Le culot de la confiance

« Madame li ministre, c’est Mounir ici. Vous vous rappelez de moi ? Vous savez, on s’est parlé dans le bus au retour d’Auschwitz. »

Cette phrase marque le milieu de l’histoire. Mounir a quelque chose comme 17 ans, une voix très haut perchée, la bouille ronde la plus sympa de la terre, une fine moustache, un sourire inéluctable, un bagou impossible. Il est élève dans une école professionnelle, qui sait dans quelle branche, à quel niveau ? Pas moyen d’aller dans le centre de notre commune sans le rencontrer, il est partout, interpelle tout le monde… Son rêve : acheter un immeuble avec quelques amis, mettre les appartements en location et se faire de la tune. Un baron, quoi, même s’il n’a pas peur de marcher.

Il y a quelque temps, il a participé à un voyage à Auschwitz avec son école, sous le patronage et en compagnie de la ministre de l’enseignement de l’époque. « Quand tu la vois à la télévision, elle est toujours un peu raide. On n’aurait jamais cru qu’elle se sentirait bien avec nous. On s’est même mis à la charrier. Jte l’jure, elle sait comment répondre ! »

En revenant vers la Belgique, Mounir passe aux choses sérieuses avec elle. Des choses séreuses, ils en ont vu à Auschwitz. Dans le car du retour, il faut quand même déconner pour se soulager. C’est un peu le foutoir mais Mounir ne perd pas le nord. Il tient pour une fois de sa vie une ministre. Il ne peut pas la lâcher comme ça, sans tenter une petite chance. Faudrait pas qu’elle reste trop tranquille sur sa petite ile.
Madame li ministre, vous voulez bien me donner votre numéro de téléphone ?
– Pourquoi tu me demandes ça ? Tu veux faire quoi avec mon numéro ?
– Vous pouvez me faire confiance, Madame. Je suis Mounir ! Je ne vous téléphonerai pas pour vous dire des conneries. On ne sait pas, un jour j’aurai peut-être quelque chose d’important à vous dire.

Et bien, ça va. Voilà mon numéro. Je te fais confiance, ne l’utilise qu’à bon escient.

Escient, escieeeeeent,… Ça chante un mot pareil quand il accompagne le numéro de téléphone d’une ministre. Mais attention, il faut le mériter !

La blinde

Quelques mois passent. L’école suit le cours normal de ses choses. Trop normal parfois. Les élèves s’endorment un peu. Leur conscience, avivée par les visions d’horreur, les taraude. Ils proposent à leur professeur de faire une exposition sur Auschwitz pour l’école tout entière, pourquoi pas d’autres écoles. Ça va de soi, c’est une bonne idée. Mais le truc qui cale, c’est les sous. Sans moyens, autant essayer de vider la mer avec une petite cuillère. Déjà que l’école est assez moche, qu’on n’a pas tout à fait la bonne couleur de peau pour se faire croire, il ne faudrait pas faire une petite expo minable qui ne ressemble à rien. Mine de rien, une expo sur un sujet pareil, c’est une responsabilité blindée.
Monsieur, je crois que je peux trouver l’argent. J’ai une idée. Je vais essayer et demain, je vous dirai si ça marche ?
– Tu crois au miracle, Mounir ?
Le sourire de Mounir est gage de miracle. Le prof postpose au lendemain la décision de tout laisser tomber.
– Madame li ministre, je vous rappelle parce que j’ai trouvé mon bon escient. On a besoin d’argent.


L’essieu du miracle a trouvé son huile. Madame la ministre a du budget pour soutenir des projets émancipateurs dans les écoles en perte. Alors, une exposition qui ponctue ce voyage, pour juguler l’extrême droite et éveiller les consciences…