Les arbres qui cachent la forêt

Le Pacte : dix-huit chantiers, du tronc commun à la réforme des centres psychomédicosociaux, en passant par une revalorisation du qualifiant et le décloisonnement de l’enseignement spécialisé. De quoi donner le tournis. De quoi fatiguer les acteurs.

De quoi aussi se perdre dans une telle multitude de mesures, de réunions et d’avant-projets de décret. Chaque chantier est important, avec ses enjeux propres. Difficile parfois de voir la forêt à cause de tous ces arbres qui la cachent.

Comme nouveau secrétaire général à CGé, je m’enfonce dans cette forêt. Pourquoi tout ça? Pourquoi cet acharnement à vouloir changer le système? Pourquoi toutes ces mesures en rafale? Pourquoi ce Pacte?

« L’École doit répondre à l’hétérogénéité des élèves au lieu de les séparer. »

En Fédération Wallonie-Bruxelles, la majorité des écoles est construite selon une conception datant d’une autre époque, quand la majorité de la population effectuait des travaux manuels et qu’une petite élite accédait à des savoirs intellectuels permettant de diriger le pays. Cette élite ne voulait pas d’un accès au savoir pour un trop grand nombre. En témoignait la structure avec une orientation très précoce en trois filières : général, technique et professionnel. En témoigne la hiérarchisation entre ces filières et la connotation de relégation d’une filière à l’autre, accompagnée par une dévalorisation de la qualité de l’enseignement, notamment des matières générales dans le qualifiant. En témoigne également la nature très sélective de l’organisation de l’enseignement, avec des examens, des notes et la notion de redoublement ainsi que la possibilité d’éjecter les élèves ne correspondant pas au moule proposé.

S’y perdre

Cette organisation part du paradigme que chaque enfant a des caractéristiques innées qui le prédestinent à une certaine capacité d’apprentissage. Pourquoi le torturer avec des matières qui ne l’intéressent pas? Pourquoi le forcer à rester dans une salle de cours quand un atelier manuel lui correspondrait tellement mieux?

Toutes les statistiques montrent qu’orienter un enfant dans les filières correspond à déterminer ses chances sur le marché de l’emploi, mais pire encore, faire ce choix entérine cette notion de capacités innées. Et comme par hasard, il y aurait une corrélation très forte entre ces capacités et l’origine sociale de l’enfant. Car, comment sinon expliquer la corrélation si forte entre l’orientation vers des filières de relégation et l’origine sociale?

L’autre paradigme implicite dans l’organisation actuelle de l’enseignement est la notion que tous les élèves évoluent au même rythme : à tel moment, ils doivent être capables de multiplier, à tel autre, d’argumenter, etc. Et si un enfant n’en est pas capable à ce moment-là, il décroche la floche et peut refaire un tour.

En 2018, 41 % des élèves de 15 ans en Communauté française avaient au moins un an de retard, pour une moyenne de l’OCDE de 11 %1! Preuve que c’est bien un choix de société que de considérer qu’on doive atteindre certains résultats pour passer d’une année à l’autre. Preuve aussi qu’on peut faire autrement, avec des résultats souvent meilleurs.

En sortir

Ces deux supposés fondamentaux qui sous-tendent notre système scolaire ne s’avèrent donc pas tenables et font de terribles dégâts sociaux en enfermant une part significative de la population dans un engrenage de pauvreté. Ces supposés se reflètent dans beaucoup d’aspects liés à l’école : l’organisation en filières, le rôle de l’enseignant en tant que sélecteur/orienteur, les pédagogies choisies, la formation des enseignants, le rôle de l’école et sa relation avec les parents, mais aussi avec les élèves, notamment avec ceux en décrochage, la manière de gouverner tout ce système, etc.

Le Pacte intervient pour entériner deux nouveaux paradigmes : chaque enfant est capable et chaque enfant a son propre rythme d’apprentissage. En conséquence, l’École doit répondre à l’hétérogénéité des élèves au lieu de les séparer selon leurs capacités et ne doit sanctionner qu’au bout du parcours et non chaque année.

Ces nouveaux paradigmes exigent un changement systémique. Ne créer que le tronc commun n’aura pas d’effet significatif si la formation des enseignants n’est pas adaptée, si certaines écoles peuvent continuer à trier et à reléguer comme elles veulent, si la relation entre l’école et les parents est toujours déterminée par une logique de sanction et de sélection au lieu d’une logique de coopération pour faire grandir l’enfant. Aucune mesure ne peut donc être considérée isolément. Gardons un regard très critique sur le Pacte, mais un regard qui intègre le contexte, et les enjeux plus larges. C’est la seule manière d’arriver au premier objectif défini par les nouveaux référentiels : une citoyenneté́ émancipée, critique, créative et solidaire des générations actuelles et futures.

[1] Bricteux S., Quittre V. et Lafontaine D., Résultats de Pisa 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles. Des différences aux inégalités, 2021.