Le problème avec McKinsey

Pourquoi avons-nous un problème avec l’usage intensif que le politique fait de McKinsey dans le Pacte pour un Enseignement d’Excellence ?

Non pas parce qu’il bousculerait des conventions ou des habitudes auxquelles les acteurs de l’école seraient cramponnés, nous sommes pour des changements radicaux et ambitieux ! Mais :
– parce que CGé est un mouvement qui, depuis 44 ans, conçoit le combat contre les inégalités comme une mission difficile, mais fondamentale, et qui ne peut être rencontrée qu’au sein d’un enseignement public. L’Histoire n’a-t-elle pas démontré que nulle part les partenaires privés économiques n’ont contribué à améliorer le fonctionnement de l’École en termes d’égalité et de citoyenneté[1]Lire à ce sujet le dernier livre de Vincent Dupriez, « Peut-on réformer l’école ? Approches organisationnelle et institutionnelle du changement pédagogique », De Boeck, 2015. ? Selon nous, l’idée d’égalité pour tous ne se décline pas qu’en termes de réussite. Comme si le fait que tous devenaient excellents correspondrait automatiquement à un fonctionnement social excellent, respectueux de tous et visant le progrès pour tous ! Il manque l’idée d’éducation citoyenne, si chère au Décret Missions, qui correspond à l’idée que nous devons former des citoyens, dans une société où chacun a une place et pas seulement des « battants économiquement » ;
parce que nous pensons, avec d’autres acteurs du groupe central, que confier ce contrat de consultance à McKinsey n’est pas anodin, que notre système d’enseignement public doit être renforcé et pas court-circuité ;
– parce McKinsey ne représente pas n’importe quoi. C’est l’intrusion du monde privé économique avec ses valeurs en termes de rentabilité, de performance et d’efficacité. C’est une grosse machine avec beaucoup de moyens et ses objectifs propres à moyen et long terme ;
– parce que, quand McKinsey parle de performance des systèmes scolaires, il place la Corée dans le peloton de tête. Or, outre les flous méthodologiques relevés dans les recherches sur lesquelles il se base, le système scolaire coréen est à l’opposé de ce que nous considérons comme une école émancipatrice. C’est, au contraire, un système hypercompétitif qui fonctionne à coup de bachotage intensif, avec pression à la réussite et cours particuliers à haute dose payés par les parents !
– parce que, parmi les caractéristiques qu’il relève dans les systèmes les plus performants, McKinsey n’intègre pas la prise en compte du rapport au savoir des élèves éloignés de la culture scolaire pour leur permettre de réussir alors que cette dimension est déterminante ;
– parce que, si certains savoirs peuvent être amenés par le privé, celui-ci ne peut en aucun cas se substituer aux différentes instances de l’enseignement chargées d’accompagner et de piloter notre système éducatif. Cela ne veut pas dire que ces acteurs et instances doivent continuer à procéder comme ils procèdent, mais c’est eux qu’il faut équiper et avec eux qu’il faut relever le défi des changements à implémenter ;
– parce que McKinsey et nous travaillons sur base d’hypothèses et de finalités différentes. Nous pensons qu’il est impossible d’infléchir significativement la situation et les résultats des écoles les plus en difficultés sans toucher au fonctionnement du système tandis que McKinsey semble penser que si, moyennant les mesures qu’il propose ;
– parce que McKinsey pense qu’il sait ce qui serait « bon pour l’école » ! Nous différons quant à la posture à adopter : il s’agit de faire avec les acteurs et pas pour ou sur eux…
Pour ce qui concerne cette fameuse mesure d’« encadrement des écoles en difficultés [2]Nous revenons plus longuement sur ce dispositif décrit dans les articles 70 et 71 du décret « fourretout » en page 30. », s’il nous était donné d’intervenir, nous ne proposerions pas un accompagnement, mais bien une analyse collective produite avec et par tous les acteurs de ces établissements[3]Les profs, la direction, les élèves, les parents, les éducateurs, les médiateurs, et plus largement les travailleurs des associations proches de l’école.. McKinsey est davantage dans une démarche de mise en œuvre de « recettes » déjà réfléchies alors que nous souhaitons construire une réflexion ouverte à partir de ce qui émergera du travail avec les acteurs de terrain. Dans notre approche, on replace les différents protagonistes de l’analyse collective en position d’acteurs.

Pactiser avec le diable ?

Le pouvoir politique a pourtant choisi de lui confier non seulement la production d’une bonne partie de l’état des lieux du Pacte, mais aussi la délicate mission de compiler, synthétiser et mettre en forme les résultats des 3 jours de caucus singulier qui ont eu lieu en mars. Certains disent déjà ne pas reconnaitre des propositions qui émergeaient des groupes de travail…
Le budget de 38 000 euros qui lui a été octroyé par la FWB pour réaliser ces différentes missions était vraiment léger par rapport à la somme de travail. Ce qui nous confirme que l’issue du Pacte constitue un enjeu important pour McKinsey.

Un écho qui raisonne

Les révélations de l’Écho[4]Article dans l’Écho du 16 avril 2016. annoncent qu’un montant de 8 000 000 € aurait été versé par le secteur privé à McKinsey pour financer sa participation au Pacte. Elles font fortement monter les enchères. Et pour le coup, on a un vrai souci tant sur le plan démocratique que sur le plan éthique. Le monde économique est un acteur qui n’est évidemment pas illégitime dans le processus du Pacte, mais à condition de tenir sa place, de façon à la fois transparente et équilibrée, et de ne pas tenter de noyauter le processus.
Contacté par nos soins sur la question, le directeur de McKinsey Belgium se refuse à tout commentaire en disant qu’il n’a à rendre public ni l’origine ni le montant des ressources financières qu’ils ont reçues pour investir le Pacte…
Pourtant, qui alimente secrètement le portefeuille du consultant, acteur clé de ce chantier public d’intérêt général, détient un fameux pouvoir occulte !
Le politique a un devoir d’information du public sur toute cette affaire. Il dit quoi ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Lire à ce sujet le dernier livre de Vincent Dupriez, « Peut-on réformer l’école ? Approches organisationnelle et institutionnelle du changement pédagogique », De Boeck, 2015.
2 Nous revenons plus longuement sur ce dispositif décrit dans les articles 70 et 71 du décret « fourretout » en page 30.
3 Les profs, la direction, les élèves, les parents, les éducateurs, les médiateurs, et plus largement les travailleurs des associations proches de l’école.
4 Article dans l’Écho du 16 avril 2016.