idéale, d’un désir, mais du milieu actuel. » Fernand OURY

Les enfants qui arrivent en maternelle découvrent, non sans difficultés, que les autres existent et qu’ils ont autant qu’eux le droit d’être là. « Le roi » doit des-cendre de son piédestal et partager ce qu’il croit être son royaume : les jeux, le matériel, l’ATSEM[1] Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles, en France et la maitresse. Quitter le pulsionnel, le corps à corps, passer par les mots qui disent la séparation. Dire où je suis, entendre ce que les autres ont à dire, confronter les points de vue, accepter de ne pas avoir raison sans abandonner, refuser la soumission si l’on a raison.

Le conseil de coopérative avec la maitresse garante de la sécurité de chacun et de tous, et le groupe comme médiation est là pour cet apprentissage.

Le conseil dans une classe de Petite, Moyenne, et Grande Sections de 34 élèves[2]Isabelle Robin, La pédagogie institutionnelle en maternelle, Éditions Champ social, 2011.

Tous les élèves participent au conseil, deux fois par semaine (le mardi et le vendredi à 10 h 30). Je préside à la table de conseil (bureau d’écolier) et j’assure le secrétariat. Nous parlons de la vie quotidienne de la classe, « ce qui va, ce qui ne va pas. » Bien sûr, pour les nouveaux en début d’année, les rubriques sont compliquées, mais les élèves présents l’an passé aident la classe à avancer.

Les métiers

Chaque enfant peut choisir un métier, ce qui lui donne un statut (ce qu’il est en droit d’attendre des autres) et un rôle (ce que les autres attendent de lui). Il compte pour les autres, les autres comptent pour lui… Il compte. (Fernand Oury). Il s’agit simplement d’une distribution des tâches, d’un partage du pouvoir dans un groupe d’enfants égaux en droit. Se pose très vite la question de la compétence. N’importe qui ne peut pas et ne sait pas faire n’importe quoi. Responsabilité, pouvoir, liberté, compétence sont liés et, comme toute institution, les métiers sont des réponses à des besoins qui se mani-festent ici et maintenant. Exemples de métiers : arroser les fleurs, nettoyer le tableau, ranger la table d’exposition, ranger les crayons, la lumière de la classe[3]René Laffitte, Le mémento, Editions Matrice, 1999..

Nous commençons toujours par les métiers. Tous les enfants comprennent assez rapi-dement ce qu’est un métier, de quoi nous parlons. C’est du concret, nous nous organi-sons.

Rapidement, chaque enfant de Moyenne Section (MS, 4 ans) ou Grande Section (GS, 5 ans) a un métier. Les enfants de Petite Section (PS, 3 ans) qui sont venus l’an passé en Très Petite Section (TPS, 2 ans) ont aussi rapidement un métier. Les autres enfants de PS ont un métier vers le mois de novembre, décembre, janvier pour les derniers.

La rubrique métier, c’est souvent, pour les plus petits, l’occasion de prendre la parole : « j’aime bien mon métier » ou « je veux garder mon métier. »

Les métiers posent des problèmes. C’est au conseil que nous essayons de résoudre ces problèmes. Exemple : le métier de la colle avec Paule…

Marine, GS, grande en comportement : « Je critique Paule parce qu’elle donne des pots de colle qu’à ses copines. »

Moi : « Paule a la parole. »

Paule : « Non ! »

Marine : « Si, nous, on avait qu’un pot de colle dans l’équipe. »

Mathéo : « Nous, on n’en avait pas. »

Paule : « Oui, mais Élise, Loana, Sali, Éléonore, Mathilde, ils me demandent ! Je veux plus mon métier. »

Moi : « Qui a une proposition ? »

Yann : « T’as qu’à distribuer. », en me désignant.

Moi : « J’ai autre chose à faire. »

Mathéo : « Y’a qu’à mettre pareil de colle dans chaque équipe. »

Moi : « Paule, est-ce que tu saurais mettre le même nombre de pots de colle dans chaque équipe ? »

Paule : « Oui. »

Moi : « Combien tu en mettras dans chaque équipe ? »

Silence de Paule.

Moi : « Qui aide ? »

Les réponses fusent : « 2 pots, 3, 4, 5 », au p’tit bonheur la chance ! Je réalise la diffi-culté de ma question ! D’ailleurs, je ne sais même pas combien il y a de pots de colle !

Moi : « C’est un problème de math ! Et c’est difficile d’y répondre. On verra ça, en math, cet après-midi, avec les grands. Paule, veux-tu garder ton métier pour l’instant ? Nous réfléchirons au nombre de pots à mettre, dans chaque équipe, cet après-midi. Tu pourras essayer de faire ton métier, avec cette nouvelle donnée. Tu pourras toujours changer de métier, au prochain conseil, si tu trouves ce métier trop difficile. »

Paule : « Oui. »

Lors de la séance de recherche mathématique de l’après-midi, après moult tâtonne-ments et expérimentations, nous avons trouvé que Paule devait distribuer trois pots de colle par équipe. Paule gardera son métier plusieurs mois.

Les critiques

Elles sont plus ou moins nombreuses selon les périodes de l’année. Très nombreuses en début d’année, ainsi qu’en fin de trimestre. On pourrait les classer ainsi :

1. Les critiques autour de « je n’embête pas les autres. »

Julien : « Je critique Jacques parce qu’il a lancé du sable. »

Jacques : « Oui. »

Moi : « Nous avons la règle. Jacques paie deux points. On passe. »

Je pourrais donner de nombreux exemples : il m’a tiré la langue, il m’a mordu, il m’a tiré sur le pull…

2. Les critiques « autour des personnes »

John, un petit : « Je critique Samuel parce qu’il ne veut pas jouer avec moi. »

Samuel : « Oui. »

Moi : « Qu’est-ce que tu proposes John ? »

John : « Il joue avec moi ou il paie un point d’amende. »

Moi : « Qui a quelque chose à dire ? »

Hélène : « On n’a pas la règle ! »

Sylvie : « Mais est-ce qu’il est ton copain ? »

John : « Ben oui, j’suis le copain de Samuel ! »

Anna : « Ben Samuel, pourquoi tu veux pas jouer avec lui ? »

Samuel : «»

John : « Il joue avec Laurent ! »

Mathéo : « Tu changes de copain ! »

Anne-Lis : « T’as d’autres copains ? »

John : « »

Moi : « Qui veut bien jouer avec John ? »

De nombreux doigts se lèvent dont celui de Samuel.

Moi : « John, regarde bien tous les enfants qui veulent jouer avec toi. Si Samuel joue avec un autre, ça ne veut pas dire qu’il n’est plus ton copain. Il peut aussi jouer avec Laurent. Samuel, es-tu toujours le copain de John ? »

Samuel : « Oui ! »

Moi : « John, est-ce qu’on peut passer ? »

John : « Oui. »

3. Les critiques autour de la production.

Gaëlle : « Je critique Aurélie parce qu’elle joue avec les lettres. »

Moi : Aurélie a la parole.

Aurélie : « », elle est toute rouge, c’est une enfant très timide.

Moi : « Gaëlle, peux-tu expliquer ? »

Gaëlle : « Au lieu de faire mon texte à l’imprimerie, elle fait d’autres mots. »

Moi : « Aurélie, veux-tu dire quelque chose ? »

Aurélie : « »

Gaëlle : « Même qu’elle écrivait papa, maman, chien. »

Moi : « Qui a quelque chose à dire ou à proposer ? »

Julien : « Pourquoi tu faisais ça ? »

Aurélie : «»

Mathéo : « On sait pas écrire chien. »

Moi : « Peut-être qu’Aurélie sait. »

Je vérifierai et m’apercevrai qu’Aurélie sait quasiment lire et écrire.

Élise : « Faut faire le texte élu ! »

Moi : « J’irai un peu dans le même sens qu’Élise. Je propose que l’on compose d’abord le texte élu. Après, si on a du temps, on peut s’amuser à composer les mots que l’on veut. Qui a quelque chose à dire ? »

Aymeric : « On sera payé ? »

Moi : « Je n’ai pas vraiment réfléchi à la question, mais oui, chaque mot composé pourrait être payé un point. »

Jean : « Moi, je ne sais pas écrire. »

Moi : « Je pourrai faire des modèles. Qui est d’accord avec la proposition “on compose d’abord le texte élu. Après, si on a du temps, on peut s’entrainer avec les mots que l’on veut.” »

Tous les bras se lèvent.

Moi : « La proposition est adoptée. Je l’écris dans le cahier de conseil. »

Les propositions-informations-questions

Les propositions viennent au fur et à mesure de l’année. Il est important que la mai-tresse ou l’ATSEM proposent au conseil afin que les enfants apprennent ce qu’est une proposition. De même pour les informations ou les questions.

Vanessa : « Je propose d’amener mon chat à l’école. », Vanessa nous a souvent parlé de son chat au quoi de neuf.

Moi, présidente : « Qui a des questions ou quelque chose à dire ? »

Annabelle : « On a le droit ? »

Moi : « Pourquoi pas ? Mais il va falloir établir des règles. Qui a des propositions ? »

Mathéo : « Faut le mettre dans une cage pour qu’il ne griffe pas. »

Vanessa : « Je n’ai pas de cage. »

Élise : « Faut lui donner du lait et des croquettes. »

Marine : « Mais on va travailler quand il sera là ? »

Moi : « Effectivement, Marine a raison. Le chat peut nous perturber quand nous allons travailler. Nous n’allons peut-être pas le garder toute la journée. _ Mais d’abord, en as-tu parlé à ta mère ? Est-elle d’accord ? »

Vanessa : « Oui, elle veut bien ! », Vanessa est une grande, je pense qu’elle a effecti-vement demandé à sa mère.

Moi : « Je propose que tu amènes ton chat un matin. Nous le regardons, nous te po-sons des questions, nous le dessinons. Ta mère pourrait rester avec nous et ramener ton chat à la maison quand nous l’avons bien vu. Il faut en parler à ta mère pour savoir quel matin elle serait libre. »

Vanessa : « Je vais demander. »

Moi : « On passe. »

La proposition sera reprise. Nous aurons dans la classe : des hamsters, une tortue, un lapin, des poissons… et même un petit frère !

Les félicitations-remerciements

Il y en a toujours beaucoup. Il a suffi en début d’année que je félicite ou remercie cer-tains élèves.

Amaryllis : « Je remercie Marine parce qu’elle m’a prêté sa poupée. »

Moi : « Entendu ? », après chaque félicitation ou remerciement, je pose cette question.

John : « Je remercie Mathéo parce qu’il a joué avec moi à la récréation. »

Julien : « Je félicite Baptiste parce qu’il a bien écrit et qu’il fait des progrès. », je recon-nais mes mots : pendant l’écriture, j’avais dit à Baptiste « Bravo, tu mérites une félicita-tion au conseil. Tu fais des progrès. »

Caroline : « Je remercie Vanessa d’avoir apporté ses chats. »

Élise : « Je félicite Thibaud et Anori parce qu’à l’imprimerie, ils ont regardé, sans tou-cher à l’encre. »

Après les félicitations et les remerciements, je relis les décisions et clos le conseil par la phrase rituelle « Le conseil est terminé. »

Le conseil ne peut exister indépendamment de l’ensemble des institutions et des techniques FREINET de la classe.

Démarrer un conseil en maternelle

Où ?
– Toujours dans le même lieu. Des bancs ou des chaises en rond. Les petits en comportement (ils ont tendance à remuer, ont du mal à écouter, n’ont pas encore bien compris ce qu’on faisait au conseil) sont assis entre deux grands. La maitresse et l’ATSEM sont assises dans le cercle sur une chaise.

Quand ?
– Le matin, 2 fois par semaines
– 30 minutes maximum

Comment ?
– Une table qui permet de différencier le conseil du quoi de neuf qui ont lieu au même endroit.
– Une présidente : la maitresse.
– L’ATSEM est présente au conseil : comme l’enseignante, elle s’intéresse à ce qui se dit, peut poser des questions, proposer, critiquer, … en tant qu’adulte.
– Un cahier de conseil où je note les règles.

Les lois de la classe
– demande la parole.
– J’écoute celui qui parle.
– Je ne me moque pas.
– La loi de la confiance : je ne répète pas ailleurs ce qui se dit au conseil.

Des maitres mots :
– Le conseil commence…
– Qui veut parler des métiers ?
– Qui a une critique ? Une proposition ? Une question ?
– Des témoins ?
– On passe ?
– La parole est à…
– Je relis les décisions du conseil
– Le conseil est terminé

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Agent Territorial Spécialisé des Écoles Maternelles, en France
2 Isabelle Robin, La pédagogie institutionnelle en maternelle, Éditions Champ social, 2011.
3 René Laffitte, Le mémento, Editions Matrice, 1999.