Explicitation : Beaucoup d’entre vous se demanderont avec quoi on vient ?… Alors prenons-le par l’autre « bout » : si on regarde ce que l’enseignement produit (cfr indicateurs de l’enseignement rapport du GT1 page 64), il produit massivement de la relégation sur base de l’origine sociale et ça n’a affolé personne – ni les responsables politiques, ni les écoles, ni les profs – dans les périodes entre 2 réformes …
Si l’acquisition par tous les enfants d’une réelle maîtrise des savoirs de base et des compétences qui permettent d’exercer sa citoyenneté était effectivement l’objectif assigné à l’école, chaque année, il aurait dû y avoir un branle-bas de combat par rapport aux objectifs non atteints, ainsi qu’une tentative tout au long des années de faire évoluer significativement les pratiques, or, il n’en a rien été. Et cette question renvoie à l’objectif que s’assigne chaque niveau du système scolaire mais aussi le politique ET l’administration (nous y reviendrons au point 7).
Changer réellement de paradigme, c’est prendre au mot cet objectif de « réduire les inégalités , faire apprendre tous les élèves » et ne plus accepter qu’il y ait une déclaration d’intention non suivie d’effets : c’est travailler en continu sur tout ce qu’il faut changer et mettre en place, tout au long des mois et des années, et c’est demander / exiger des engagements forts de tous les acteurs du système scolaire, à commencer par les réseaux qui exercent une mission déléguée de service public mais aussi les syndicats et les associations de parents : que vont-ils mettre en place pour veiller à ce que les réformes apportées par le Pacte soient réellement discutées et appropriées dans leurs écoles et parmi leurs affiliés ? Comment vont-ils mener ce travail et partager cette mission avec chacune de leurs écoles, chacun de leurs enseignants ?
2. Sortir du paradoxe actuel : l’école n’enseigne pas ce qu’elle exige :
Les situations mises en place par les enseignants présupposent des élèves qu’ils puissent tous effectuer un certain nombre d’activités, sans que celles-ci ne leur aient été enseignées, sans qu’on n’attire explicitement leur attention sur la nécessité de les mettre en œuvre.
Un des exemples les plus criants de ces activités non enseignées, lié à la manière de plus en plus fréquente d’enseigner, c’est certainement la capacité de tirer des enseignements à partir de tâches que l’on vient d’effectuer. En présupposant que l’enjeu de la situation proposée est lisible par tous, on peut laisser des élèves sur l’idée qu’à l’école, il suffit de faire (de réussir la tâche) pour répondre aux demandes, ce qui renforce un grave malentendu en matière d’apprentissages scolaires.
Un autre exemple est la capacité de se situer dans un registre de langage spécifique : si les interactions dans les classes se font uniquement sur le mode de la conversation ordinaire, en évitant les mots du savoir, les pratiques langagières des élèves construites à l’école sont en décalage avec les pratiques nécessaires à l’acquisition du savoir.
On se retrouve donc dans les classes avec, d’un côté, des élèves dont on attend des choses qui ne leur sont pas enseignées, et de l’autre, des enseignants qui ne sont pas forcément conscients qu’il est nécessaire de le faire.
Il faut donc que l’Ecole et ses professionnels travaillent à débusquer le caractère socialement opaque ou implicite de son fonctionnement et de ses exigences.
3. Investir dans l’enseignement maternel et primaire parce que c’est là que se comprennent les codes de l’école et que doit s’acquérir un bagage suffisant de la langue de scolarisation => former des enseignant(e)s en maternelles et primaires qui comprennent ce qui se joue pour les enfants des milieux populaires et diminuer drastiquement le nombre d’élèves par classe dans les écoles accueillant les enfants de milieux populaires => mettre des moyens différenciés beaucoup plus importants : doubler l’encadrement des 4 premières années de l’enseignement des écoles accueillant les élèves dits « défavorisés » (les maternelles + les 2 premières années de primaires) puisque l’enquête STAR indique on ne peut plus clairement les effets d’un dispositif comme celui-là au cours des premières années de la scolarité.
4. Changer/travailler sur les représentations, les préjugés des enseignants et autres acteurs de l’école : si les enseignants ne croient pas qu’ à une série de conditions qui DOIVENT être réunies ( leur posture et leur pratique pédagogique fait partie de ces conditions) les enfants de milieux populaires sont capables d’apprendre – pas tout à fait comme mais – autant que les autres, alors, rien ne se passera. Mais pour partager ce credo, il faut aussi expérimenter sur le terrain que c’est pédagogiquement possible.
Explicitation : Concrètement :
• découvrir puis travailler, en formation initiale et continuée des enseignants, les différents « rapports au savoir » des élèves. Tous n’ont pas le même rapport au savoir que celui des élèves originaires des classes sociales moyennes. Aborder, en particulier, le rapport au savoir des enfants de familles populaires,
• construire et travailler les différentes pédagogies (didactiques et approches méthodologiques) correspondant mieux à ce rapport aux savoirs, aux apprentissages des milieux populaires,
• travailler les liens école-parents (en particulier, les parents d’enfants de familles populaires) pour que :
• les apprentissages scolaires puissent être transférés (et donc avoir du sens) par l’enfant dans son milieu de vie,
• les apprentissages scolaires puissent se construire sur base :
o des savoirs déjà acquis par les enfants dans le milieu familial (sans jugement),
o d’une construction commune enseignants-parents, les deux parties étant toutes les deux convaincues du fait que les enfants et leur famille seront, tant individuellement que collectivement, bénéficiaires de ces apprentissages,
La CFWB n’a pas d’accès immédiat et assuré à l’ensemble des enseignants et acteurs de l’école. Et pourtant, c’est bien à cette échelle-là qu’il faut agir pour travailler les représentations et changer les pratiques… il faut donc demander / exiger / décréter une « UNION NATIONALE » des réseaux, syndicats et associations de parents pour porter une campagne et une action pédagogique COMMUNE à l’échelle de la communauté sur le moyen terme (5 ans au moins ?), sans quoi, rien ne changera fondamentalement.
5. Changer de posture et changer les pratiques pédagogiques : peut s’implémenter sur le moyen terme via une réforme profonde de la Formation Initiale des enseignants (FI) mais ça ne peut se faire que si on a transformé d’abord la pratique des formateurs d’enseignants => ce champ-là dépend du Ministre Marcourt : qu’est-il prêt à mettre en place pour changer le regard et la pratique des formateurs d’enseignants ?
Mais si on ne veut pas avoir à attendre la relève de la génération suivante d’enseignants, en espérant qu’ils aient été formés autrement, il s’agit d’investir lourdement dans la formation continuée des enseignants de l’enseignement obligatoire (et prévoir des plages de formation suffisamment longues, le temps actuel fragmenté ne convient pas du tout) .
L’accompagnement des acteurs du terrain dans les écoles doit être une priorité absolue : par des personnes compétentes tant en ce qui concerne le contenu qu’en ce qui concerne la dynamique du changement émergent. Nous en voulons comme preuve les expériences de terrain de ceux qui ont vécu le capotage de réformes antérieures (réforme du qualifiant, réforme du 1er degré, rénové etc…).
6. Changer/travailler sur les représentations, les préjugés des parents et de la société : tant que les parents de classe moyenne et supérieure – et même certains responsables politiques – continueront à penser qu’un enseignement qui convient aux enfants de milieux populaires va forcément baisser le niveau et pénaliser leur enfant, ils bloqueront et dénonceront le changement.
La chouette campagne « 10 idées fausses sur le Pacte » gagne donc à être élargie aux préjugés et représentations sociétales sur l’école.
7. Mais les représentations des enseignants et des parents ne changeront pas si les pratiques ne changent pas : et pas de changements dans les pratiques si pas d’investissement massif dans la formation et l’accompagnement des enseignants et / pour une co-construction et une appropriation du Tronc commun !
Et ce fameux TC … qui fait peur ou rêver…
Penser « TC », c’est penser réforme de grande envergure qui traverse les curricula, les pédagogies et les structures.
Une porte d’entrée se situe au niveau de la refonte des programmes, de la précision des contenus et des niveaux de maîtrise à viser / par cycle, dans les différents domaines d’apprentissage.
Le problème idéologique se pose là et non dans les grands principes auxquels beaucoup adhèrent.
Et enfin, le TC pose la question de ce qu’on apprend et de ce qu’on n’apprend pas ou plutôt de ce qui DOIT être appris à l’école.
Pour faire changer les pratiques, quelle formation continuée ?
Explicitation :
– les compétences nécessaires pour favoriser les apprentissages des enfants et des adolescents de milieux populaires
La palette est large de ce qu’offrent l’IFC et les réseaux mais elle ne rend ni explicites ni centrales les compétences nécessaires pour favoriser les apprentissages des enfants et des adolescents de milieux populaires (qui sont majoritaires dans l’enseignement dit différencié et dont la position et les conditions sociales sont basses).
Il s’agit de ne pas considérer ces jeunes comme des sous-élèves ou des élèves malades, qui ne présentent que des manques auxquels il faut remédier.
Favoriser leurs apprentissages c’est opérer une réelle transformation, et des représentations et des façons d’apprendre.
La nécessaire approche sociologique pour permettre la transformation
Pour qu’elle se fasse, les enseignants ont besoin d’être (in)formés : leur connaissance sociologique est en général fort mince voire nulle ou proche de représentations floues ou simplistes. Il nous semble utile et premier de voir où se situent les milieux populaires dans la société et quelles sont leurs caractéristiques en termes de rapport au temps, à l’espace, à l’école, aux savoirs, à l’écriture, aux normes, au travail, à l’apprentissage… tous rapports à … qui interviennent dans les apprentissages, qu’ils se fassent à partir d’exposés ou de méthodes actives. Depuis Bourdieu, des sociologues, psychologues, pédagogues ont travaillé les habitus et rapports à … en considérant les liens des divers milieux avec l’école. Des études existent donc depuis plus de 20 ans (Equipe Escol, dont Bernard Charlot et Cie) mais sont méconnues d’une majorité d’enseignants et de formateurs de futurs enseignants.
Ces études devraient être traduites en modules de formation liant recherches et observations sur le terrain. Voilà pour une première facette.
– Et dans la classe…
Une fois que l’approche sociologique a permis de voir avec qui l’on travaille à l’école et comment les enfants se situent vis à vis des apprentissages (sans les prédéterminer mais en faisant attention à des caractéristiques liées aux positions socio-économiques des parents et aux conditions de vie des familles), il s’agit de voir comment en tenir compte dans les classes et ne pas en faire des lieux de création ou de renforcement des inégalités sociales.
Ceci demande d’une part un travail à propos des façons d’apprendre, à voir dans le détail comme le fait Stéphane Bonnery ( aussi proche de l’équipe Escol) et un travail de construction du groupe classe afin d’y instaurer une culture commune et de production dans la ligne de Freinet restitué aux milieux populaires. Et même de la pédagogie institutionnelle.
Sociologie et socio-pédagogie donc.
– Comment concevoir cette formation continuée ?
Nous ne pouvons ici en décrire des modalités dans le détail entre autres parce qu’elles dépendent aussi du formateur mais pour nous, un aller-retour constant entre pratiques analysées avec regard critique ET théorisation appuyée sur les recherches mentionnées plus haut, est une approche essentielle. Mais un jour ou deux ou même trois de ce genre de formation ne garantit en aucun cas une transformation d’emblée dans les façons de faire apprendre.
Un accompagnement est nécessaire sur le terrain. Suite à ces formations, quelles attentions, façons neuves de faire dans telle ou telle discipline et quelle intervision et intervention de la personne accompagnante qui a des connaissances du sujet (ce qui n’est pas souvent le cas de beaucoup d’actuels conseillers pédagogiques sans doute compétents mais pas dans ce sujet-ci).
Ce que nous appelons compétences ici = connaissance des milieux populaires et pas seulement théorique : connaissances sociologiques et socio-pédagogiques dans la ligne de l‘équipe Escol ou apparentés.
Si donc la façon de faire apprendre change et tient compte des approches des milieux populaires – autres que celles des classes moyennes et moyennes supérieures – il n’ y a donc pas lieu d’insister sur la remédiation qui est une 2ème étape, prévue pour les élèves qui ne seraient pas entrés ou trop peu entrés dans les apprentissages. C’est d’abord la première étape, celle du moment collectif d’apprendre qui est à transformer et on ne peut laisser cette première étape en l’état et voir comment soigner ceux qui ne s’y sont pas retrouvés parce que leur rapport à l’apprentissage n’a pas été pris en compte. Parce que, dans ce cas-là, où l’on n’aurait pas transformé cette étape : où on l’aurait laissée en l’état, du coup « remédier » … vous voyez ça comment ?…
8. Et changer le système scolaire nécessite en tous cas:
– de sortir du « marché scolaire » qui va de pair avec l’apartheid actuel : tant que les parents pourront (et se sentiront obligés de) choisir l’école de leur enfant et que des écoles choisiront (en douce) leur public, nous n’assumerons pas l’ambition d’avoir des écoles de qualité pour tous : des écoles où il n’y aurait plus d’enjeu à être absolument dans celle-là ou absolument pas dans l’autre et dans lesquelles les enfants de différentes origines sociales et culturelles apprennent et grandissent ensemble pendant leurs 12 ou 13 premières années de scolarité. Nous ne partageons donc pas la vision de certains acteurs de l’enseignement qui affirment qu’il suffit de se concentrer sur les écoles qui ont des moins bons résultats et de les améliorer : nous pensons qu’il faut des réformes pédagogiques et des réformes de système. Et l’hypothèse, dans l’intervalle, de revenir en arrière sur le décret inscriptions sous prétexte de ne pas brider le choix pédagogique des parents nous parait désastreuse et éthiquement inacceptable : les parents de milieux populaires aussi veulent de « bonnes » écoles pour leurs enfants !
– de piloter le changement décidé / assumé :
Et là, nous avons une vraie inquiétude : on nous a beaucoup expliqué que la raison pour laquelle il fallait absolument introduire un acteur privé comme Mac Kinsey (financé grassement par des entreprises privées peu éthiques) était qu’eux seuls pouvaient traiter efficacement et rapidement une série de données … mais quel aveu d’impuissance de la part de l’Etat ! Et quelles sont les hypothèses sur pourquoi nous en sommes là ? Comment allons-nous rendre de la puissance d’agir à l’administration ? Cela nous parait un enjeu crucial. C’est elle qui a la responsabilité d’encadrer et de vérifier ce que le système scolaire produit et le fait qu’il tend ou pas vers plus de qualité et d’égalité.
Voilà pour ce que la coalition de parents de milieux populaires et les organisations qui la soutiennent pensent qu’il faut faire prioritairement pour réduire les inégalités.
9. A quoi s’engage la coalition pour contribuer à ces changements indispensables ?
– A contribuer à une campagne de sensibilisation et de lutte contre les préjugés de / sur / dans l’école
– A contribuer (via CGé) à la FC des Formateurs de formateurs et des enseignants dans le cadre des organes officiels de formation continuée des enseignants.
– A alimenter la réflexion sur le tronc commun (via CGé)
– A exercer une vigilance durable sur les effets des changements qui vont tenter d’être implémentés et à revenir à la charge autant qu’il le faudra si rien de significatif ne se produit en matière de réduction des inégalités.
Signataires :
Pierre Devleeshouwer pour la Fédération des opérateurs bruxellois d’insertion socio-professionnelle (FEBISP)
Manu Twagilimana
Omar Bergallou
Hamel Puissant pour le Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI)
Véronique Baudrenghien
Noëlle Desmet
Claude Prignon
Eloina Padinsilva
L’association de parents Calamme
Le Service de santé mentale l’Eté, à Anderlecht
Roseline Magnée
Nordin Boulhamoum pour la Mission locale de Forest
Christine Mahy pour le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP)
Jean-Pierre Kherckhofs pour Appel pour une école démocratique (APED)
Olivier Balzat pour le Collectif d’alphabétisation (Collectif Alpha)
Sylvie Pinchart pour Lire & Ecrire Communauté Française
Fred Mawet pour Changements pour l’égalité (CGé)