Je suis enseignant en mathématiques en secondaire et père de trois filles. Je suis né et ai toujours vécu dans un milieu favorisé, j’habite un quartier populaire. Il y a quelques années, comme des milliers de parents, nous avons dû[1]N. Hirtt, Je veux une bonne école pour mon enfant ! — pourquoi il est urgent d’en finir avec le marché scolaire, 2009. chercher une école maternelle pour notre fille ainée, Ludivine.
Un choix très évident était de mettre notre fille dans l’école maternelle adossée à l’école dans laquelle je travaille : j’y avais une priorité pour l’inscrire, je connaissais bien l’école et j’estimais les collègues ainsi que la pédagogie mise en place. Les trajets seraient assez faciles, bien que peu répartis dans le couple.
« Assez ironiquement désignée comme une école de quartier. »
Mais un autre choix était possible et tentant. Une petite école communale se trouvait à environ deux-cents mètres de chez nous. Cette école semblait accueillir un public largement défavorisé sur le plan socioéconomique.
L’argument le plus important est que nous sommes persuadés que davantage de mixité sociale au sein des écoles serait bénéfique pour l’ensemble de la société. La littérature et les différents décrets Inscriptions pour le passage à l’école secondaire vont dans ce sens.
Assez ironiquement, l’école dans laquelle nous souhaitions inscrire notre fille est souvent désignée comme une école de quartier. La plupart de ses élèves habitent en effet dans un périmètre proche, mais beaucoup d’enfants issus de classes sociales plus élevées qui habitent le quartier ne fréquentent pas cette école. Je me rappelle la tête de mes voisins lorsque nous leur avons fait part de notre choix de l’école communale du quartier… Cela semblait totalement inimaginable pour eux ! En fait, sur le plan socioéconomique, le quartier est bien plus mixte que l’école de quartier.
Un autre argument en faveur de cette école était la proximité. Mettre moins de deux minutes pour conduire ses enfants à l’école, à pied, cela signifie moins de stress le matin, plus de temps pour dormir, pour être avec ses enfants, pour préparer les tartines… Aucun stress lié aux embouteillages ni aux problèmes de transport en commun. Le gain en qualité de vie n’est pas à négliger.
Notre premier doute, c’est celui de la socialisation en lien avec la crainte d’une surreprésentation d’une même communauté au sein de l’école. Comme Ludivine était une enfant ouverte aux autres, avec un bon contact social, assez sage tout en ne se laissant pas faire, notre doute n’était pas trop important. De plus, elle pratiquait d’autres activités fréquentées par des familles dont les habitudes étaient assez proches des nôtres. Le choix aurait peut-être été différent avec un enfant timide et renfermé, sans autres activités extérieures.
Nous avons ensuite pensé à l’équipe éducative : nous avions l’impression que ce genre d’école tendait à polariser les enseignants — soit très motivés et plein d’idées, soit au contraire travaillant là par défaut. Mais ce doute est probablement partagé par tous les parents dont l’enfant entre à l’école.
Enfin, nous avions une petite réserve sur les bâtiments : si l’école maternelle et primaire à côté de mon travail possédait une grande cour de récréation avec des arbres, des jeux divers, de l’espace, l’école de quartier devait se contenter d’une petite cour carrée en béton.
La question du niveau des apprentissages est celle qui nous a le plus été posée dans notre famille, par nos amis : n’avez-vous pas peur que votre fille n’ait pas un bon niveau ? Que ce genre d’école la tire vers le bas ? Qu’elle ne puisse pas développer suffisamment son intelligence, à un âge où l’on sait que beaucoup se joue ? Pour plusieurs raisons, cette question était très secondaire pour nous.
Nous étions persuadés qu’avec l’entourage et l’accès à la culture dont disposait Ludivine, elle apprendrait sans difficulté à compter, à lire, à écrire. Cela peut sembler insultant pour le travail au quotidien des enseignants, comme s’ils n’étaient pas nécessaires… C’est exactement le contraire : grâce aux bases données à la maison (via les jeux de société, la lecture, l’implication au quotidien…), nous avions confiance en la maitrise pédagogique de l’enseignant pour faire progresser notre fille. Notre seule crainte, c’était que Ludivine ne s’ennuie trop en classe et que cela diminue son plaisir d’apprendre.
Il nous semblait y avoir un paradoxe dans les attentes envers ces écoles qui concentrent les élèves en difficulté : si la société estime qu’il est possible d’y donner un niveau scolaire correct à tous, y compris les plus défavorisés, alors un enfant ayant des facilités devrait y arriver aussi. On ne peut pas à la fois demander à ces écoles de jouer un rôle d’ascenseur social et refuser d’y mettre son enfant par peur du niveau.
Nous pensons aussi que l’école apprend bien d’autres choses que des contenus et que c’est en se confrontant à d’autres réalités que l’on peut apprendre le plus. Comme le chante Ben Mazué : « À quoi sert vraiment l’exigence ? Pourquoi on souhaite être excellents ? Quand on voit dans quelle déshérence se retrouvent les génies souvent, moi, j’voudrais leur apprendre à être heureux, avant d’être brillant […][2]B. Mazué, Quand je marche, album, 2020. . »
On dit souvent aux futurs professeurs que les premiers moments de contact avec une nouvelle classe sont extrêmement importants. C’est vrai dans tous les contextes, et il est donc fort heureux que le premier rendez-vous se soit bien déroulé. Nous avions été reçus par la secrétaire qui nous a transmis, entre autres documents, les règlements et le projet pédagogique de l’école. Nous avons également rencontré monsieur Cachapa, le directeur qui nous a fait bonne impression. D’un premier regard, le projet pédagogique de l’école semblait de bonne facture, encourageant des pratiques variées. Nous n’avons donc pas hésité longtemps, avant de valider l’inscription de Ludivine. Avec un parachute confortable, comme enseignant, je pouvais toujours demander un changement d’école pour l’année suivante si l’expérience ne s’avérait pas concluante.
Cela fait maintenant plus de cinq ans que Ludivine est dans cette école, et nous y avons trouvé bien plus d’avantages que d’inconvénients ; d’ailleurs, sa petite sœur Héloïse l’a rejointe depuis trois ans.
Aucune de nos craintes ne s’est confirmée. L’école est totalement mixte avec un grand mélange d’origines : on y retrouve des racines marocaines, espagnoles, turques, roumaines, polonaises, bulgares, nigérianes, et bien d’autres encore.
Tant Ludivine qu’Héloïse ont jusqu’ici bénéficié d’enseignantes très impliquées, apprenant aux enfants à travailler en autonomie à travers divers coins ateliers en classe, proposant régulièrement des excursions, d’autant plus importantes que, comme elles le disent si bien : « Certains enfants n’ont pas d’autres occasions d’aller dans une bibliothèque, dans un musée, d’être en contact avec la nature. »
Ludivine a un niveau en accord avec son année scolaire et ses facilités d’apprentissages. Elle a également une grande ouverture vers les autres et sur la diversité des réalités. Cela nous mène régulièrement à des discussions intéressantes en famille. Elle va parfois chez des copines, quand ce n’est pas le contraire.
L’école n’étant pas complète et bénéficiant d’encadrement supplémentaire, Ludivine a jusqu’à présent fait toute sa scolarité dans des classes de quatorze à vingt élèves[3]N. Hirtt, « La taille des classes est bel et bien un facteur de réussite ! », Aped. https://miniurl.be/r-48wd . Il y a environ cent-cinquante élèves dans l’école, ce qui fait que tout le monde se connait, ça crée une ambiance conviviale. La majorité des enfants fréquentant le quartier, il n’est pas rare, lorsque nous marchons dans la rue, qu’Héloïse ou Ludivine disent bonjour à des enfants, parfois de leur classe, mais parfois parce que « mais si, c’est le cousin d’Amel, qui est dans ma classe, il est en 5e primaire ».
Le directeur témoigne d’une implication dans la pédagogie de l’école, pour les démarches de soutien vis-à-vis des enfants et des familles en difficulté et montre une grande disponibilité pour rencontrer les différents acteurs de l’école.
La personne qui fait sans doute le plus l’unanimité au sein de l’école est monsieur Riccardo, le concierge. C’est lui qui est à la porte, matin et soir, avec pour chaque enfant, chaque parent, un petit mot, un sourire, un geste lorsque la langue n’est pas commune, tout en veillant au respect des règles. Il est de ces personnes qui permettent à chacun de se sentir bien et à une école de mieux fonctionner.
Si nous pouvions changer quelque chose, que ferions-nous ? Une association de parents réellement représentative et partenaire de l’école. À notre arrivée, nous avons en effet tenté de relancer l’association avec plusieurs parents, mais jusqu’à présent, cela n’a jamais réellement pris. Nous nous réunissons à cinq, de temps en temps. Nous sommes présents au Conseil de participation, mais nous ne représentons personne, si ce n’est nous-mêmes. La communication avec la majorité des parents est difficile, principalement à cause de la barrière de la langue.
Notes de bas de page