Durant leurs premiers mois dans cette formation d’enseignant, les étudiants vivent un temps qui s’appelle « École et moi » et ils y rédigent, notamment sur eux. Dans cette classe où une minorité sort directement du secondaire et où on trouve une majorité de garçons, certains ont décidé d’écrire à destination d’un autre public que leurs proches ou leur classe. Voici un texte collectif qui articule des extraits de leurs écrits personnels après quatre mois de formation. Tous veulent devenir profs…
«J’ai toujours eu l’impression qu’elle était là, cette barrière qui m’empêchait de comprendre ou de communiquer avec mes professeurs. Je me suis souvent demandé pourquoi elle était là et comment elle était arrivée. Après tout, je connaissais la vie des autres qui m’entouraient alors, pourquoi pas celui que je voyais cinq jours sur sept en primaire et au moins deux fois sur la semaine en secondaire ? Était-ce cela que l’on appelait le respect ? »
C’est ainsi que cet étudiant de première année en régendat sciences humaines commence son récit. Dans le cadre du cours « École et moi », afin de se construire en tant qu’enseignant (et donc pas uniquement apprendre des contenus, mais bien se [trans]former en tant que futur enseignant), les étudiants sont invités à se pencher sur leur vécu en tant qu’élève et sur comment ils voient le métier de prof. Et pour certains, c’est bien deux mondes. Il va y avoir un passage à faire, celui d’une transformation.
De mon histoire
d’apprenant…
Pour cela, on convoque ses souvenirs, on les confronte à ceux des autres, à des documents, à des éléments factuels aussi. Comment soi-même a-t-on appris ? Au-delà des contenus, on se questionne sur la posture et la méthodologie des profs qu’on a eus. L’image (si l’on peut dire) du travail collectif en a pris un coup avec ces travaux de groupes évalués. Ça peut paraitre dur pour les enseignants du secondaire, peu nuancé, mais ça ne vient pas de nulle part. Le poids de l’évaluation, même pour les bons élèves, ce n’est pas rien. Quelle position prendre en tant que futur enseignant ?
« J’ai fait des études secondaires dans le général, ma formation secondaire était principalement basée sur l’étude pure. D’après mes professeurs, comme nous étions en général et avec autant d’options fortes, nous avions les capacités à étudier énormément. Mes cours se passaient souvent comme suit :
journal de classe : deux devoirs programmés et souvent un test ;
le prof “déballait” son cours à une vitesse phénoménale et nous devions prendre note du maximum ;
lancement d’un petit travail individuel puis mise en commun (car le travail était de la matière à étudier) ;
consignes pour le prochain test (car il était à préparer ; ligne du temps, structurogramme…).
Nous n’avions presque aucun travail de groupe, ou alors ceux-ci comptaient pour l’examen. Les professeurs se sentaient obligés de nous tester au moins une fois par semaine, ce qui était lourd, je ne passais pas un seul weekend ou mercredi après-midi sans étudier. »
Il y a les mauvais souvenirs et les modèles qui ont marqué la scolarité. Se replonger dans ses souvenirs pour tenter de préciser les qualités professionnelles auxquelles on tient, celles qu’on voudrait développer. Et puis, ce n’est qu’un début, au cours de la formation, les étudiants seront amenés à affiner en analysant des situations vécues en stage, la relation prof/élève.
« Monsieur Piron était mon prof de religion durant ma cinquième et ma sixième secondaires. Le cours de religion n’en portait que le nom. Il s’agissait principalement de philosophie. Parfois, des analyses d’histoires religieuses, certes, mais ayant pour but de développer l’esprit critique de chaque élève. Son humour, sa vivacité et sa pédagogie hors normes constituaient le moteur de ma motivation en classe. Bien que nous soyons tous différents, ce passeur de savoirs permettait à chacun de recevoir des chances d’émancipation. Quelles que soient vos cultures, vos religions ou vos origines sociales, monsieur Piron vous acceptait tel que vous étiez. Sa pédagogie privilégiait plutôt l’induction que la déduction. Pour lui, les élèves n’étaient pas des vases communicants qu’il suffisait de remplir avec des théories déjà toutes faites. Au contraire, il voulait que vous accédiez à votre propre analyse du sujet. »
Parce que l’élève qu’on a été, les difficultés que l’on a rencontrées forment aussi le professeur qu’on sera, autant mettre cela au travail…
« J’ai su que je doublerais au mois de février. Ce n’était pas très malin de la part des professeurs, car j’étais encore plus ingérable. Mon renvoi a donc suivi, mais l’école a tout de même bien voulu me garder jusqu’à la fin de l’année.
Tous ces changements, ces tristesses, ce manque constant au fond du ventre ont fait que je n’ai pas su me concentrer sur les cours. Au fil de l’année, j’ai commencé à me rebeller, à foutre en l’air mon année. Mes parents ont essayé de me remettre dans le droit chemin, mais en vain. Mon père ne cessait de me répéter ces mots : Les bons points, ce n’est pas pour nous que tu dois le faire, mais pour toi, c’est ton avenir ! Je dois avouer que ces mots ne sont pas vraiment entrés dans ma tête avant ma cinquième secondaire, mais ils ont fini par rentrer ».
« J’ai su que j’étais haut potentiel (HP) quand mes parents en ont entendu parler et j’ai eu un entretien avec un neuropsychiatre qui a affirmé que je l’étais. Cela m’a aidé à mieux me comprendre, mais je suis resté enfermé dans mon étiquette, c’était même pire qu’avant. Dans le secondaire, j’ai été seul très longtemps, mon incompréhension des autres et le fait que je réagissais et pensais toujours différemment m’ont rendu fort solitaire. Il a fallu que j’attende mes vingt ans avant que je puisse me sentir mieux à propos de moi, de ma perception du monde et de l’acceptation de celui-ci. Entretemps, je suis passé par trois écoles : la première m’a étiqueté élève à problèmes, les professeurs ont baissé les bras et je me suis retrouvé seul et sans aucun soutien autre que celuis de mes parents. (…) À la troisième école, ça a été beaucoup mieux, j’ai pu faire quelque chose que j’aimais et j’ai terminé mes secondaires là-bas. Pourquoi ça a été beaucoup mieux ? Parce que j’ai fait des efforts d’adaptation, je n’ai pas été jugé par les professeurs et je n’ai pas dit que j’étais haut potentiel ».
En passant par mon vécu d’étudiant futur
enseignant
Pour devenir un professeur réflexif, qui met son travail au travail, autant commencer par être un étudiant réflexif. Les étudiants y sont sans cesse invités, en dehors de tout jugement ou d’évaluation.
« Je vais commencer par vous expliquer le pourquoi du comment. Après un travail de groupe de quatre heures éreintantes avec certains étudiants et notre enseignante, nous nous sommes rassemblés pour terminer notre MSA (mise en situation d’apprentissage, c’est une petite séquence de plus ou moins deux heures qui introduit la matière d’une façon ludique aux élèves) durant un temps de midi. Ce fut un bon moment de partage et d’échange très constructif.
Ensuite, nous avons envoyé quelques mails à notre enseignante pour clôturer la MSA. Voici des extraits de mails qu’elle nous a envoyés et que j’ai sélectionnés :
J’en profite pour vous communiquer le plaisir que j’ai eu à travailler avec vous hier sur le temps de midi. C’est notamment pour ces moments-là que j’adore ce boulot !
Par ailleurs, la nuit dernière, je ne parvenais pas à dormir et pensais à notre MSA et particulièrement à l’introduction et à l’activité avec les photos.
Moi, personnellement, ça m’a touché. Pas vous ? Ses extraits sont à mes yeux des moteurs de motivation puissants. Ne sentez-vous pas une implication réelle et un amour pour le métier d’enseignant ? »
« Dans ma vie d’enseignant, j’aimerais pouvoir aider les élèves HP qui ont des difficultés. J’apprends, en ce moment, dans le cadre d’un de mes cours, à me construire en tant que professeur, et j’espère qu’un jour, je pourrais devenir un bon enseignant à l’écoute de ses élèves et capable de gérer leurs problèmes.
La solitude a été mon plus lourd fardeau et encore aujourd’hui j’en ressens les effets passés ».
Pour construire son identité d’enseignant, chaque étudiant doit rédiger, en une phrase, un principe d’action pédagogique qui lui semble primordial, auquel comme enseignant il ne dérogera pas. Ce principe est rédigé tôt dans l’année et il est remis sur le métier afin de l’affiner. Les étudiants doivent vérifier son opérationnalisation, dans leurs stages et autres créations didactiques ou pédagogiques. Ils seront aussi amenés à observer ou à reconstruire la position sociopolitique de ce principe et donc le leur. En fin de formation, ils y reviendront pour observer leur évolution.
« Devenir enseignante, c’est beaucoup plus difficile que ce que j’avais imaginé. Ce sont de jeunes élèves que l’on met entre nos mains. Même si nous ne le voulons pas, nous allons influencer leur vie. Ils garderont en eux une trace, aussi infime soit-elle, de ce que nous leur avons enseigné. On ne peut donc pas se moquer de ce qu’on leur enseigne.
Pour moi, c’est ça devenir enseignant. C’est comprendre que je vais jouer un rôle essentiel pour mes futurs étudiants. Et, pour la première fois depuis longtemps, je m’investis dans un projet immense qui m’effraie parfois, mais dans lequel je me sens utile.
Devenir enseignante ? Je relève le défi ! »
Quand tout ne va pas de soi, faire avec les questions qui restent. Avec, comme point d’attention, cette relation à inventer à sa mesure entre les élèves et soi. Comment ne pas rester un autre et tenir sa place, son rôle.
« Aujourd’hui, je suis étudiant en sciences humaines pour devenir professeur. Je m’étais dit qu’en allant de l’autre côté du bureau, je pourrais donner une réponse à mes questions. J’avais même comme objectif de faire tomber cette barrière qui, pour moi, ne servait à rien…
Lors de mes stages, je me suis rendu compte que voir cette barrière sous un autre angle, passer derrière, c’était peut-être pire… Je ne comprenais pas pourquoi on me déclarait la guerre sans arrêt alors que je venais en paix. Des regards fixes qui se demandaient pourquoi j’étais là, pourquoi je venais les faire chier comme ils disent, de toute façon L’école ne sert à rien, Le prof n’en a rien à foutre de nous ! J’ai aussi pensé comme ça, c’est d’ailleurs pour ça que je voulais à tout prix virer cette fichue frontière et montrer que j’étais différent. Mais comment ?
J’étais pourtant souriant, bien habillé et j’avais bien préparé mes séances…
L’humour ne marchait qu’une fois sur deux, comme une blague de prof… Et s’ils me connaissaient mieux, peut-être ? C’était une sensation vraiment étrange, j’étais pourtant de l’autre côté, mais je ne pouvais toujours pas voir d’où venaient ces frontières… »
Le réel début d’une (tras)formation.