Les sens cachés des calculs

Comment un adulte peut-il accompagner la réflexion d’un enfant face à un calcul et ainsi éviter de tomber dans le piège de la devinette ?

« Faire une colonne de calculs » est à « préparer une dictée » ce que le classique devoir de math est à celui de français. Si, dans l’apprentissage par compétences en vigueur depuis plus de dix ans, ce type d’exercices est décrié par les pédagogues et les didacticiens, il n’en reste pas moins qu’ils continuent à s’imposer comme devoir (à la plus grande satisfaction des parents) ou comme exercice en classe. En effet, pour beaucoup d’adultes, il n’y a aucune ambigüité ni dans l’énoncé (par exemple : 25 + 18 = …), ni dans la « réponse » (43) et puis au moins, on peut ainsi vérifier l’état des connaissances de l’enfant.

Et pourtant, ces calculs si simples pour les uns peuvent devenir de véritables cauchemars pour les autres, y compris pour ceux qui les accompagnent. Les pistes de travail suggérées ci-dessous sont, bien entendu, à adapter en fonction de l’enfant qui est à vos côtés et n’ont pas la prétention d’être des réponses universelles. Elles sont proposées en guise de simples pistes méthodologiques à améliorer à votre guise et selon la fonction que vous exercez par rapport à l’enfant.

Comprendre l’énoncé

Pour l’expert en calcul mental que nous sommes presque tous devenus, une expression comme « 25 + 18 = … » parle d’elle-même. Il s’agit d’additionner les nombres « vingt-cinq » et « dix-huit » par une procédure appropriée de façon à obtenir un seul nombre.
Mais pour certains enfants, tout cela peut ressembler à une langue étrangère très complexe à décoder. Si on y regarde de plus près, que voit-on ? Deux groupements de deux chiffres (2 et 5 d’une part et 1 et 8 d’autre part) séparés par un signe « + » et suivis par un autre signe « = », autant de symboles lourds de sens, mais qui échappent à plus d’un.
Avant d’inviter l’enfant à chercher la réponse, il importe de s’assurer du sens qu’il donne à l’énoncé. Pour ce faire, on peut lui demander, par exemple, de raconter une histoire qui dit ce calcul. S’il raconte une histoire de billes rouges et de billes bleues qu’on rassemble dans un sachet ou encore d’euros (ou de cents !) qu’il peut mettre dans sa tirelire, c’est bien parti, on peut s’attarder à la recherche d’un résultat.

Si, par contre, l’histoire mélange des billes et des euros ou qu’il n’est pas clair qu’il s’agit de « mettre ensemble » ou « d’ajouter », alors il est bienvenu de faire jouer une histoire avec du petit matériel à disposition : billes, jetons, allumettes ou faux billets seront une source inépuisable de petits défis à lancer à l’enfant pour l’aider à se représenter ou à jouer le calcul donné.

Représenter les quantités

Et si la difficulté n’était pas tant de se représenter l’opération, mais les nombres qui sont associés ? Une autre façon d’aborder le sens d’un calcul est de le faire dessiner, ce qui permet de représenter les nombres par des points ou des croix sans devoir imaginer des objets. On reste ainsi plus proche des nombres abstraits et du calcul proprement dit.

Observez comment l’enfant dessine les quantités 25 et 18. S’il aligne des points les uns derrière les autres, comme à la figure [1]Terminologie reprise de Stella BARUK dans Comptes pour petits et grands, Magnard, 2003. (ce qui est fort probable), vous pouvez lui suggérer de les organiser de façon à ce qu’on puisse voir en un coup d’œil combien il y en a sans les compter. On peut proposer aussi de faire ce travail avec des jetons. Voici, à titre d’exemple, des représentations possibles (figures 2 et 3). Les groupements par 5 et 10 sont effectivement les plus porteurs.

fig1.jpg

fig2.jpg

fig3.jpg

N’imaginez surtout pas que vous perdez du temps à vouloir travailler sur les différentes représentations des nombres avec l’enfant. Que du contraire, l’aider à voir les nombres dans sa tête, sans compter, mais en faisant référence à une représentation organisée qu’il aura construite par lui-même, au départ des schèmes des dés, par exemple, l’aidera à poursuivre sa lecture mathématique, jusqu’à l’écriture décimale de position.
Les bouliers numériques peuvent à ce stade également être d’une grande utilité et permettre de visualiser 25, par exemple, à l’aide de deux lignes complètes et 5 boules (figure 4 et 5).

fig6.jpg

– Figure 5 (photo boulier 003 doc informatique)
On peut ensuite se détacher des bouliers et passer aisément à une représentation schématique très porteuse des nombres comme 25 et 18 à l’aide de lignes horizontales pour les dizaines et de points pour les unités (figure 6). Ce type de dessins très simples sont fort utiles pour aider à trouver le résultat ensuite.

– Figure 6 (voir feuille)

Sachez qu’il n’est pas interdit non plus de demander à un enfant de montrer 25 avec ses mains : dix (avec deux mains) et encore dix et puis cinq (avec une main). C’est un matériel où les groupements par 5 et 10 sont tout prêts et qu’on a toujours à portée de mains !

Comprendre l’écriture des nombres

Pour certains enfants, il ne sera sans doute pas nécessaire de passer par une représentation des nombres, mais simplement de s’attarder à la lecture de ceux-ci en comprenant le sens de chaque chiffre : dans 25, que dit le 2 ? C’est un 2 qui dit 20. Et le 5 ? Il dit la vérité1.

Ce type de travail vise à vérifier la compréhension du système décimal de position dont la particularité est que la valeur d’un chiffre dépend de sa position dans le nombre. Ainsi, on peut dire que 238 s’écrit avec un 2 qui vaut deux-cents, un 3 qui vaut trente et un 8 qui vaut huit.

Calculer le résultat

Oui, mais qu’en est-il du résultat ? Et là aussi, il y a plusieurs chemins possibles. Et il peut être intéressant d’entendre l’enfant expliquer comment il fait pour résoudre une opération. Utilise-t-il des stratégies de comptage ou des procédures de calcul ? ou un mélange des deux ?
Certains vont raisonner uniquement oralement de la façon suivante :

• Vingt-cinq plus dix-huit, ça fait vingt-cinq plus dix, trente-cinq et encore huit : trente-six, trente-sept, trente-huit, trente-neuf, quarante, quarante et un, quarante-deux, quarante-trois. (Pour ne pas se perdre dans ce dernier comptage, l’enfant compte huit sur ses doigts tout en énumérant les nombres.)

• Vingt-cinq plus dix-huit, ça fait vingt plus dix, trente et cinq et huit, treize. Trente et treize, ça fait quarante-trois.
D’autres vont écrire :

• 25 + 18 = (20 + 5) + (10 + 8) = 43

………………………30……………13

Certains pourraient avoir des stratégies plus étonnantes, mais très performantes :

• 25 + 18 = (25 + 5) + 13 = 43

• 25 + 18 = 25 + 20 – 2 = 43

Passer d’un calcul à l’autre

Et maintenant que nous avons trouvé le résultat, est-ce fini ? Et bien, figurez-vous qu’on peut encore poursuivre la réflexion en proposant de nouveaux calculs au départ du premier.

Si on sait que 25 + 18 = 43, alors, que peut-on dire de 15 + 8 ?, 25 + 28 ?, 24 + 18 ?, 23 +20 ?

Dans chacun des cas, il s’agit non pas de se remettre à faire toute la démarche décrite ci-dessus, mais d’observer ce qui change d’un calcul à l’autre et d’en déduire le résultat. On peut clôturer la séance en invitant l’enfant à inventer encore de nouveaux calculs dont il peut déduire rapidement le résultat en s’appuyant sur le premier.

Partir de la compréhension des représentations mentales des nombres et des opérations, par le biais du jeu, du dessin et de la parole, sont autant de pistes pour vous aider à « déchiffrer » ses « déjà-là » et faire en sorte de « dédramathiser » certains calculs. L’idée n’est donc pas de montrer comment faire, mais d’aider l’enfant à dire et à comprendre ce qu’il fait… tout un programme qui mérite d’être exploré, sans en abuser.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Terminologie reprise de Stella BARUK dans Comptes pour petits et grands, Magnard, 2003.