Le plaisir d’apprendre et la joie de penser

Après Edgar Morin, la parole à Philippe Meirieu et à ses invités (Cyrulnik, Dubet, Gauchet, Favey, Benameur, …). Un beau livre, de belles illustrations, des contributions percutantes [Le plaisir d’apprendre, Autrement et la Ligue de l’enseignement, 2014]. Je me limiterai ici à quelques citations du maître d’œuvre : des extraits du « Manifeste » de Meirieu pour alimenter la réflexion et provoquer le débat.

La question ? « Comment faire émerger la joie d’apprendre et de penser, une joie galopante et contagieuse, une joie qui batte en brèche les fatalités, érode la résignation et invite au partage des savoirs ? ». Question qui peut paraître naïve, inouïe par les temps qui courent.

Un des obstacles : « l’utilitarisme scolaire » qui est omniprésent et qui empêche l’élève « d’entrer dans l’intelligence des choses : les savoirs continueront d’être pour lui de simples utilités scolaires, l’apprentissage une obligation imposée par les adultes et la scolarité tout entière un parcours du combattant. Certes, dans le meilleur des cas, il aura acquis la dextérité nécessaire pour surmonter les obstacles, éviter les embûches et monter sur un podium, mais la culture restera pour lui un ensemble incohérent d’exercices arbitraires. Il n’aura rien vu du formidable pouvoir émancipateur des œuvres humaines. Il sera passé à côté du plaisir d’apprendre et de la joie de penser ».

Autrement ? Parmi les pistes avancées par Meirieu, j’en relève trois. A commencer par son plaidoyer pour la « pédagogie du chef d’œuvre » qu’il conclut : « … loin de la répétition permanente d’exercices standardisés, la pédagogie du chef d’œuvre conjugue compréhension et création. Elle seule peut sauver l’école de l’ennui. Car elle permet à chaque être, délivré du souci obsédant et mortifère d’être meilleur que les autres, d’aspirer à devenir meilleur que lui-même ».

La pensée et les humanités. « C’est dans l’apprentissage assumé, quand on écarte les mâchoires de l’immédiateté pulsionnelle, que se déploie la pensée. Et seule la pensée peut résister à toutes les instrumentalisations médiatiques et marchandes, technologiques et démagogiques. Seule la pensée peut armer la liberté et soutenir l’espérance démocratique. Seule la pensée permet aux humains de se découvrir fils et filles des mêmes questions, solidaires dans leur quête de vérité et assignés ainsi ensemble à la même modestie qui leur permet, parfois, de faire reculer la violence ».

Ensemble ! C’est « la construction du commun » et nous sommes là au cœur de la pensée de Philippe Meirieu qu’il précise encore dans un récent entretien avec Le Monde : « Certes, cette construction passe par des rituels scolaires que nous avons à ré-inventer, mais elle passe aussi par l’acquisition d’une culture commune et la fréquentation des « humanités ». C’est pourquoi je crois à la nécessité de développer beaucoup plus l’approche littéraire et artistique. La littérature et l’art [Le livre propose deux témoignages d’instituteurs qui accordent beaucoup de place à l’approche artistique.] permettent en effet de développer la capacité d’empathie à l’égard de l’autre, d’entrer dans son référentiel sans s’y perdre ; ils nous aident à nous mettre à la place de l’autre pour penser avec lui – ni pour lui, ni contre lui. C’est ainsi qu’on peut se dégager de la peur et de l’agressivité pour se reconnaître comme participants ensemble de « l’humaine condition ». C’est ainsi que, dans une société laïque, nous pouvons ne pas toujours partager les mêmes réponses à des questions existentielles, mais devons nous reconnaître comme fils et filles des mêmes questions fondatrices. Et c’est ainsi qu’on peut travailler ensemble à la construction du bien commun » [Le Monde, 24 janvier 2015].

Quelle place accordons-nous à ces finalités ? Dans les classes, dans les réunions, dans les formations initiale et continuée, dans les groupes du Pacte d’excellence, dans les médias, …