Lettre à la ministre de l’enseignement obligatoire concernant les pratiques d’exclusion scolaire définitive et de non-réinscription

Madame la Ministre,

Je me permets de me tourner vers vous, afin de vous faire part des problématiques que nous avons rencontrées avec la Ville de Bruxelles, en matière d’exclusion et de non-réinscription.

En effet, ces derniers mois, nous avons été sollicités par de nombreux parents dont les enfants se sont heurtés à des mesures d’exclusion qui, bien souvent, ont pris la forme de refus de réinscription.

La non-réinscription – les personnes averties le savent – est à considérer en Droit comme une exclusion. À ce titre, elle ne peut être prononcée que dans les formes et pour les raisons prévues explicitement dans le décret « Missions ». Force est de constater que le vocable « non-réinscription » crée de l’ambigüité. Certains parents ne comprennent pas qu’en réalité leur enfant va être exclu définitivement de l’établissement qu’il fréquente. Nous plaidons pour que cette ambigüité soit levée, de sorte que les parents (ou les jeunes s’ils sont majeurs) soient mieux à même de faire respecter leurs droits. Ceci nous parait d’autant plus important que le nombre d’exclusions qui prennent la forme de non-réinscription est en nette augmentation.

Ce problème d’ordre général se double du fait que le règlement des études des établissements scolaires de la Ville de Bruxelles prévoit en son article 8.4 qu’« Une procédure de non-réinscription est instruite pour tous les élèves qui comptent un échec en comportement. Cette procédure peut aboutir à un refus de réinscription pour l’année scolaire qui suit, voire à une réinscription moyennant la signature d’un contrat de comportement. »

Cette disposition du règlement des études contrevient clairement au prescrit du Décret « Missions ». Comme nous l’avons précisé ci-avant, en Droit, une non-réinscription équivaut à une exclusion. Des faits graves sont donc nécessaires pour justifier celle-ci. Une accumulation de faits mineurs (bavardages, manque de ponctualité, etc.) ne saurait justifier une exclusion.

Nous devons malheureusement constater qu’au mépris de la loi, de nombreuses exclusions sont prononcées pour des raisons mineures, et comme vous le savez, les conséquences d’une exclusion définitive sont lourdes, celles-ci peuvent engendrer : démotivation, échec scolaire, décrochage ou abandon.

Tant au plan pédagogique qu’en Droit, il importe que la sanction prononcée à l’égard d’un élève soit strictement proportionnée au fait incriminé. Faute de quoi, l’élève et sa famille risquent de ressentir un fort sentiment d’injustice, qui marquera de manière indélébile leur rapport à l’école.
De surcroit, il convient de relever le fait que subordonner la réinscription à la signature d’un contrat de comportement n’est pas légal. Vous trouverez en annexe un exemplaire des contrats de comportements « proposés » par les écoles de la Ville de Bruxelles. Ceux-ci sont éloquents, et accréditent l’idée que le jeune est en sursis et aura toujours à répondre de fait passés. À ce titre, ils ne constituent en rien un moyen de rétablir une relation de confiance entre l’école et les familles. Que du contraire : ils hypothèquent d’emblée l’avenir.

Nous n’avons eu de cesse de rappeler ces réalités aux autorités de la Ville de Bruxelles, notamment par des courriers adressés à l’échevine de l’enseignement, Madame Fouzia Hariche. À ce jour, nos requêtes sont restées sans réponse. Nous vous demandons donc d’intervenir afin que les pratiques et règlements de ces écoles de la Ville se conforment à l’esprit et à la lettre du décret « Mission. »
Nous souhaitons également attirer votre attention sur les modalités de recours devant le Collège de la Ville de Bruxelles.

En effet, plusieurs familles nous ont demandé de les assister dans cette démarche visant à obtenir la réinscription de leurs enfants mineurs. Tant les parents que les jeunes (âgés de 13 ans), ainsi que les professionnels du monde associatif, se sont émus de la façon peu amène dont ils ont été reçu. Nous avons rédigé un rapport circonstancié de ces auditions que nous tenons à votre entière disposition. Des contacts ont été pris avec le Délégué Général aux Droits de l’Enfant qui a accepté de relayer auprès de la Ville nos propositions d’aménagement de cette procédure. Sans succès à ce stade.

Voici pour l’essentiel les propositions qui émanent du monde associatif et qui pourraient redessiner la procédure devant la Ville :

1/Être reçu dans un lieu moins solennel et plus propice à un échange équilibré. Pas de strapontin, avoir la possibilité de voir ses interlocuteurs, et que toutes les parties se présentent et explicitent à quels titres elles interviennent ;

2/Garantir un climat de sérénité et d’équité, qui permet aux requérants et à leurs conseils de développer leurs arguments et leur vision de la question traitée.

Dans ce contexte, il conviendrait notamment :
– De recevoir au préalable le règlement relatif au déroulé de la procédure
– De disposer d’une heure de rendez-vous individualisé
– Que les parents puissent faire le choix de la présence ou non de leur enfant lors de la procédure (dans le cas des mineurs) ;
– De connaitre le temps imparti à l’argumentaire de la défense ;
– Que le recours écrit déposé constitue le cadre à partir duquel les questions sont posées à l’audition ;
– De disposer au préalable des conclusions de la partie adverse, celle-ci ayant déjà eu à connaitre l’essentiel de nos arguments par le biais du courrier portant demande de recours ;
– D’établir un PV d’audition soumis à toutes les parties présentes, et signé par celles-ci (ces modalités sont celles qui sont déjà de mise lors de l’audition à l’école) ;
– Que le dossier remis aux parents et/ou jeune (majeur) comporte une page de garde reprenant toutes les pièces versées au dossier.

Il ne nous échappe pas qu’il revient à la Ville de se pencher sur ces propositions, mais il nous semblait important de vous en tenir au courant en tant que Ministre en charge de l’enseignement.

Les difficultés rencontrées lors de ces auditions plaident en faveur d’un système harmonisé.

Pour rappel, la déclaration de politique gouvernementale de juillet 2014 prévoit de manière explicite une homogénéisation des procédures de recours qui devraient, à l’avenir, se dérouler devant un tiers, à savoir la Fédération Wallonie Bruxelles.

Par ailleurs, nos indications recoupent en tous points celles qui furent détaillées dans la brochure éditée en Fédération Wallonie-Bruxelles : « Exclusion scolaire définitive. Principes directeurs et recommandations »

Nous pensons vraiment que pareille évolution est nécessaire pour que soient mieux respectés les droits de la défense, et que, partant, l’instance qui a à statuer sur le litige ne soit plus juge et partie.

Chantal Massaer,

Pour la coordination du Collectif Marguerite

Noms des institutions signataires :
– CGé (ChanGements pour l’égalité)
– CSC Bruxelles
– Ligue des Droits de l’Enfant
– Samarcande AMO
– Itinéraires AMO
– Le Seuil asbl
– Coordination des Écoles de Devoirs de Bruxelles
– SIMA sable
– Atouts jeunes AMO
– Infor Jeunes Laeken