Le discours sur la classe d’accueil tourne souvent autour de la possibilité d’y créer un espace intermédiaire entre la famille ou la première structure d’accueil et l’école. Espace, qui permettrait aux enfants une entrée en école sereine et respectueuse de leurs besoins et rythmes d’adaptation.
Pourtant, à y regarder de plus près, nous devons nous interroger sur la faisabilité de cette intention généreuse. L’école a-t-elle réellement les moyens d’offrir à l’enfant de deux ans un « sas » qui garantirait cet espace intermédiaire ?
Dès le premier jour d’école, c’est à tout l’établissement scolaire que l’enfant de deux ans et demi est confronté. En fonction de son heure d’arrivée et de celle de son départ, il peut connaitre quatre environnements différents sous la responsabilité de nombreux adultes : garderie du matin, espace classe, cantine et garderie du soir. Il faut ajouter à cela les récréations lors desquelles il partage l’espace avec les enfants d’autres niveaux maternels et, dans certaines circonstances, de l’école primaire. À chacun de ces moments, les garants de sa sécurité affective et physique changent. Ils ne sont pas tous d’égale qualification et exercent leur fonction sous des contrats très différents (de la personne rétribuée avec des chèques « ALE » à celle ayant un statut d’enseignant). Malgré la grande attention des adultes qui les entourent, l’espace est très vaste et les repères stables difficiles à construire.
À cela, il faut ajouter la discontinuité du calendrier scolaire qui rompt avec les repères construits : mercredis après-midi et semaines de vacances scolaires lors desquels il se pourrait que l’enfant soit accueilli dans d’autres structures.
Avant l’école, certains enfants auront vécu uniquement au sein de leur famille et certains auront fréquenté la crèche ou d’autres structures d’accueil supervisées par l’ONE. Que ce soit en famille (même monoparentale) ou ailleurs, le nombre d’enfants par adulte est très éloigné de celui de la classe, excepté pour les enfants admis en début d’année scolaire, quand seuls les enfants ayant atteint l’âge de 2 ans ½ en juillet et aout rentrent en classe d’accueil, tous les autres pouvant être admis en 1re maternelle puisqu’ils auront 3 ans dans l’année civile. Soulignons que la présence d’une puéricultrice n’est pas garantie au sein de chaque établissement et que le contingent est en augmentation constante tout au long de l’année.
Bien sûr, des augmentations de cadre sont possibles, mais leurs conditions d’octroi font que celles-ci se produisent après plusieurs jours de fréquentations régulières des nouveaux. Mais attention, il suffit qu’un enfant vienne à manquer pour que l’enseignant reste seul avec son groupe dans l’espoir qu’à la prochaine échéance le nombre d’enfants présents sera suffisant.
Exiger de chaque enseignant de classe d’accueil qu’il puisse répondre aux besoins de chaque enfant en tenant compte de son origine sociale et culturelle, de son développement psychoaffectif et langagier et de son court parcours de vie afin qu’il vive une transition propice à sa scolarité future est quelque peu illusoire, si pas hypocrite.
Rien dans la formation des maitres ne prépare le futur enseignant à être responsable d’une classe d’accueil ni à en analyser les pratiques. Une jeune enseignante, en conclusion d’une formation concernant les pratiques de classe d’accueil a exprimé qu’avant la formation, elle pensait ne rien faire d’intéressant dans sa classe, mais qu’après elle se rendait compte qu’elle faisait beaucoup. D’une part, dans beaucoup de cas, les pratiques valorisées par l’enseignant ressemblent à celles proposées aux autres niveaux : leurs intentions sont issues des programmes, mais définies approximativement et les activités sont simplifiées ou guidées dans une perspective de réussite de la tâche. D’autre part, toutes les tâches de nursing (soins au corps, apprentissage de la propreté pour certains ou à se nourrir seul pour d’autres, les coucher et lever de sieste, les passages aux vestiaires, etc.) sont trop souvent perçues comme des freins au bon fonctionnement de la classe et peuvent, dans certains contextes, être confiées à la responsabilité unique de la puéricultrice.
Si l’on estime que cette classe particulière peut servir de transition entre les cultures familiales et la culture scolaire, il importe que chaque enfant expérimente un cadrage particulier du réel : celui de l’école qui veut que derrière les tâches se cache un enjeu cognitif.
Dès lors que cela est compris, toutes les activités issues de la vie quotidienne peuvent servir ce projet. Mais pour ce faire, les compétences des adultes sont multiples. Il ne suffit plus de proposer un environnement adapté et sécurisant, il faut que l’accordage relationnel soit au rendez-vous pour permettre de rejoindre l’enfant dans son univers et tenter de l’amener dans celui de l’école par un double feedback : dans un premier temps, reconnaitre sa production et, par la suite, identifier et verbaliser les capacités intellectuelles et les enjeux de savoirs mobilisés par cette dernière.
Il ne s’agira pas de se contenter d’un « Tu as construit une belle tour. », mais de rajouter « J’ai vu qu’elle était plus haute que toi. » ou « Tu n’as pris que des blocs bleus. » Il ne s’agira pas uniquement de montrer un « truc » pour mettre son manteau, mais bien de verbaliser ce qui fait que l’on n’arrive pas à l’enfiler correctement. Il s’agira de gérer l’organisation de la collation en demandant d’aller chercher un gobelet pour chaque enfant de la table et non de donner la pile avec le nombre suffisant afin de les distribuer.
Chaque instant de la vie de classe est à penser, à élaborer en tenant compte de cet engagement cognitif indispensable à l’apprentissage en milieu scolaire. Sans ce type de médiation, les enfants issus de cultures familiales éloignées de la culture scolaire et/ou fragiles linguistiquement risquent de s’installer dans divers malentendus quant aux finalités de l’école.
À la lecture de ce qui précède, cette entrée en école dépasse de loin les débats sur l’organisation ou non d’une classe d’accueil ou ceux sur la place des deux ans et demi à l’école. En effet, quel que soit l’âge des premiers pas scolaires, si l’on ne parvient pas à limiter les ruptures temporelles et spatiales, si l’on ne respecte pas le besoin de se référer aux mêmes adultes tout au long de la journée, si le ratio adulte-enfants reste inchangé et que les pratiques n’offrent aucune médiation culturelle, alors il faudra bien admettre que pour certains, malgré toute la bienveillance des acteurs de l’école, cette entrée en école tient davantage de la collision frontale que de la promenade de santé.