Le maintien en maternelle : mauvaise solution à un vrai problème !

Les garder une année de plus en maternelle pour leur bien ?
Combien de temps encore l’école de la réussite se heurtera-t-elle à la culture de l’échec ?

En Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), le recours au maintien – redoublement est relativement fréquent : plus d’un élève sur cinq a déjà doublé au moins une fois en sixième année primaire, plus d’un élève de sixième année secondaire sur deux a vécu une expérience de redoublement, au moins une fois, au cours de sa scolarité. En FWB, nous pouvons affirmer être les champions toutes catégories du redoublement puisque 46.6 % des élèves de 15 ans déclarent – lors de la passation des tests PISA (2009) – avoir déjà doublé tandis que la moyenne de l’OCDE s’élève à 13 %. Il s’agit de la moyenne la plus élevée de l’OCDE.

Le plus alarmant est peut-être que le maintien peut déjà être observé dès l’école ma-ternelle puisque près de 4 % des élèves de troisième année maternelle (M3) connais-sent un maintien, alors même que la scolarité n’y est pas encore obligatoire ! Ainsi, environ un élève par classe vit sa rentrée, à l’école primaire, avec un an de retard. Pire, avant même le début de la scolarisation, en crèche, les enfants « non mar-cheurs » sont parfois maintenus dans un groupe, pendant que leurs collègues « mar-cheurs » sont promus dans le groupe suivant. En FWB, la culture de l’échec est deve-nue la norme, à tous les niveaux : à quand le maintien in utero pour préserver bébé des dangers de la société ?

Face à ces constats, à cette culture de l’échec et aux nombreuses recherches attes-tant de l’inefficacité du maintien-redoublement quant aux apprentissages, des ensei-gnants de M3, des directions d’écoles, des agents de Centres Psycho-Médico-Sociaux ont été interrogés[1]C. BOUKO, S. KAHN, B. REY & S. VAN LINT, Analyse des causes et conséquences du maintien en troisième maternelle en Communauté française de Belgique, Administration Générale de … Continue reading afin de mieux comprendre la dynamique de maintien.

Effets pervers des bonnes intentions

La majorité des acteurs interrogés déclarent être favorables à la pratique de maintien – redoublement. Le maintien en M3 permet de préserver l’enfant jugé « pas prêt », « pas mûr », « trop fragile » d’un enseignement primaire perçu comme peu accueillant, peu adapté aux élèves en difficulté (pression du programme, structure rigide).
« On trouvait qu’elle aurait eu trop de difficultés, ici, en section primaire, parce que déjà le climat est nettement moins familial… On ne voit pas l’utilité d’envoyer un enfant au casse-pipe parce qu’on ne voyait pas d’autre issue pour elle. Il me semblait vrai-ment qu’il était bon qu’elle refasse encore un an,dans une espèce de cocon, où elle puisse vraiment déployer toutes ses ailes et bien les sécher, surtout à l’air du temps. »

En outre, le fait de maintenir l’enfant un an de plus en M3 constitue une manière de laisser le temps à l’enfant d’acquérir les bases qui lui permettront d’entrer à l’école pri-maire. L’apprentissage est perçu comme une accumulation : si les bases ne sont pas stabilisées, les apprentissages ne pourront pas se construire de manière satisfaisante.
« Si les enfants ne partent pas avec ces bases, pour moi, c’est un bagage qu’ils n’auront jamais. Ils n’arriveront jamais à rattraper, par après, ce qu’ils n’auront pas ac-quis à ce moment-là… Le maintien est une bonne chose pour certains enfants, à cer-tains moments, parce que ces bases-là sont nécessaires pour construire quelque chose de solide, par après. »

Des chercheurs de l’Université de Liège[2]F. CHENU, V. DUPONT, M. LEJONG, V. STAELENS & A. GRISAY, Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle, Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche … Continue reading ont également pu mettre en évidence qu’il est jugé plus professionnel, pour l’enseignant de M3, de maintenir un enfant en difficulté plutôt que de le faire passer dans l’année suivante. Effectivement, les attentes formu-lées plus ou moins explicitement entre enseignants pèsent également sur la décision de maintien. « Je ne peux quand même pas envoyer Kevin en première, il n’est jamais là où il doit être… »

Ce n’est pas nous, c’est eux

Enfin, enseignants, directions, agents des CPMS, situent majoritairement les causes de l’échec scolaire en dehors de l’école, du côté de l’enfant ou de sa famille :
« Logan ? Il est trop jouette. Il veut vite avoir fini son travail pour pouvoir aller jouer. Il ne tiendra jamais en place en première primaire. » « Ça fait des mois que je dis aux parents de Jules que leur fils a besoin de lunettes. Mais ils n’ont toujours rien mis en place » ; « Tu te rends compte, il a 5 ans et il vient toujours en poussette, à l’école. En plus, il n’a jamais la collation santé alors qu’on le dit, depuis le début de l’année ! »

Ces propos interpellent, car si les causes explicatives de l’échec se situent à l’extérieur de l’école, en quoi une proposition de solution à l’intérieur de celle-ci pourrait être effi-cace ? Le maintien va-t-il permettre à l’enfant d’être moins jouette, aux parents de ne plus oublier la collation santé, voire de consulter un ophtalmologue ?

Toutefois, la proposition du maintien part systématiquement d’une bonne intention. Les professionnels sont unanimes, il s’agit toujours d’une décision prise dans l’intérêt de l’enfant.

Si de nombreuses recherches ont montré l’inefficacité du maintien – redoublement sur les apprentissages scolaires et son influence néfaste sur la confiance en soi, les élèves identifiés, par les enseignants, comme étant « à risque », en difficulté, le sont véritablement. Une promotion automatique dans l’année suivante, sans tenir compte des besoins de l’élève, ne constitue en rien une solution. Le maintien est donc une mauvaise solution à un vrai problème. Dès lors, quelles alternatives peut-on apporter aux pratiques de maintien ? Comment réagir concrètement ? Nier les difficultés n’est pas une solution, continuer comme si de rien n’était non plus.

Se mettre ensemble au travail

Quelques éléments de réponse ont pu être apportés suite à un travail de collaboration, mené avec huit équipes éducatives, composées d’enseignants du préscolaire accom-pagnés, ou non, de collègues des premières années du primaire, de la direction de l’école, de membres des CPMS attachés à l’établissement. Ces écoles volontaires possédaient toutes un taux de maintien en M3 relativement élevé : entre 9 et 30 %.

Ainsi, lors de concertations mensuelles, équipes et chercheurs ont travaillé à la mise sur pied d’alternatives aux pratiques de maintien – redoublement. Pour ce faire, il était indispensable que ces alternatives répondent à une fonction majeure de ce type de pratiques : la gestion de l’hétérogénéité des rythmes d’apprentissage, des différents niveaux présents au sein d’une classe. En effet, le profil de l’élève de M3 maintenu est plus proche de ses nouveaux camarades de classe – sortis de deuxième maternelle – que de ceux promus en première année primaire. Pratiquer le maintien – redoublement permet ainsi de rendre la classe un peu plus homogène.

Une alternative crédible au maintien – redoublement a consisté à s’intéresser, de près, aux pratiques de classe et aux apprentissages, domaines sur lesquels l’enseignant peut agir, concrètement, puisqu’il en est le spécialiste, contrairement aux difficultés sociales ou affectives, extérieures à l’école.

Concrètement, nous avons adopté un regard positif sur l’enfant et ses apprentissages. Ainsi, alors que nous avons souvent tendance à percevoir ce que l’enfant ne sait pas faire, ses difficultés, la démarche diagnostique positive prend le pli inverse : analyser le déjà-là de l’élève, ses potentialités, tout ce qu’il sait déjà faire, pour adapter l’action pédagogique. Il s’agit d’une autre manière de gérer l’hétérogénéité qui peut être profi-table pour tous : l’élève qui évolue en fonction de l’analyse de ses besoins et l’enseignant qui perçoit le rôle qu’il joue dans cette évolution de l’élève.

Pour pouvoir analyser le déjà-là des élèves, des repères issus de la recherche ont été apportés, pour mieux identifier les étapes par lesquelles passent les enfants, dans la construction du concept de nombre, la compréhension du principe alphabétique, la compréhension d’une histoire racontée… En expérimentant différentes activités, en classe, liées à ces repères, et en analysant les réalisations des enfants, sur base de cette grille de lecture, avec l’aide des chercheurs, les membres des équipes éduca-tives ont véritablement modifié leur regard sur l’enfant, ses apprentissages.

Changer de lunettes pour voir les possibles

« Je ne me rendais pas compte qu’il savait déjà tout ça. », a déclaré une enseignante, en analysant avec les chercheurs la production de Tom, à qui il avait été demandé d’inventer l’écriture de certains mots.

En effet, alors que l’on pourrait penser que Tom ne sait pas écrire, l’analyse positive met en évidence tout ce que Tom sait déjà faire : « Il utilise des lettres quand on lui demande d’écrire des mots, ce qui n’est déjà pas si évident ! Il aurait pu faire des va-guelettes imitant l’écriture adulte ou faire un dessin, mais il utilise déjà des lettres ! En plus, il a déjà compris que des mots différents ne peuvent s’écrire de la même ma-nière. Il utilise donc quatre graphies différentes pour quatre mots différents ! Le choix des lettres n’est pas non plus dû au hasard. Tom utilise les trois lettres qu’il connait – celles de son prénom – et il les décline différemment en fonction des mots : Jonquille = OTM ; cloche = OMT ; poule = MOT, œuf = MTO ; mais pas TOM parce que “TOM, c’est moi, et je ne suis pas une poule !” »

L’analyse a montré que Tom n’a pas encore compris le principe alphabétique, mais il a déjà compris des aspects importants du langage écrit, sur lesquels l’enseignante peut se baser pour amener l’élève à prendre, peu à peu, conscience du lien qui unit l’oral et l’écrit.

L’analyse du déjà-là des élèves permet, ensuite, de différencier les actions pédago-giques, en fonction des besoins des élèves, de la réalité de l’école, des envies des instituteurs : jeux d’apprentissage, décloisonnement en cycle à partir de groupes de besoin, travail sur la sonorité des mots, la syllabation… Cette différenciation est appa-rue comme tout à fait réaliste puisqu’il ne s’agissait pas d’individualisation, mais bien, sur base de l’analyse du cheminement de chacun des élèves, d’organiser, au maxi-mum, quatre groupes de besoins qui correspondent au nombre d’étapes par lesquelles passent les enfants, pour construire les différents concepts.

Et donc, même si notre système éducatif y recourt de manière très fréquente, même si cette pratique est porteuse des meilleures intentions, même si notre première impres-sion est positive quant à l’évolution de l’enfant maintenu, la pratique du maintien-redoublement n’est ni une fatalité, ni une solution. Des alternatives existent et passent par une modification des pratiques de classe, dans le sens d’une gestion différente de l’hétérogénéité des rythmes d’apprentissage. L’entrée dans une démarche diagnos-tique positive pour l’action pédagogique en est une illustration.

Enfin, pour gérer l’hétérogénéité, il semble que le meilleur moyen soit… l’hétérogénéité d’une équipe : ensemble, mais différents, « L’Union fait la Force ! »

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 C. BOUKO, S. KAHN, B. REY & S. VAN LINT, Analyse des causes et conséquences du maintien en troisième maternelle en Communauté française de Belgique, Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique, 2012.
2 F. CHENU, V. DUPONT, M. LEJONG, V. STAELENS & A. GRISAY, Analyse des causes et des conséquences du maintien en 3e maternelle, Administration Générale de l’Enseignement et de la Recherche Scientifique, 2011.