Le verbe qui porte

L’écrit donne la parole à ceux qui ne savent pas lire.

Fin juin, en 3e maternelle. Bryan me dicte le texte qui accompagnera son dessin : « Dans mon école, avant de rentrer en classe, il faut voir les responsabilités des enfants. Moi, le matin, je veux voir la liste des responsabilités mais parfois, j’oublie. J’aime bien transmettre les messages parce que, quand je donne le message, ils me disent : “Merci��? et après, moi je dis : “De rien��?. »

Dans ma pratique d’institutrice, cette liste a une histoire. Elle commence avec les disputes des enfants au moment de conduire le rang, d’ouvrir la porte. C’est moi qui désigne l’heureux élu, qui choisis souvent les mêmes, qui oublie qui l’a déjà fait, qui retire au turbulent ce qui est considéré comme un privilège…

Une place pour chacun

Pour lutter contre l’arbitraire et permettre à tous de patienter ou de se réjouir, j’organise un tableau des charges. De fil en aiguille, j’affine, j’étoffe…

Les charges deviennent des responsabilités. Tous les élèves en ont une. Tous pourront à un moment ou un autre exercer celles qui ont le plus de succès.
Mais devront aussi se coltiner à celles qui leur paraissent plus rébarbatives. Droits, devoirs, où trouve-t-on son plaisir ?

Je groupe les enfants par deux, et pas uniquement pour conduire le rang. J’essaie de former des paires complémentaires (un fort, un faible). Chaque semaine, les enfants ont un nouveau partenaire : ils s’entraident ou assument leur responsabilité à tour de rôle.

Pour que cela soit possible, les responsabilités doivent devenir plus nombreuses. C’est l’occasion de faire participer les enfants à la gestion de la classe. Ce que je prenais en charge par facilité, par efficacité à court terme, j’y engage les enfants. Bien sûr, je reste responsable de la bonne tenue de mon registre, mais quand il complète la liste des présents et des absents, mon élève comprend ce que je fais à ce moment-là et pourquoi je demande le calme nécessaire à ma concentration. Lui aussi s’est emmêlé les pinceaux dans son tableau à double entrée et a marqué Luis absent alors qu’il pensait le faire pour Louise. De plus, ce n’est pas moi qui le lui fais remarquer, mais Ester.

L’organisation, les règles, leur formalisation apaisent, rassurent, garantissent une place à chacun, favorisent l’estime de soi et la reconnaissance d’autrui. Elles favorisent l’autonomie et l’engagement : elles sont utiles au bon fonctionnement de la classe.

Des mots pour tous

Le passage à l’écrit s’impose comme trace, comme mémoire de ce qui a été décidé. Si l’écrit ne s’affiche pas, il n’est pas lu. On ne peut pas se référer à lui, le prendre à témoin pour résoudre des conflits sans faire appel à l’institutrice. Grâce à lui, les enfants deviennent plus autonomes : « Rania, c’est à mon tour de m’occuper des calendriers, viens voir… »

Mais cet écrit qui désigne un responsable désigne aussi une responsabilité. Souvent, en maternelle, les concepts s’affichent en images auxquelles on accole une étiquette-mot. Les charges sont traditionnellement symbolisées par un objet qui sert à les effectuer : une éponge pour le nettoyage, un arrosoir pour l’entretien des plantations, etc. Au risque parfois d’oublier que les chocos sont là pour être distribués, les portes pour être ouvertes… Être responsable, c’est agir et donc, quand je « verbalise » ces responsabilités, je suis attentive à mettre en évidence un verbe. Et l’image qui va soutenir la lecture du texte, c’est la photo d’un enfant en action.
Transmettre les messages, et voilà la photo d’Amal qui s’adresse à la directrice dans son bureau ; Compléter la liste des présents et des absents, et voilà la photo d’Ulysse qui dessine une ligne ou un rond à côté de chaque prénom de la classe. Remplacer les absents ? Voilà la photo impossible à prendre et un beau questionnement en perspective, provisoirement résolu par l’utilisation d’un beau grand point d’interrogation !

Mon objectif de départ est atteint. Ce n’est plus uniquement moi qui demande, sanctionne ou valorise. De plus, moi aussi, j’apprends ainsi à mieux m’organiser. Moi aussi, je m’engage vis-à-vis de mes élèves et j’ai à rendre compte de ce qui est de mon ressort (avoir imprimé les listes, ne pas oublier le tour de parole à propos des responsabilités, etc.).

Mais mon rôle reste prépondérant. Ne pourrais-je pas aller plus loin dans la confiance que j’accorde aux capacités des enfants, dans l’identification des différents apprentissages qui sont en jeu, dans la place que je leur laisse dans l’élaboration de ce dispositif ?

Voici que revient septembre, de nouveaux élèves, de nouvelles disputes autour de la clef et l’opportunité de construire avec eux une gestion plus collective de la classe.