Techniques du bâton, tours de parole, responsabilités et autres cercles magiques se multiplient actuellement dans les classes. Tous les derniers trucs pour mieux « gérer » ses élèves, diminuer la violence, construire une communauté éducative,… relèvent à première vue du même type de techniques.
En PI aussi, on parle de « techniques » ; elles en constituent même un des éléments du trépied. Tout cela serait-il du pareil au même ? De ce que je crois avoir compris, avec la PI, avant d’être plongé dans une série de techniques, on a à se trouver d’abord et avant tout confronté à une éthique.
Éthique et morale
Éthique, ici, est à entendre dans un sens différent de morale. La morale se réclame de l’universel, ce sont les mêmes règles pour tous, des règles qu’il s’agit de respecter, impérativement. La morale fonde ordre et discipline ; un être moral se doit d’être maitre de lui, se forger un moi fort, bardé de principes auxquels il obéit, avec lesquels il s’impose d’être cohérent. La morale fonde une identité de groupe, où tous se rassurent en se plaçant sous les mêmes signes, les mêmes drapeaux.
L’engagement éthique est quant à lui bien différent de l’obéissance aux règles. Si on le juge nécessaire, on ira même jusqu’à les transgresser, ces règles. L’éthique n’est pas pour autant une anti-morale, il ne s’agit pas d’admettre que l’on peut faire tout ou n’importe quoi. La morale définit la norme (et le « normal ») ; l’éthique se situe dans la perspective du sujet, de sa parole et de son désir singuliers[1]F. Imbert, La question de l’éthique dans le champ éducatif, Matrice, 1993, pp.7-13.
Règle et loi
Enfin, l’éthique ne se définit pas dans des règles (qui fonctionnent à l’aveugle, comme un code), l’éthique s’inscrit dans la loi symbolique portée, d’après la psychanalyse lacanienne, par le « Nom-du-Père ». Nom du Père : en voilà un terme qui a rencontré du succès, bien au-delà des milieux lacaniens. Ce qu’on entend partout : la fonction du père (qu’il soit géniteur ou pas), c’est d’énoncer un « non » à la relation potentiellement fusionnelle entre la mère et l’enfant. Il est le garant de la loi, notamment de l’interdit de l’inceste.
Par ce non, le père introduit l’enfant dans la dimension du manque, mais par là même aussi dans celle du désir, et du langage. Pour faire court : la fonction du père est de donner un non, et un nom à l’enfant. Or, aujourd’hui, la fonction du père est dévalorisée. Il s’agirait, en concluent certains, de revaloriser celle-ci, de remettre du « non » paternel, sinon, on tomberait dans le fusionnel, l’affectif, et tutti quanti.
Concrètement, dans les écoles, que donne ce psychanalysme rapide ? On redemande la règle. On veut un règlement strict et clair, avec des tarifs bien précis, prévoyant un maximum de cas de figures, et non-négociables. Un règlement, ça s’applique, ça ne se discute pas. Si vous commencez à discuter, vous êtes foutus, vous n’assumez plus votre rôle de père symbolique. J’en passe et des meilleures.
Retour aux sources
Face à ces discours, que disent les spécialistes de la discipline ? « Le Nom-du-père (…) est celui qui pose la loi, mais c’est aussi celui qui la transgresse, et celui qui la transgresse pour vous, celui pour qui existe les cas particuliers. Bien sûr, (…) on lui a mis des masques terrifiants comme au théâtre japonais, mais en tant que fonction (…) structurante, il transgresse, il sait transgresser où il faut. Ce n’est pas la loi que sert la Justice, laquelle est aveugle (…), un bandeau sur les yeux, mais c’est la loi qui sait faire attention aux cas particuliers et (…) qui essaye de faire la différence. »[2]J.A. Miller, … du nouveau !, Éd. Rue Huysmans
Toute la difficulté consiste évidemment à savoir comment transgresser « où il faut », dans quels cas, comment faire la différence. La question des exclusions d’élèves est particulièrement classique pour ce genre de questions : est-ce qu’on donne une seconde chance, comment, pourquoi à celui-là et pas à celui-ci, etc. Ce n’est pas pour rien que la fonction paternelle est en crise. Mais revenir aux rigueurs passéistes, à des systèmes où « on ne discutait pas », légitimement contestées durant les années ‘60 et ‘70, ne remettraient qu’une couche de vernis sans arranger quoi que ce soit au problème de la déviance.
Éthique et techniques
De la même manière, la PI se situe au-delà de l’application mécanique d’une série de pratiques codifiées (le conseil, le quoi de neuf, les responsabilités,…). En effet, celles-ci pourraient être mises au service de projets très variables, parfois bien éloignés des objectifs déclarés de la PI : donner la parole aux élèves à certains moments pour qu’ils puissent mieux se taire par la suite, créer l’illusion qu’on se connait, qu’on se comprend, etc.
Si cette manière de voir les choses est juste, il n’y a pas de « signe extérieur de PI », pas de norme en matière d’exercice de la PI. « Doit-on mettre sur pied un système de ceintures, un système de prises de responsabilités possibles par les élèves, etc. ? » Il n’y a pas de réponse définie à l’avance : ce que j’ai perçu de la PI l’éclaire comme un processus qui se construit au jour le jour, dans les interactions particulières entre tel enseignant et tels élèves.
Pour s’orienter dans ces interactions, il serait plutôt paradoxal de se la jouer en maitre, en prétendant tout réinventer tout seul. En ce sens, les mouvements de Pédagogie Institutionnelle ont éprouvé des techniques qui se sont avérées utiles, techniques dont la mise en pratique est éprouvée et discutée dans des lieux et des temps divers (stages, épis, bulletins intérieurs, etc.).
Les techniques de PI ne constituent pas des recettes destinées à faire disparaitre les problèmes, mais des outils proposant une certaine conception, fondée sur certaines valeurs, dans la manière de les poser et d’y répondre. Cela change tout.