Quel est l’impact de l’établissement secondaire fréquenté sur les chances de réussite à l’Université[1]Les notes et renvois aux recherches ont été supprimés pour faciliter la lecture. Cette bibliographie est disponible sur le site https://goo.gl/ZwCniF ?
Alors que la liberté d’accès à l’enseignement supérieur est de plus en plus écornée, du moins dans les filières les plus en vue, et que l’enseignement obligatoire peine à trouver et mettre en œuvre des solutions pour limiter les ségrégations et leurs effets désastreux, une équipe interuniversitaire remettait, en 2013, un rapport au ministre Marcourt. Ce rapport était destiné à identifier les fondements d’un système d’encadrement et de financement différenciés dans le supérieur.
Le système éducatif belge francophone est généralement décrit comme injuste et inefficace, mais il est aussi passablement hypocrite : chacun peut théoriquement choisir son école, mais aucune information objective n’est communiquée par rapport aux critères possibles de choix des parents et des élèves. Si on considère la manière dont certains parents sont viscéralement attachés à cette liberté, il n’est pas inutile d’en interroger les causes profondes. Celles-ci ne semblent plus liées que de manière très ténue aux convictions philosophiques ou religieuses des parents et des écoles. Par contre, la qualité de l’offre est très souvent évoquée. De quoi s’agit-il en fait ?
Parmi les critères de qualité épinglés par les parents, celui de la réussite dans l’enseignement supérieur est sans doute l’un des plus importants. Il ne s’agit pas d’établir un palmarès des établissements d’enseignement secondaire qui obtiennent de forts taux de réussite à l’université, ni même de plaider pour un tel palmarès. Celui-ci, s’il avait le mérite de jeter un jour cru sur notre système, aurait aussi pour effet de nier le travail des équipes éducatives qui, jour après jour, dans certains établissements jugés difficiles, luttent pour faire mentir les prédictions. Alors que d’autres collègues peuvent davantage capitaliser… sur le capital social et culturel de leurs élèves et un système impitoyable de sélection par l’échec et de réorientations négatives.
Il ne s’agit pas de fustiger certains établissements ou de justifier un évitement des établissements qui regroupent les élèves des quartiers les moins favorisés, mais bien d’indiquer combien notre système d’enseignement obligatoire ne parvient pas à se réguler, sur une autre base que celle du marché scolaire. Il est aussi aggravé par des mesures « pédagogiques » peu efficaces et injustes : redoublement et orientations négatives, pour ne citer que les deux principales.
Il faut aussi souligner combien il est dangereux, sur cette base, de parler de mérite individuel à l’entrée de l’enseignement supérieur et, encore bien plus dangereux — si on se soucie quelque peu d’équité — de mettre en place des filtres d’accès dès l’entrée, sur la seule base des acquis de l’enseignement secondaire, comme sésame des cursus les plus demandés, les plus valorisés ou les mieux défendus par des lobbys soucieux de préserver leurs avantages à travers l’organisation de la rareté. Le contingentement des études médicales en est un bon exemple, exacerbé par les partis de droite du nord du pays (sur fonds communautaire) et la complicité / passivité du parti francophone de la majorité fédérale. Et ce malgré les arrêts récents du Conseil d’État qui en indique bien l’absence de fondements juridiques, mais aussi scientifiques.
Si les parents ne disposent pas d’informations objectives pour apprécier la qualité des établissements scolaires, le système éducatif et ses décideurs — notion très relative dans un quasi-marché — disposent eux aussi de peu d’éléments. Il est quasiment impossible de savoir ce que les élèves à la sortie de 12 années de scolarité obligatoire maitrisent réellement, même d’un point de vue purement formel et théorique. Cette impossibilité résulte à la fois de l’absence d’une évaluation externe complète des compétences et savoirs en fin de secondaire et des référentiels flous et traduits de manière multiple et fort questionnable dans une série incroyable de programmes liés à chaque réseau et, en leur sein, aux différentes filières d’enseignement.
Dans le rapport évoqué dans l’introduction, nous avons utilisé la réussite à l’université comme une sorte d’évaluation très incomplète, certes, mais disponible, de la maitrise, par les sortants du système d’enseignement secondaire, de ce qui est attendu d’eux. On peut utiliser ce critère puisqu’aujourd’hui tout détenteur d’un Certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS) a le droit d’accéder et sans doute de réussir, dans une certaine mesure, des études universitaires. La démarche adoptée consiste à tenter d’identifier les paramètres qui peuvent, sur la base d’une observation empirique, réduire ces chances de réussite pour certains, plus que d’autres.
L’établissement d’enseignement secondaire suivi ou, plus exactement, la composition sociale de celui-ci influence les chances de réussite ou les risques d’échec, comme d’autres paramètres individuels tels que le fait d’être boursier ou d’avoir subi un retard scolaire durant ses études secondaires.
En fait, le classement des établissements d’enseignement secondaire en fonction de l’indice socioéconomique qui leur est attribué dans le cadre de la politique d’encadrement différencié permet de montrer que, si on compare les chances de réussite des élèves dans les trois universités qui ont participé à l’étude, sur les six que compte la Fédération Wallonie-Bruxelles, les chances de réussite des élèves montrent des écarts très importants. Voici un extrait des tableaux présentés dans l’étude :
Ces différents constats ne sont malheureusement que des sous-estimations des phénomènes à l’œuvre. En effet, les élèves qui ne réussissent pas en 1re année, pour une part, redoublent, mais aussi abandonnent et, année après année, un filtre impitoyable agit également. Cela n’est pas visible dans les données produites par l’équipe interuniversitaire qui a analysé les taux de réussite des élèves à l’issue de chacune des trois premières années d’études et non pas le parcours réel de chaque étudiant. D’autres biais minimisent encore les effets dramatiques mis en évidence, notamment ce que l’on appelle des biais de sélection à l’entrée : seuls les élèves qui accèdent à l’université sont pris en compte et le taux d’inscription des élèves issus, par exemple, des groupes les moins favorisés ou des filières techniques et professionnelles sont bien plus limités que ceux des groupes socioéconomiquement favorisés ou issus des filières de transition.
Les auteurs de l’étude résument les choses de la manière suivante : « L’examen des taux de réussite selon les caractéristiques des étudiants met en évidence que la filière fréquentée dans le secondaire, le retard scolaire acquis avant l’entrée à l’université, le fait de bénéficier ou non d’une bourse d’études et l’indice socioéconomique de l’école secondaire de provenance sont des variables ayant une influence sur la réussite des étudiants durant les trois premières années à l’université. Toutefois, il n’est pas rare que des élèves possèdent plusieurs des caractéristiques identifiées comme étant un frein à la réussite. En effet, les écoles proposant un enseignement qualifiant accueillent davantage d’élèves habitant dans un quartier où l’indice socioéconomique est faible mais également davantage d’élèves ayant un retard scolaire. Enfin, les élèves ayant ce profil sont également proportionnellement plus nombreux à être boursiers que les élèves issus de l’enseignement général. Aussi, la simple étude des taux de réussite ne permet-elle pas de déterminer l’effet d’une variable tout en maintenant les autres sous contrôle. » Cela nécessite donc des modèles d’analyse plus complexes qui ont permis d’estimer la contribution de chaque déterminant, comme nous l’avons indiqué dans le paragraphe précédent.
Si tout le monde ne va pas à l’université, notre système entretient la fiction d’un accès égal pour tous, y compris pour les élèves issus des filières de qualification, moyennant la réussite du CESS. La délivrance de celui-ci reste une initiative locale, propre à chaque établissement et une analyse statistique un peu sérieuse met clairement en évidence que les chances de chacun ne sont pas indépendantes de plusieurs paramètres dont certains échappent au contrôle des élèves et de leurs parents : la composition socioéconomique des écoles secondaires fréquentées et le fait d’être ou non dans les conditions d’obtention d’une bourse d’études. D’autres facteurs ont aussi un effet important sur la réussite à l’université : la filière fréquentée dans le secondaire et le fait d’avoir « bénéficié » d’un redoublement durant l’enseignement obligatoire. Ces résultats soulignent, l’incapacité de l’enseignement supérieur à rebattre les cartes — mais qui en aurait douté alors que ce niveau est systématiquement « définancé » par le système de l’enveloppe fermée qui réduit, année après année, le financement par étudiant (contrairement à l’enseignement obligatoire). Cette étude souligne aussi, une nouvelle fois, l’inefficacité du redoublement et de la sélection négative à travers le toboggan qui mène les élèves les plus faibles vers des filières de moins en moins demandées et exigeantes. Elle questionne les moyens attribués à l’encadrement différencié et pointe la nécessité de trouver d’autres solutions réellement pédagogiques aux difficultés d’apprentissage. Elle montre aussi que les élèves les moins favorisés socioéconomiquement sont aussi les victimes les plus nombreuses d’un système hypocrite et inefficace.
Notes de bas de page
↑1 | Les notes et renvois aux recherches ont été supprimés pour faciliter la lecture. Cette bibliographie est disponible sur le site https://goo.gl/ZwCniF |
---|