La liberté des femmes et celle des établissements scolaires, c’est le contraire de l’autonomie. C’est ce que découvrent aujourd’hui cinq jeunes filles musulmanes en Wallonie profonde. Le voile dévoile une autonomie entravée par la liberté.
Cela se passe dans une ville de province wallonne. Cinq jeunes filles musulmanes fréquentent la dernière école secondaire d’enseignement général de transition permettant le voile. Trois de ces cinq jeunes filles sont en 5e secondaire, elles réussissent bien, font des projets d’études universitaires. Tout baigne. Inch’Allah.
Toutes les autres écoles générales de la ville et des trois réseaux ont déjà interdit le port du voile. Il reste plusieurs écoles techniques et professionnelles où le voile est permis et même répandu. En mars, la direction de cette école générale informe les parents de ces cinq jeunes filles que l’année prochaine, le voile sera interdit. Les mamans s’organisent et délèguent une professeure d’arabe, voilée elle-même, pour négocier au moins la possibilité pour les trois jeunes filles de 5e de terminer leur secondaire. Rien n’y fait : elles devront choisir, terminer leur secondaire général non voilées ou aller voir ailleurs, dans une des écoles techniques et professionnelles. Le directeur insiste : elles sont libres de venir voilées jusqu’à l’entrée de l’établissement, mais dès le seuil, c’est le voile protecteur de la liberté laïque qui s’étendra sur elles.
Les mamans ne s’avouent pas battues. Avec leur déléguée intellectuelle, en avril, elles prennent contact avec un bon collège catholique rural, situé pas trop loin et aisément accessible en train, une école qui ne s’est jamais posé la question du voile. La directrice adjointe de cette école fera même remarquer, satisfaite de l’expérience, que c’est la première fois qu’elle a l’occasion de parler avec des femmes voilées. Ah, la richesse de la diversité culturelle, quel émerveillement !
Les mamans reçoivent la garantie que leur demande va être prise en considération au nom des valeurs chrétiennes d’accueil, de tolérance et de générosité. C’est ainsi que leur demande sera présentée au Pouvoir Organisateur qui en débat longuement, en prenant tout en considération, douloureusement, comme il se doit. À partir de l’année prochaine, le règlement d’ordre intérieur de ce bon collège prévoira l’interdiction du port du voile.
Dès septembre prochain, les trois jeunes filles auront un an pour se préparer ensemble, mais seules, à présenter l’examen en filière libre. Laïcs à fric et cathos mercatos sont solidaires dans leur travail d’émancipation des jeunes filles musulmanes en les privant d’enseignement, de professeurs, de relations sociales en dehors de leur milieu. Philosophiquement, c’est une Liberté immanente et essentielle qui interdit une autonomie qui se construit dans l’expérience. Et politiquement, c’est encore plus dégueulasse…
Politiquement, c’est la liberté du bon collège rural et la liberté des écoles professionnelles urbaines que d’interdire et de permettre le voile. C’est d’ailleurs la position du Segec : ne pas légiférer en la matière, mais permettre et encourager l’autonomie des établissements afin qu’ils puissent s’adapter au mieux à leur environnement social et culturel, pour poursuivre les missions qui sont les leurs et ainsi exclure ces cinq jeunes filles en toute bonne conscience.
Le Segec et le Cpeons[1]Pour rappel, le Segec (enseignement catholique) et le Cpeons (enseignement communal et provincial) sont les deux plus grosses fédérations de pouvoirs organisateurs. font de ce qu’ils appellent l’autonomie des établissements leur premier objectif politique, pour ne pas dire leur unique raison d’exister. En quoi ils se trompent, ce n’est pas l’autonomie qu’ils réclament mais la liberté, celle qui opprime : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maitre et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (LACORDAIRE, moine dominicain, occupant à l’Académie française le siège de TOCQUEVILLE et qui souhaitait mourir en religieux pénitent et en libéral[2]Libéral au sens du 19e, c’est-à-dire à l’extrême-gauche de la Constituante de 1848. impénitent !)
La liberté des établissements communaux, provinciaux ou catholiques, c’est le poulailler libre[3]Le renard libre d’un poulailler libre, bien sûr, celui d’un autre intellectuel du 19e, Karl., c’est la soumission au marché, c’est la soumission aux parents les plus forts et les plus égoïstes, c’est la soumission aux réflexes conservateurs d’administrateurs peu éclairés, c’est la soumission aux stratégies de l’établissement d’en face lui-même soumis au premier par anticipation du marché (une stratégie excellente, puisque mathématiquement modélisable).
La liberté des établissements, c’est l’absence d’autonomie pour ce bon collège rural d’accueillir ces cinq musulmanes, comme la majorité des acteurs de ce collège le souhaiteraient, considérant, à juste titre, que chacun aurait tout à y gagner. La liberté des établissements, leur absence d’autonomie, c’est l’oppression des plus faibles pour la défense même pas intelligente des plus forts. C’est contre ces partisans de l’oppression que les enseignants devraient défiler…
Notes de bas de page
↑1 | Pour rappel, le Segec (enseignement catholique) et le Cpeons (enseignement communal et provincial) sont les deux plus grosses fédérations de pouvoirs organisateurs. |
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↑2 | Libéral au sens du 19e, c’est-à-dire à l’extrême-gauche de la Constituante de 1848. |
↑3 | Le renard libre d’un poulailler libre, bien sûr, celui d’un autre intellectuel du 19e, Karl. |