Les tripes et la peau

« Au secours ! Y’a Moureaux qui m’a répondu ! Aidez-moi, Monsieur !! » Il est mardi 10 h du matin, et Carlos est censé être en classe, alors qu’il m’envoie son SMS ambulancier. C’est que, dans notre projet de faire un journal autour de Laurent Louis [1]Pour rappel, le principal intéressé continue à ne pas répondre à l’élève chargé de le contacter… /le système/l’antisystème (biffez mentions inutiles), on est entré dans la phase des rencontres.

Au conseil, il s’était proposé pour contacter l’ancien bourgmestre de Molenbeek.
Perplexité des uns (il ne répondra pas), mais conviction de l’une ou l’autre pour maintenir la demande. Nous avons ainsi contacté deux politiques (en plus de l’ancien bourgmestre, Zoé Genot, seule à nous avoir répondu à une première invitation pour préparer les élections qui s’annonçaient), et un franc-maçon. Progressivement, les réponses tombent, presque toutes positives. On essaie de les rencontrer à chaque fois sur leur lieu de travail, hormis le franc- maçon, qui viendra à l’école dans une confidentialité relative. Les discussions sont enregistrées, pour faire l’objet d’une réécoute et d’une synthèse ultérieure par un sous-groupe.

Les sorties offrent aussi lieu à des temps « gratuits » si précieux pour le travail « utile » de l’école. On parlera longtemps d’une séance de chocolats chauds un vendredi après-midi, dans un petit café, dans l’attente d’un rendez-vous au Parlement fédéral. Ils étaient quasiment tous là, alors qu’ils étaient censés être en congé.

À chacun son cacao

Au-delà de la reconnaissance d’être reçu comme interlocuteurs par des personnalités reconnues et porteuses d’un parcours et d’une réflexion forte opère aussi le fait que leurs propos ne sont pas « pédagogiquement » réduits à un prêchiprêcha politiquement correct. Personne n’est là pour savoir à la place de personne, on plonge à bras le corps dans le cambouis de la complexité, des contradictions, des questions aux réponses difficiles ou multiples.

Nos interlocuteurs sont d’ailleurs sensiblement différents lorsqu’il s’agit d’évoquer Laurent Louis : du « C’est un salopard ! » argumenté de l’un, au « Il a soulevé quelques bonnes questions, mais il a aussi pris des positions qui sont pour moi inacceptables. » de l’autre. On revient encore sur des discours de L.L qui vont dans tous les sens (YouTube peut être une réserve d’archives politiques redoutable). Et on discute encore de ce qu’est le système et ce que signifie le combattre.

« On plonge à bras le corps dans le cambouis de la complexité. »

Ce qui fait mouche aussi, c’est la franchise des discussions, au-delà des effets de manche médiatiques. Le moment où Zoé Genot admet avoir connu plus de défaites que de victoires, nommant concrètement les unes et les autres, et veut pourtant conserver sa détermination politique, étonne et touche. Ou la perplexité, quand le franc-maçon tranchera : « Évidemment qu’il y a un système ! Mais pas forcément celui auquel vous pensez… »

Même Pas De Morale

Il n’y a donc pas de morale de l’histoire à la clé, et chacun est libre de se faire son opinion avec le matériel collecté. Ou de laisser macérer… Les réactions des élèves sont très diverses ; « Je ne suis pas d’accord avec MOUREAUX, mais quand il parle de L.L., je crois qu’il a raison. », dira l’un ; « Vous prétendez, vous aussi, combattre le système, mais avec la vie de parlementaires que vous avez, ne pensez-vous pas que vous en faites aussi partie ? », interpelleront d’autres. La rencontre avec notre interlocuteur franc-maçon soulève évidemment bien des interrogations : « Mais si c’est secret, comment peut-il venir nous parler à visage découvert ?? » « Du coup, peut-il nous dire la vérité ? »

Dans le même temps, nous commençons à laisser à leur disposition, des livres sur le sionisme, les riches, la franc-maçonnerie, histoire d’inviter à prolonger la discussion, et de faire pont aussi avec les stages en maisons de retraite qui s’annoncent. Les livres s’empruntent, reviennent, repartent. Pas de fiche de lecture à la clé.

De L’avance, Mais Pas De Recul

Ce sera surement un des points à questionner dans le travail réalisé
avec cette classe : la faiblesse du travail de systématisation. Nous accumulons des rencontres, du matériel, mais prenons peu de temps pour rassembler et mettre de l’ordre. En partie faute de temps (stages, absences) ; en partie, parce que les centres d’intérêt des uns et des autres, regroupés autour de la bannière système/antisystème, restent sensiblement différents et qu’il est difficile de rassembler des axes très épars. Au risque que si on s’enfonce dans un sens déterminé, on risque de fragiliser un assemblage encore fragile. Peur aussi de prendre le temps, de crainte qu’un moteur à peine démarré recale ? Ou… ? « Faute de temps, encore », la classe travaillera, le plus souvent en sous-groupes en fonction de la sous-thématique choisie, sur base des documents sélectionnés par les seuls enseignants (en fonction de la pertinence quant à la problématique et de la lisibilité), articles, chapitres de livres, BD, documentaires. Pas le temps non plus de constituer des corpus réellement contradictoires, car il est temps de produire si nous voulons aboutir à notre journal. On travaille avec des portables, chaque groupe avec une clé USB contenant l’enregistrement des rencontres, les documentaires, les articles éventuels nécessaires. Avec de petits bifurcateurs à casques, ils peuvent écouter et noter à deux.

« Faute de temps, toujours », nous ne pourrons pas mettre en place le dispositif prévu de relectures croisées, qui aurait invité à expliciter, développer, tenir compte d’autres avis. En cours de production, les seuls relecteurs seront ici encore les seuls enseignants ; les élèves pourront s’appuyer sur une grille d’évaluation critériée elle aussi imposée… À suivre…

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Pour rappel, le principal intéressé continue à ne pas répondre à l’élève chargé de le contacter…