Accrochez-vous, Mesdames, on va parler football. Mais pas seulement. Et vous allez avoir des arguments pour titiller des compagnons accros au ballon rond.
Direction Brésil
Passage obligé par le Brésil, pays du roi Pelé [1]Edison Arantes do Nascimento, dit Pelé, est considéré comme le plus grand joueur de tous les temps. Artisan des victoires du Brésil aux Mundial de 1958, 1962 et 1970. et pays organisateur de la prochaine Coupe du Monde (Mundial) 2014. Pas de doute, vous allez en entendre parler. Tant et plus. Alors autant savoir…
Contre toute attente, le Brésil, cette nation folle de foot, plusieurs fois championne du monde, berceau de quelques centaines de petits prodiges (achetés à prix d’or par des clubs européens), …cette nation s’est rebellée contre son gouvernement qui a investi des sommes pharaoniques pour l’organisation de cet événement planétaire.
Des dizaines de milliers de citoyens sont descendus dans les rues pour crier que la santé et l’éducation étaient des investissements plus urgents que le foot. On pouvait lire sur un calicot : « Les professeurs ont autant de valeur que Neymar ! » (la nouvelle idole locale). « Quoi, tu connais, Neymar ? », votre compagnon sera stupéfait.
Il y a les chiffres : un coût estimé à au moins 14 milliards de dollars. Une paille ! D’autant qu’ils remettent ça avec les Jeux Olympiques en 2016. Mais il y a pire : les diktats de la FIFA (la Fédération internationale de foot), organisatrice de l’événement. Elle a imposé au pays un droit d’exception qui offre aux sponsors du Mundial l’exclusivité de l’espace public pour leur publicité. Du jamais vu. C’est la Fifa qui fait la loi. Plus fort encore : au Brésil, l’alcool est interdit dans les stades. « Non mais, svp, c’est le business de notre principal sponsor ! Changez-nous, et vite, cette loi insensée… ». Et la bière coulera à flots [2]Budweiser, King of beers …pour les américains. N’a évidemment pas la saveur de la bière belge qui proclame que « Les hommes savent pourquoi ».. D’ailleurs un haut responsable de la Fifa ne cache pas la couleur : « Un moindre niveau démocratique, un homme fort à la tête de l’état, c’est préférable pour organiser une Coupe du monde ». Qu’en pense Dilma Roussef, la présidente de l’état brésilien ?
Tout cela a profondément choqué dans un pays où les inégalités restent criantes et profondes, dans un pays où le foot est roi et où le ballon rond fait rêver dès le berceau, où les plages, les places publiques, les rues et ruelles des favellas sont transformées en terrains de jeu. Cette réaction populaire s’apparente à un début de révolution culturelle qui donne à penser et, pourquoi pas, à rêver d’un pareil réveil citoyen … chez nous ?
Nos Diables
Car vous allez en bavez, Mesdames. « Nos » Diables rouges iront au Brésil. Enfin, ce n’est pas encore tout à fait certain. Donc, dès ce début septembre, nos médias entretiendront le suspense. La « qualification » fera trembler et puis vibrer les supporters. Un sujet incontournable. Il s’agit de tout savoir sur nos petits Eden, Kevin, Vincent, Christian, Dries et autres Moussa ! Ils seront portés aux nues ou voués aux gémonies si, par malheur( ?), ils ne nous emmenaient pas au Brésil.
Cela mettrait l’unité du pays en péril ! Car, avant de revenir sur les questions de fric, il serait incomplet de ne pas évoquer le rôle politique que d’aucuns font jouer à nos footbaleurs. Finis les flamands, les wallons et les bruxellois. Tous derrière le drapeau belge et chantons la Brabançonne ! Les instances du foot, les médias et le monde politique ont savamment orchestré autour de « notre » équipe un enthousiasme « national ».
En ces temps de morosité et d’austérité, les Diables, « nos » Diables, apportent du rêve et de l’unité. Ils rempliront les stades et réuniront des centaines de milliers de téléspectateurs dans la langue du foot qui est universelle, Mesdames ! Il faudra vous armer de patience, de tolérance ou succomber, vous aussi. Car beaucoup de jeunes rêvent aussi de ce genre d’exploits et de « réussites » improbables. Puisque la gloire( ?) et la fortune (leurs salaires indécents) sont au rendez-vous. Aussi les médias n’ont plus assez de superlatifs pour parler d’eux et de leurs exploits : historique, quand ce n’est pas héroïque ! Prodigieux, stupéfiant, génial, divin, …
Surenchère
Pourquoi ne pas se réjouir sans réserves ? Pourquoi jouer les pisse-vinaigre ? Parce que la surenchère médiatique contribue à nous faire perdre le sens des priorités, des urgences et même des valeurs.
« Vous y allez fort ! ». Oui, et je persiste. Loin de moi pourtant le rejet pur et simple du plaisir d’un beau spectacle sportif de temps à autre. Mais de là à tout refuser un soir de match ou à tirer la gueule le lendemain d’une contre-performance de nos petits « dieux du stade » ?
Le problème, c’est la surenchère. Le match, on en parle plusieurs jours avant. La fièvre monte : interviews, composition des équipes, face à face des entraineurs, propos faussement modestes ou matamoresques, pronostics, avis d’experts, … Ah, les experts qui se plantent aussi souvent que le commun des mortels. Et ça continue les jours suivants le match avant que le cycle ne reprenne. Les médias sont envahis. Bon, en presse écrite, il y a le spécialiste, la DH-Les sports, qui, en la matière, sait de quoi elle parle et annonce la couleur. Mais les autres ne sont pas en reste. En télévision, c’est encore plus grave : pas moyen d’échapper au matraquage. Résultat ? Beaucoup de sujets importants passent à la trappe. Pas de place !
Droits
Non, pas ceux des joueurs qui sont devenus des marchandises de luxe. Je t’achète Eden pour 40 millions d’euros, je te prête Kevin en échange de X ou Y. Surenchère encore en matière de salaires et de coûts des transferts. Des sommes astronomiques. On peut « réussir » sans se fatiguer à l’école ou sur les chantiers !
Non, je voulais parler des droits que les télévisions paient pour s’assurer l’exclusivité des Diables ou de la Formule 1, par exemple. Dans nos démocraties qui prônent la transparence, ces contrats sont considérés comme des secrets d’état. Curieusement les « journalistes » sportifs ne parlent pas de ces réalités-là. Mais ils s’étendent longuement sur les gains qui font rêver les mômes.
Résultat : tout cet argent investi dans le sport ne sera plus disponible pour des programmes culturels. Encore moins pour des émissions d’investigation qui aideraient les citoyens à découvrir à quel point on les endort avec ces spectacles sportifs ou d’autres divertissements très onéreux (The Voice, par ex.). Nos télévisions, à commencer hélas par le service public, privilégient toutes les formes de divertissement au détriment de leurs missions. Qu’en pense Madame Laanan, ministre de l’audiovisuel … et de l’éducation permanente ?
Alors ? Pourquoi ne pas suivre l’exemple des citoyens brésiliens ? En demandant à nos médias et à nos politiques la publication de ces contrats sportifs. Mieux, si nous engagions un débat citoyen sur leur opportunité.
Notes de bas de page
↑1 | Edison Arantes do Nascimento, dit Pelé, est considéré comme le plus grand joueur de tous les temps. Artisan des victoires du Brésil aux Mundial de 1958, 1962 et 1970. |
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↑2 | Budweiser, King of beers …pour les américains. N’a évidemment pas la saveur de la bière belge qui proclame que « Les hommes savent pourquoi ». |