Les sujets s’accordent aux verbes (d’action)

Les sujets s’accordent aux verbes d’action, ils s’accordent en agissant ; ce n’est même qu’en agissant qu’ils deviennent sujets et qu’en agissant ensemble qu’ils peuvent s’accorder ! Plaidoyer pour une école où filles et garçons, sujets, s’accordent dans l’action pour plus d’égalité. Principes pour une didactique de la citoyenneté par les sciences humaines.

C’est fou ce que le prosélytisme pédagogique paradoxal est à la mode. Toujours plus. Auschwitz à la rescousse. Moins on l’est (anti-fasciste, démocratique, écologique, citoyen responsable, en bonne santé et pondéré, altermondialiste, féministe, etc.) et plus on veut l’imposer aux gosses. De Bush en Irak à Lizin avec le foulard, ceux qui croient[1]En faisant crédit à la pureté de leurs intentions déclarées ! qu’on peut émanciper les autres sans leur demander leur avis restent tristement majoritaires. Objets d’une éducation aussi velléitaire que décalée et paradoxale, les élèves n’ont que trop rarement l’occasion de devenir sujets de leur histoire scolaire, acteurs de leur école, de leur classe et d’eux-mêmes.

S'accorder pour plus d'égalité
S’accorder pour plus d’égalité

On cherche ensemble…

Régendat sciences humaines : un article[Vincent TROGER, Trop fortes les filles, dans Alternatives Economique n°211, février 2003, pp. 62-65.)) lu par une étudiante et présenté à la classe (dans le cadre d’un temps institué en début de cours) et c’est parti. L’indignation, la surprise, le questionnement (toutes vertus trop peu encouragées à l’école quand elles ne sont pas carrément réprimées), et un projet naît : mener ensemble une recherche[2]Rapport final et complet de cette recherche sur le site de CGé, www.changement-egalite.be, [E qwè les mecs, oufti les filles ! (but du travail) sur les inégalités entre filles et garçons à l’école (= objet du travail) tout en travaillant la démarche de recherches en sciences sociales[3]En suivant pas à pas la démarche de QUIVY et Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherches en sciences sociales, Dunod 1995, démarche qui est aussi celle de la majorité des programmes de sciences … Continue reading (= objectifs du travail).
Et donc :

  1. Construire le questionnement : comment comprendre ce qui se passe dans la classe et comment comprendre les bricolages identitaires des ados filles et garçons ?
  2. Mener l’exploration : lire et partager articles, études, statistiques, ouvrages sur le sujet, découvrir avec étonnement l’ampleur du problème : la domination symbolique s’exprime quotidiennement dans les classes même (surtout ?) avec une professeure féminine, les garçons perdent leur temps, échouent et font perdre du temps aux autres, les filles continuent à opter pour des filières « modestes » et les garçons pour les filières « compétitives ».
  3. Définir une problématique et s’approprier un modèle d’analyse[4]Pour une explicitation et un développement de ce (s) modèle (s) d’analyse, voir l’article d’Alternatives Economiques déjà cité, ou Catherine MARRY, dans la revue Sciences … Continue reading produisant des hypothèses : les filles sont tout à la fois (et toutes diversement) dominées (attitudes et rôles traditionnels), calculatrices (s’adaptant de manière pragmatique à la réalité sociologique) et impliquées (émancipation et réalisation de soi dans un projet personnel) alors que les garçons restent majoritairement dans une domination malheureuse et soumise à un rôle traditionnel inadapté.
  4. Concevoir et mener l’enquête pour éprouver le modèle d’analyse :
    1. observation directe dans les classes avec guide d’observation et,
    2. interviews semi-directives de filles et de garçons avec guide d’interview.
  5. Analyser le matériau recueilli, rédiger et communiquer le rapport de recherches : la réalité dépasse parfois les hypothèses !

    Le point de départ de cette aventure, ce n’est pas l’intention prosélyte de l’enseignant, c’est la vie de la classe, c’est l’ouverture au monde de la classe et c’est ce pour quoi on est là, apprendre et dans ce cas apprendre à mener soi-même une démarche de recherches en sciences sociales pour pouvoir la mener plus tard avec ses élèves, c’est apprendre son métier d’enseignant en sciences humaines. Et pour cela, il n’y a résolument et définitivement qu’une seule manière de faire : on cherche ensemble…

    … et donc on se (trans)forme…

    Cette façon de travailler en formation est guidée par plusieurs partis pris sociopédagogiques qu’on pourrait considérer comme des principes didactiques d’une didactique d’éducation à la citoyenneté et à la démocratie par les sciences humaines[5]Et à cet égard, on ne peut réellement parler de formation démocratique à l’école en l’absence totale de sciences humaines (sociologie, économie politique, psychologie … Continue reading.

    Premier parti pris, c’est en faisant soi-même qu’on apprend le mieux (mais pas tout seul, ni en sous-groupe sauvage, et pas n’importe comment !). C’est en faisant des sciences sociales, qu’on apprend les sciences sociales. La réalisation de cette recherche, arriver au but du travail, exige la réalisation des apprentissages comme objectifs du travail. À savoir dans ce cas : les objectifs du programme de sciences sociales dont des compétences transversales. Les objectifs d’apprentissage restent les premières préoccupations de l’enseignant et des étudiants.

    Deuxième parti pris, on part du réel et non pas des notions à apprendre (celles de socialisation et d’identité, par exemple) ni des principes moraux à inculquer (ici, l’égalité des sexes), et on s’interroge (ici, sur ce qui se passe dans les classes entre filles et garçons). On part des faits à comprendre et on tente d’expliquer par les notions, et on ne part pas de la théorie. On ne part non plus des valeurs démocratiques, des nouveaux catéchismes à inculquer ! On part du réel et des questions qu’on se pose sur lui. Cette attitude ouverte et interrogative, d’abord pour comprendre et agir ensuite, est impérative. Les convictions aussi légitimes soient-elles qu’on assène et qui jugent ne permettront jamais d’éduquer à la démocratie. Ce n’est pas de la neutralité, il y a un terrible engagement dans la (re)mise en questions.

    Troisième parti pris, les meilleures sciences sociales à faire en formation (mais cela est généralisable à la majorité des apprentissages) se font sur du vécu réel (= objet du travail), vécu par les protagonistes eux-mêmes, et avec des enjeux réels : c’est pour du vrai. Les étudiants vivant des interactions entre filles et garçons dans la classe du même ordre que celles étudiées sont aussi de futurs enseignants ayant déjà réalisé des stages d’enseignement et allant développer des pratiques d’enseignement dont les enjeux sont liés à la recherche : on travaille donc sur un matériau qui est chaud, qui ne permet aucune neutralité mais qui exige une distanciation, une objectivation pour rendre par la suite plus autonome un engagement plus délibéré. L’apprentissage est justifié par la pratique et justifie de nouvelles pratiques.

    Quatrième parti pris, les meilleures sciences sociales à faire en formation débouchent sur une action, suppose une finalité, une utilité sociale (= but du travail). On n’étudie pas pour étudier, on étudie pour en faire quelque chose qui est nécessairement de l’ordre de la communication, de la socialisation. On n’apprend pas pour le professeur, ni pour l’évaluation, ni pour les points, on apprend parce que cela nous sera utile à nous, et à d’autres. L’exigence de qualité vient de la sanction sociale comprise dans cette socialisation.

    La démarche, celle d’une didactique de la citoyenneté par les sciences humaines, exige donc la présence et la distinction entre :
    – les objectifs du travail : les apprentissages disciplinaires et transversaux toujours premiers dans les préoccupations ;
    – le(s) but(s) du travail : une forme concrète de communication et d’action sur le milieu environnant ;
    – l’objet du travail, un morceau du monde réel vécu, avec sa complexité, ses conflits, ses inégalités ;
    – et la finalité du travail, en creux, les valeurs démocratiques.

    On cherche ensemble et donc on se (trans)forme…

    … en agissant sur le monde !

    Agir sur le monde, mais pour en faire quoi ? On n’échappe pas à la question des valeurs (ici l’égalité filles/garçons), même si ce n’est ni l’objectif, ni le but du travail. Dans ce projet, personne n’a milité en faveur de l’égalité des autres, mais on a été attentifs aux rapports de travail entre nous. Les filles n’ont pas été systématiquement secrétaires et les garçons présidents de séance, la tournante et les responsabilités ont été organisées et discutées. Et le but du travail, l’action choisie (un CD avec un diapo PowerPoint envoyé aux enseignants des écoles normales et aux centres PMS) n’est pas spécialement prosélyte, c’est la communication de notre questionnement, des résultats de notre recherche, c’est la volonté de considérer chacun comme sujet de son histoire personnelle et collective. Les valeurs démocratiques comme finalité du travail sont à rechercher entre pratique et éthique, entre les pratiques de travail, les valeurs vécues ensemble à travers le projet et l’éthique, celle d’une responsabilité personnelle, une responsabilité outillée par l’information et la formation.

    Il n’y a pas que les sciences sociales dans le supérieur pédagogique. À chaque enseignant, dans chaque discipline, de refaire l’analyse de son programme pour voir quels objectifs d’apprentissages en termes de compétences[6]C’est terriblement pratique les compétences, ça permet de justifier la plupart des projets qu’on souhaite mener. il peut développer avec cet objet de travail (filles/garçons à l’école) et pour quel but de travail. Exemples : « Dans notre école secondaire, y a-t-il aussi des inégalités de réussite et d’orientation entre filles et garçons ? » Voici une petite recherche strictement descriptive qui pourrait mener à l’élaboration de panneaux à usage interne ou pour les réunions de parents pour les choix d’orientations ou à un rapport adressé au Conseil de Participation avec interpellation, ou… Et en français, à partir de « Girls » ou « J. & J. », de « Foot magazine » et de tas d’autres extraits, plus et moins sérieux, un atelier d’écritures sur « être fille, être garçon aujourd’hui » avec le but de faire un éventail de textes à publier (rendre public), et/ou des panneaux thématiques à afficher et/ou une campagne « publicitaire » pour interpeller les un(e) s et les autres, ou… Et l’organisation de deux forums non mixtes avec comme but d’écrire une longue lettre à l’autre sexe : « Nous les filles (les garçons), on demande aux garçons (aux filles)… ».

    N’en déplaise aux députés européens, ce n’est pas en communiant sur l’horreur des camps nazis qu’on devient citoyen responsable, c’est en travaillant à l’école ! Et en travaillant à l’école avec des objectifs d’apprentissage exigeants, un but de travail mobilisateur et un objet de travail réel, chaud, vécu. Et en agissant sur soi, sur et avec les autres et sur son environnement direct (l’école) et en sachant que « l’école » ne veut pas et donc nécessairement en entrant en résistance (de genre, dans ce cas).

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 En faisant crédit à la pureté de leurs intentions déclarées !
2 Rapport final et complet de cette recherche sur le site de CGé, www.changement-egalite.be, [E qwè les mecs, oufti les filles !
3 En suivant pas à pas la démarche de QUIVY et Van CAMPENHOUDT, Manuel de recherches en sciences sociales, Dunod 1995, démarche qui est aussi celle de la majorité des programmes de sciences humaines.
4 Pour une explicitation et un développement de ce (s) modèle (s) d’analyse, voir l’article d’Alternatives Economiques déjà cité, ou Catherine MARRY, dans la revue Sciences Humaines n°146, février 2004
5 Et à cet égard, on ne peut réellement parler de formation démocratique à l’école en l’absence totale de sciences humaines (sociologie, économie politique, psychologie sociale,…).
6 C’est terriblement pratique les compétences, ça permet de justifier la plupart des projets qu’on souhaite mener.