Le petit + de la discrimination

Des moyens positifs pour des écoles discriminées: quels sont-ils, comment sont-ils utilisés, et où se place la formation des profs?

Discriminations positives : quels termes antinomiques ! Le terme de discrimination est particulièrement malheureux : il induit une différenciation de traitement -vers le bas- d’une partie de la population ciblée sur base de critères arbitraires… Quel programme. Et quand il se réfère à l’enseignement, il vient entériner une situation indigne d’un pays démocratique qui prétend fournir à tous des chances égales d’instruction. S’il est utilisé, c’est que le constat de ces discriminations est un fait.

Comment y remédier ? En y apportant un bémol, une nuance : ces discriminations sont positives. On remédie au fait qu’une partie de la population est arbitrairement discriminée, on ” rattrape l’inégalité ” ? Je n’y comprends plus rien. Pourquoi faudrait-il accepter la discrimination ?

Qui choisit les moyens financiers et pédagogiques à mettre en œuvre dans les écoles en D+ ? Quel rôle, dans les choix et les stratégies, les enseignants de ces écoles y jouent-ils ?

De l’urgence dans la durée

Je découvre dans une édition de la circulaire sur les discriminations positives dans le secondaire, que les écoles reconnues en D+ peuvent obtenir des heures-professeurs supplémentaires, ainsi que des budgets pour mettre en place des actions qui aident à ” assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale “[1]Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.2.. Un projet d’action doit être élaboré par l’équipe éducative, en lien avec la spécificité du projet d’établissement, pour un cycle de trois ans, dans une perspective de durée et de continuité [2]Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.7..

Concrètement, dans mon implantation reconnue en D+, à la mi-janvier, la direction nous a demandé de concevoir, dans l’urgence et sans nous fournir tous les documents de référence, des projets pour l’obtention des fonds D+. Mes collègues ont demandé des heures pour l’adaptation à la langue française, des périodes-profs pour mettre deux profs dans certaines classes (pour la pédagogie différenciée ou des classes-ateliers), des heures de méthode de travail et des heures et des moyens pour gérer la salle d’études et y intégrer un centre de documentation.

Des moyens pour la pratique

J’ai abordé le problème d’une formation des enseignants adaptée à la réalisation de ces beaux programmes : comment enseigner le français langue étrangère, accueillir des jeunes analphabètes ou illettrés de tous horizons dans notre cadre scolaire, mettre en place des structures et méthodes actives pour une classe-atelier, former les élèves à la gestion autonome de leur travail, gérer un centre de documentation,… ? Le problème central me semble en effet être celui de la formation des enseignants – quel que soit le milieu dans lequel ils travaillent. Mais il parait que former les profs revient à augmenter leur confort et ne concourt pas à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale. Ma proposition est donc rejetée. À mon grand étonnement, elle figure en première place dans la circulaire [3]Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.8.: ” organisation de formations spécifiques pour les enseignants “.

Au-delà de toutes les frustrations subies par l’équipe éducative dans la procédure mise en place pour la rédaction du projet, au-delà de ma frustration personnelle, je me pose des questions. Quels avantages vont retirer les élèves de moyens mis en œuvre sans formation ni réflexion de l’équipe éducative ? Quelles qualités pédagogiques le personnel enseignant met-il en œuvre, ou est-il stimulé à mettre en œuvre, après de telles conditions de travail ? Peut-on réellement espérer que les moyens mis à disposition vont discriminer positivement les élèves ? C’est vrai que les profs travailleront dans un moins grand inconfort matériel. Je pense néanmoins que l’objectif n’est pas celui-là.

Ma réflexion se confirme quand je lis les recommandations des ministres qui souhaitent non seulement que les projets soient en adéquation avec l’objectif de promouvoir des actions pédagogiques destinées à assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale, avec les besoins du terrain et le projet d’établissement, mais surtout qu’une cohérence interne en ressorte clairement [4]Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.9.. Ils demandent également que les projets prennent en compte les constats issus d’évaluations internes ou externes menées dans l’implantation. Cela est une autre histoire…

Quand enfin un décret reconnait les difficultés des écoles en D+ et demande l’aide des équipes éducatives, il est décevant de constater que les mécanismes internes de l’établissement interviennent pour réduire la portée des moyens dégagés et concourent à disqualifier les enseignants dans l’opinion publique. Je ne sais pas comment sont rédigés et réalisés les projets D+ dans les autres écoles, ni comment leur portée est évaluée, par quels organes et selon quels critères.

Quels éléments apporter à ce décret pour que les idées généreuses qu’il contient puissent se concrétiser dans le long terme ? Des outils d’évaluation, des propositions concrètes de formation, des heures-professeurs pour permettre la réflexion et le travail collectif dans les établissements ? Au-delà des moyens matériels, quel pouvoir est-on prêt à tous les niveaux à confier aux équipes pédagogiques pour initier de réels changements ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.2.
2 Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.7.
3 Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.8.
4 Circulaire n°000454, 22 janvier 2003, p.9.