Je suis entré dans l’enseignement, en octobre 2003.
J’ai cinquante ans et j’ai fait mes études dans l’établissement scolaire où j’exerce comme professeur
de pratique professionnelle dans le troisième degré.
J’y ai repris le flambeau de mes prédécesseurs et perpétue le savoir et le savoir-faire qu’ils m’ont donné.
Durant douze ans, j’ai exercé mon métier de maçon. J’ai connu l’enseignement que j’appellerais traditionnel et c’est celui qui a construit l’artisan que je suis devenu avec des évaluations par points, synthèses, examens, etc., dans un calendrier bien précis.
C’est une méthode avec laquelle j’ai travaillé à mes débuts dans l’enseignement, elle me laisse une certaine nostalgie. Comme élève, j’aimais ces périodes d’examens. À l’approche de celles-ci, ça nous mettait en condition (compétition) et nous savions qu’une période de repos suivrait. Cela nous permettait de tout donner le moment venu, d’apprécier d’autant plus ces périodes de fête ou de congé en cas de réussite, et peut-être, de donner du temps à la réflexion en cas d’échec.
« Les changements dans les méthodes d’évaluation ont aussi à chaque fois bouleversé nos méthodes d’apprentissage. »
Un côté moins réjouissant, les élèves devaient jongler, au même moment, avec les examens de tous les cours, ce qui pouvait éventuellement conduire à l’échec.
Puis, une grande révolution annoncée par nos supérieurs est venue tout chambouler : les schémas de passation. Ils sont venus remodeler notre travail qui avait été peaufiné durant des années. Ils devaient baliser la progression de l’élève vers les compétences à maitriser, par une succession de passations d’épreuves de qualification. Ce dispositif de certification avait pour objectif d’améliorer la visibilité et la compréhension du parcours qualifiant aux yeux des élèves et de leur famille.
Il a donc fallu organiser plusieurs épreuves intégrées, ainsi que des travaux, planifiés sur le degré. Cette méthode décortiquait l’apprentissage en tronçons avec des évaluations qui pouvaient être acquises durant l’année. Le grand changement était, qu’une fois réussies, elles restaient acquises à jamais. C’était des plus logique par rapport à la méthode précédente qui enfermait l’élève dans une lassitude perpétuelle face à une montagne d’apprentissages lors d’un redoublement.
Deux évolutions importantes ont suivi.
Il fallait organiser, dans les schémas de passation, les épreuves de qualification, en s’appuyant sur des tâches qui intègrent un ensemble de compétences et requièrent de l’élève la réalisation d’une production et/ou d’une prestation. Les situations d’intégration professionnellement significatives (SIPS) devaient évaluer un ensemble de compétences interdépendantes liées à un métier, appelé ensemble articulé de compétences (EAC). Les compétences regroupées dans un EAC devaient permettre à l’élève de réaliser des tâches complexes.
Quand c’était possible, différentes SIPS, dans une logique spiralaire, pouvaient faire appel aux mêmes compétences, mais dans un autre contexte, éventuellement plus complexe. Ces épreuves pouvaient également faire appel à certaines compétences relevant des cours généraux.
Pour s’y préparer, les apprentissages ont été réorganisés en situation d’apprentissage (SA) et en situation d’intégration (SI) qui reprenaient les attendus de la formation et remplaçaient l’organisation sur la base de compétences à maitriser. Les SA et les SI devaient permettre de découper un métier en plusieurs ensembles de savoirs, aptitudes et compétences, de manière à couvrir à terme l’ensemble des compétences du métier, et baliser ainsi le schéma de passation de la qualification. Les SA s’apparentent aux entrainements de l’athlète et les SI s’assimilent au jour de la compétition. Pour moi, c’est un des outils pédagogiques le plus performant que l’on puisse avoir apporté.
Pour ma part, j’ai dû mettre au point, avec l’appui de l’équipe pédagogique de ma section, des épreuves identiques pour un travail individuel de l’élève (plan d’un fragment de construction et fiches d’évaluation). Ceci à l’inverse du système traditionnel dans lequel je pouvais mettre en épreuve plusieurs élèves sur un même projet. En agissant de cette façon, l’évaluation individuelle permet de mieux cerner l’élève face à l’épreuve et, aussi, de mieux pointer les critères non atteints et de pouvoir aboutir à une remédiation plus pointue.
La seule critique que je peux formuler sur ce point est que nous perdons l’esprit d’équipe qui amenait plus d’enthousiasme et de motivation de la part des élèves. C’est pour pallier cela, qu’après toutes les épreuves réussies, je prends l’initiative de consacrer une période de l’année durant laquelle nous décidons d’un projet commun pour un travail d’équipe sous forme d’extension au programme. Le but du jeu n’est-il pas d’amener nos élèves au sommet de leurs possibilités ?
Ce changement à peine digéré a été suivi d’un nouveau système : dans certaines options, les SIPS ont été remplacées par la certification par unité (CPU). Ce nouveau système nous oblige à faire passer une épreuve certificative après chaque unité d’acquis d’apprentissage (UAA). Une fois l’UAA certifiée, on passe à la suivante. Si une UAA est ratée, l’élève peut avoir de la remédiation et repasser son UAA plus tard tout en continuant son parcours. Quand toutes les UAA sont acquises, la qualification est acquise. La CPU a compliqué l’organisation et segmenté les apprentissages, ce qui complique aussi l’apprentissage de compétences intégrées.
Comme on le voit, les changements dans les méthodes d’évaluation pour la qualification ont aussi à chaque fois bouleversé nos méthodes d’apprentissage.
Malheureusement, dès que l’on commençait à bien maitriser la nouvelle méthode d’enseignement, une autre méthode nous était imposée. Ces nombreuses nouvelles méthodes d’apprentissage successives se déroulaient à chaque fois sur un laps de temps très court. Elles devaient être assimilées rapidement, pour finalement être remodelées à nouveau sans qu’on sache vraiment pourquoi.
Avec du recul, je constate que les changements effectués étaient un chemin évolutif pour nous amener à ce que l’on fait aujourd’hui. Cette évolution, qu’elle soit planifiée ou pas dès le départ, avait l’intention de moderniser notre enseignement vers une méthode de travail qui permet à l’élève de progresser en s’appuyant sur des acquis plutôt que de toujours devoir tout recommencer en cas d’échec.
Pour y arriver, les enseignants ont payé de leur personne. Mais je trouve que par son esprit d’équipe et grâce à la liberté que peut prendre l’enseignant face aux apprentissages, les méthodes ont évolué positivement.
Il y a encore du travail, surtout en matière d’effectifs. Dans la CPU, beaucoup d’enseignants jonglent en même temps entre la capacité d’assurer leurs cours et les remédiations, ce qui n’est pas évident. De plus, la CPU demande une très bonne organisation entre direction et enseignants pour planifier les UAA et les remédiations.
Je pense que tous ces changements nécessaires ne sont pas les seuls à pouvoir faire progresser la qualité des formations qualifiantes et des métiers de pratique dans notre société.
Depuis que j’ai commencé à enseigner, lors de mes visites de stage, je rencontre d’anciens élèves qui sont devenus maçons, chefs d’équipe et même patrons et, finalement, le travail effectué n’est pas aussi mauvais que certains le prétendent. Ce n’est pas pour autant qu’une remise en question pour améliorer les choses doive être bannie !
Peut-être que l’enseignement de plein exercice devrait s’inspirer des avantages que l’enseignement en alternance offre. Mais tout cela amènerait à un autre débat !