On ne s’indigne plus de rien. Ce qui, hier encore, aurait scandalisé passe aujourd’hui pour une bonne idée. Et ceux qui proposent ces bonnes idées ne s’embarrassent même plus de prendre des pincettes. On y va direct et sans complexe, à balles réelles.
« Mieux que des cours particuliers : du soutien scolaire toute l’année. » « Le tout à prix plancher. » « Donnés par des enseignants qualifiés. » « Tu souhaites créer une antenne dans ton école ? Contacte notre responsable. »
L’ASBL Enseignons.be propose aux parents d’inscrire leurs enfants à des cours de soutien scolaire organisés le mercredi après-midi. Ces cours sont donnés dans les locaux
des écoles qui acceptent, semble-t-il, de participer à leur promotion et sont pris en charge par des enseignants qui seront payés 1300 euros par an (pour combien de prestations ?) Les élèves seraient regroupés par groupes de 7 élèves maximum et paieraient 10 euros l’heure. Par ce système, Enseignons.be affirme épargner aux parents le recours aux leçons particulières couteuses et ne répondant pas vraiment à leurs attentes. Et les cibles sont nommées : « Les cours posant le plus de soucis aux
étudiants : mathématiques, langues, sciences et français, plus CEB et CE1D. »
Comment s’en étonner ? Vu le taux record de redoublement dans l’enseignement francophone, on pouvait s’attendre à des tentatives de réponses alléchées. Il y a un marché à prendre et certains s’y engouffrent.
Mais, en ajoutant de l’école à l’école, vont-ils réussir à diminuer l’échec scolaire ? Et, ce qui est particulièrement choquant ici, c’est que dans et grâce aux écoles, des cours payants seront proposés aux élèves pour compenser des difficultés que l’école elle-même a produites et devrait, donc, en principe, être en mesure de prendre en charge. Il s’agit tout de même de l’enseignement obligatoire et d’écoles financées par les pouvoirs publics (nous tous) avec le projet d’assurer une formation de qualité à tous. Si l’école produit de l’exclusion, c’est avec les écoles, dans les écoles et avec les moyens
des écoles qu’il faut y remédier.
Les enquêtes PISA successives démontrent que l’enseignement francophone est un des plus inégalitaires. Il ne remplit donc plus son rôle démocratique. Enseignons.be corrigerait ce manquement en proposant des cours de soutien à « des prix démocratiques ». Le sens d’un adjectif peut varier avec le nom auquel il s’accorde. À partir de quand des prix sont-ils démocratiques ? Quand ils servent à payer un service qui devrait en principe être gratuit ? Les enfants dont les parents font face à de grandes difficultés financières auront-ils accès à ces cours ? Non, bien évidemment. C’est du bizness pas de la philanthropie.
Pourquoi certaines écoles ouvrent-elles leurs portes à ce marché et surtout quelles sont ces écoles qui font leurs les slogans d’Enseignons.be ? Auraient-elles renoncé
aux missions qui sont les leurs « faute de moyens » ? Où cherchent-elles à attirer de nouveaux clients en proposant intramuros des supercoachs pas chers ? Demain, choisira-t-on une école parce qu’elle offre des services de soutien scolaire payants à prix « démocratiques » ?
Enseignons.be recrute au moyen d’affiches et de plaquettes publicitaires qui n’ont rien à envier à celles d’une entreprise commerciale : enseignante charmante, enfants souriants et heureux d’être là…, slogans accrocheurs qui interpellent quelque peu.
« L’enseignant devient un coach qui va aider l’élève à progresser et essayer de l’amener au maximum. »
Qui seraient ces enseignants (nos collègues) qui, tout au long de la journée,
ne produiraient que du redoublement et, une fois arrivé le mercredi après-midi, deviendraient des supercoachs et réussiraient enfin à faire progresser un élève parce qu’il a bien voulu payer 10 euros ? Par quelle magie, un enseignant ordinaire (vous et moi ?) deviendrait- il un prof super performant lorsque le mercredi, midi sonné, il enfilerait
sa cape d’Enseignons.be ? D’autant plus qu’il risque de se retrouver devant des élèves venus d’écoles différentes, de classes différentes, présentant des difficultés différentes et des niveaux différents. Élèves dont il ne connait rien et qu’il ne rencontrera que le mercredi…
« Parce que le soutien scolaire ne s’improvise pas, nous ne travaillons qu’avec des enseignants diplômés et dynamiques. Nous croyons que seuls les meilleurs instituteurs
et professeurs auront le souci d’aider au mieux votre enfant. » Bon sang, mais c’est bien sûr ! Contrairement à l’école, Enseignons.be ne travaille qu’avec des enseignants diplômés (vous en avez vu, vous ?) et dynamiques (dans les écoles, ils sont soit diplômés, soit dynamiques ?).
Le langage publicitaire est plein de ressources : ils croient (!) que si on ne prend que les meilleurs (en quoi ?) mon enfant (le mien !) sera aidé au mieux. Je craque ! Tous les meilleurs profs qui se soucient de mon enfant ! !