Le système digestif en classe : gare à l’indigestion !

Dans une classe de cinquièmes et sixièmes, des écarts importants sont observés dans la maitrise de la langue française. Grégory nous explique l’objectif qu’il partage avec ses collègues, à savoir aider les élèves à devenir autonomes dans la recherche d’informations.

Pour cela, il a choisi une recherche documentaire sur le système digestif. Après avoir partagé ce que les uns et les autres savaient déjà de la digestion chez l’homme et ce qu’ils pensaient en comprendre, chaque élève reçoit pour consigne de confronter ces ébauches de savoir à ce qu’en disent les livres documentaires. Le tout à reformuler dans un texte de cinq à dix lignes. Cette recherche individuelle sera ensuite discutée en petits groupes : a-t-on trouvé les mêmes informations ? Qu’avons-nous compris ? Comment vérifier l’exactitude des informations et que retenir ? Un plat d’une singulière consistance.

Digérer l’info et en régurgiter
la substantifique moelle !

Une trentaine de livres documentaires ont été sélectionnés dans le centre de documentation de l’école. Leur degré de complexité va du livre qui s’adresse à un enfant de six ans jusqu’aux encyclopédies pour des élèves de début du secondaire. La seule démarche de sélection de l’ouvrage utile à sa recherche et compréhensible à son niveau est déjà tout un apprentissage : titres, tables de matières, index, illustrations… Le repérage se fait sans trop de difficulté pour la majorité des élèves, la démarche ayant été entamée dès la maternelle, au sein de l’école. Reste à comprendre l’information quand on pense l’avoir correctement localisée.
Pour inciter à comparer les informations, chaque élève est invité à consulter trois ouvrages. Les livres sont disponibles dans un local de lecture sans qu’ils puissent être emportés vers le lieu de la mise en écrit. Le but est d’amener chacun à glaner l’une ou l’autre information attendue et à la comprendre suffisamment pour pouvoir la reformuler à distance du document d’origine. Le défi est de taille. Certains élèves multiplient les allers-retours, ils tentent de mémoriser des fragments de textes tout en n’y comprenant goutte ! Première prise de conscience : si plusieurs élèves disent comprendre l’information, la majorité ne parvient pas à la reformuler. Les élèves s’accrochent désespérément au texte du livre et retranscrivent des bribes de phrases ardument retenues. Grégory repère les élèves les plus en difficulté, il les oriente vers des textes plus accessibles. Il les encourage à paraphraser les mots complexes, à reformuler à voix haute ce qu’ils pensent avoir compris et ce qu’ils ont envie de partager avec leurs pairs.

L’infinie créativité de la langue

Tant bien que mal, les pages se couvrent de phrases, plus ou moins longues, tantôt expertes, tantôt maladroites. On retrouve, çà et là, des embryons de schémas. Il est temps de se confronter aux copains pour partager toutes les informations recueillies, et, surtout, pour partager ce qu’on en a compris ! Deuxième prise de conscience : beaucoup d’élèves ne reconnaissent pas ce qu’il y a d’identique dans deux messages différemment structurés. Au sein de la classe, les niveaux langagiers sont si diversifiés que les marqueurs les plus fluorescents peinent à retrouver une même information sous des parures si multiples.
Charles : « La digestion permet de transformer la nourriture… »
Anya : « Tout au long du parcours, la nourriture est écrasée, liquéfiée (sic) puis lentement transformée par des substances chimiques et assimilée par le corps… »
Ayoub : « Les aliments sont mâchés, écrasés ou liquidifiés pour passer dans toutes les cellules du corps (sic)… »
Qui a raison ? Que retenir ? Transformer, écraser, mâcher, liquéfier sont-ils synonymes ? Si les mots existent, c’est que les nuances existent tout autant… Quand employer celui-ci plutôt que celui-là ? La classe se transforme en terrain de débat : comment allons-nous négocier la compréhension de l’information et sa reformulation commune ?

La recherche documentaire, une tâche scolaire qui ne s’improvise pas

Les questionnaires sont souvent longs, très longs : on s’impose de couvrir toute la matière à voir. Les réponses si diversifiées mettent les enseignants face à la difficulté de leur traitement : traiter l’exactitude de l’information ou la langue dans laquelle elle est exprimée ? La recherche documentaire place l’enseignant devant l’écart colossal qui existe entre la langue écrite à visée informative et la langue de nombreux élèves. Comment exploiter les recherches menées individuellement et en groupes ? Comment, avec vingt-quatre élèves, gérer une mise en commun efficace en termes d’apprentissage ? Comment s’assurer que les savoirs soient précisés, ajustés et consolidés ? Comment appréhender les concepts en respectant la maturité cognitive des élèves ? Les synthèses, recopiées sur de grandes feuilles sont affichées, côte à côte, au tableau. Un nouveau travail de comparaison se met en place. Quelles sont les idées communes ? Différentes ? Comment les vérifier ? Qu’est-ce qu’on garde ? Qu’est-ce qu’on ne garde pas ? Pourquoi ? Certaines informations ne sont reprises que sur une affiche, mais leur pertinence invite à les conserver dans la synthèse commune qui se dégage et que l’on va finalement confronter à la synthèse plus formelle que Grégory a sélectionnée. Les différentes synthèses seront conservées au cahier, afin que l’élève puisse retrouver les différents niveaux langagiers utilisés autour d’un même savoir. La coexistence des traces parfois plus naïves et maladroites des élèves et du résumé plus académique est essentielle pour que les élèves puissent retrouver le chemin du savoir.

De petites bouchées pour entrer
dans la saveur des savoirs[1]J.-P.  Astolfi, La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF, 2008.

Grégory nous communique ses inquiétudes et celle de ses collègues : travailler comme cela est très intéressant, les élèves s’approprient beaucoup mieux les savoirs, mais cela prend un temps fou !
Vrai ! Mais quels sont les enjeux d’une telle démarche ? Tout connaitre du système digestif comme un futur médecin ? Mémoriser les termes les plus précis sans avoir pris le temps de les digérer ? Mémoriser des savoirs rapidement balayés est rassurant dans l’immédiat, peut-être, mais rarement rentable sur le long terme ! Et la scolarité est ponctuée de ces savoirs appris pour être aussitôt oubliés. L’invitation est plutôt à mettre en place un travail de fond. Les collègues de Grégory, en troisième et en quatrième années, s’y attèlent déjà, notamment à partir des cartes mentales élaborées avec les jeunes élèves et qui amènent à traduire des expressions nominales en phrases plus élaborées.
La recette, s’il est pertinent d’utiliser ce mot quand on parle d’apprentissage, tient à quelques ingrédients de base :
– oser s’appuyer sur ce que connaissent les élèves, le beaucoup de certains et le très peu des autres ;
– s’autoriser à limiter le champ des savoirs pour disposer d’un vrai temps d’observation, de discussion, de comparaison, d’esprit critique… Accepter de limiter un questionnaire de recherche à deux questions, fondamentales ici et maintenant, avec les élèves tels que je les accueille dans ma classe ;
– s’imposer un travail de reformulation en classe, avec tous les élèves pour produire ensemble un savoir partagé et faire évoluer pour tous la langue qui permet de la dire.
Éveiller le gout de la rigueur et de la précision est un défi de taille ! Difficile certes mais, pour Grégory, le constat est formel : la richesse sur le plan linguistique va de pair avec une compréhension de plus en plus fine des savoirs. C’est peut-être là l’enjeu premier de l’apprentissage du FLSco !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 J.-P.  Astolfi, La saveur des savoirs. Disciplines et plaisir d’apprendre, ESF, 2008.