L’illettrisme Osons en parler est né, en 2003, dans un groupe apprenants d’origine francophone en formation à l’asbl Lire et Écrire Verviers.
Quand ils parlent de leur association, ils disent Osons en parler, parce que le mot illettrisme leur fait tordre la langue, mais que l’on ne s’y trompe pas, c’est bien de cela qu’il s’agit. Le 22 mai 2018, ils ont créé leur asbl, une décision, une fierté, un défi. Se constituer en asbl pour montrer qu’on est capable, et pour que ça change.
« Préparer des actions pour faire sortir l’illettrisme de l’ombre. »
Parfaite : Osons en parler existe pour faire comprendre à ceux qui ne savent pas lire et écrire qu’il faut sortir de leur coquille. Nous voulons dire que c’est possible d’apprendre à tout âge.
Serafina : Il faut sortir de chez soi. Dans la vie, c’est toujours difficile d’aller dans les bureaux quand on n’ose pas dire qu’on ne sait pas lire ni écrire. Alors quand on ose le dire, on ne reste plus enfermé chez soi.
Yves : Nous considérons aujourd’hui que nous ne savons pas encore lire et écrire comme on voudrait. Mais malgré tout, on peut faire des choses, du théâtre par exemple1.
Monique : On a besoin d’Osons en parler. Moi, j’en ai besoin pour oser dire quand je n’ai pas compris. Ça m’aide pour m’ouvrir aux autres, pour oser parler. Je coince encore, mais j’ai pris confiance en moi. C’est la première fois que j’ai des amis qui sont dans le même cas que moi. Mais je ne viens pas là pour juste avoir des amis. Je veux continuer d’apprendre, de progresser dans ma vie. Actuellement, je suis en formation à Lire et Écrire. Je parle de notre association, et parfois quelqu’un a envie de nous rejoindre.
Parfaite : Mon but à moi avec notre groupe, c’est d’aider les enfants de Doutou, mon village au Bénin. Une association, ça peut faire des actions. Avec Osons en parler, on a déjà permis à cent-cinquante enfants d’aller à l’école. L’école là-bas coute cher, surtout les fournitures. Avec Osons en parler, nous avons envoyé trois cartons de matériel scolaire. Maintenant qu’on est une asbl, je prie Dieu pour que ça continue.
Je voudrais aussi passer le message en Belgique, pour dire que c’est une chance d’aller à l’école gratuitement, même si ça coute un peu. Dans mon pays, on n’a pas la chance de pouvoir aller à l’école, parce que les parents sont trop pauvres, ils doivent utiliser l’argent pour manger. Ici, il y a quand même cette chance. Mais en Belgique, les enfants des pauvres ne savent pas aller à l’école jusqu’au bout, comme aller à l’université par exemple. Dans mes amis, il y a quelques enfants qui ont pu aller à l’université, mais pas beaucoup. Et ce n’est pas juste.
Monique : Mon but dans cette association, c’est de faire changer les choses dans l’école, parce que ça ne va pas, on écarte trop vite les enfants en difficulté. Et quand on n’a pas appris la base, c’est la catastrophe après.
Yves : Je suis entré à l’asbl Lire et Écrire en 2007, grâce au Forem si on peut dire. C’est ma référente qui m’a dit d’aller là, sinon je perdais mes droits de chômage.
Je suis allé moi-même, mais pousser la porte a été difficile. Avec la formation, j’ai pris confiance en moi.
C’est là que j’ai rencontré le groupe Osons en parler. J’ai participé à une réunion, et j’ai entendu des choses qui m’intéressaient beaucoup. On préparait des actions pour faire sortir l’illettrisme de l’ombre, on projetait d’aller voir ailleurs comment ça se passe. J’ai participé à beaucoup d’actions de sensibilisation avec Lire et Écrire, et c’était important pour moi de continuer cet engagement. Notre association, c’est une suite à ce que j’ai commencé avec Lire et Écrire.
Mon objectif, c’est de convaincre des personnes en difficulté d’écriture d’aller apprendre. Quand j’entends qu’il y a encore 10 % de personnes en difficulté, ça me touche.
Maintenant, je suis pensionné, je n’ai plus ce stress avec le Forem, je suis libre et je peux me consacrer à notre association. Je considère qu’elle est mon travail.
Je suis président, et c’est une grosse responsabilité. Je me sens responsable de ceux que j’accompagne, du courrier administratif pour l’association, et je fais attention à ce que les choses tournent bien.
Nous avons un partenariat important avec La Chaine des savoirs, un réseau de personnes en situation d’illettrisme en France. Nous sommes environ septante, répartis en petits groupes entre Marseille et Verviers. Un groupe suisse va nous rejoindre. Nous devenons internationaux, c’est bien. Il faut qu’on soit plus fort. En octobre, je vais représenter l’association à Genève. Je vais parler au nom du groupe, témoigner de notre expérience et de notre action.
Jusque-là, on est toujours partis à deux. Mais, ici, les moyens manquent. Je vais devoir me débrouiller, c’est un vrai défi pour moi.
Serafina : C’est en participant à un atelier d’écriture à Verviers que j’ai rencontré Yves. Il m’a parlé du projet Osons en parler. J’ai compris qu’on pouvait se soutenir.
Mon but, c’est vraiment d’arriver à changer les choses dans les formations, dans les associations. Il n’y a pas de communication entre les organismes, par exemple les syndicats, les associations de formation d’adultes et les institutions. À Verviers, je connais Lire et Écrire, le CRVI, l’Égalité des chances, Le MOC, Les Équipes populaires, et d’autres encore. Mais il n’y a pas vraiment de contact. On pourrait se parler, savoir ce que font les autres. Il manque des relations, parce que si on a juste l’information, ce n’est pas assez pour avancer.
Il était très important pour moi qu’on devienne une asbl. Jusque-là, on était association de fait, c’est-à-dire un groupe de personnes, mais sans avoir la possibilité de demander des subsides. Et on en a besoin, parce que ça donne des moyens, de la reconnaissance, de l’autonomie. Maintenant, les autres associations de Verviers nous connaissent, les gens voient qu’on est subsidié comme eux, ils nous voient agir et on peut faire des partenariats.
Dans l’association, je suis comptable. J’ai suivi une formation en 2019 avec un subside de l’asbl Vivre Ensemble. Je classe nos tickets de dépenses dans un livre de comptes, et les fais correspondre avec les extraits de banque. J’écris aussi nos recettes en dons ou subsides. Avec Pascale, on met tout ça dans un tableau Excel. Par rapport à l’argent, on décide toujours ensemble ce qu’on fait. On remplit des appels à projets, et on imagine ce qu’on veut faire. On veut montrer qu’on est capable de faire une association nous-mêmes, de s’entraider, et d’en aider d’autres qui ont des difficultés comme nous. Et on y arrive.
Depuis que je m’investis dans cette association, beaucoup de choses ont changé dans ma vie. Le plus gros changement, c’est la confiance en moi.
Je parle de manière plus posée, plus calme, et ma relation aux autres est plus tranquille.
Jacqueline : J’ai commencé ma formation à Lire et Écrire en 2019, parce que j’ai été veuve. Donc je devais me débrouiller pour tout. L’écriture, c’est difficile. Avant c’était mon mari qui écrivait tout. Je connaissais un peu Lire et Écrire parce que j’y étais allée, il y a des années. Et puis, j’ai oublié mon écriture, j’ai dû recommencer à apprendre.
Dans mon groupe, il y a Monique qui fait partie de notre association. C’est elle qui m’a dit de venir à une réunion.
J’ai voulu voir avant de m’engager. On a parlé de l’école, des choses difficiles, et on préparait une action pour aller à Herve, ça m’a fort intéressée.
En décembre 2019, j’ai participé à la rencontre de La Chaine des savoirs en France. Ils avaient un projet de minibiographies pour faire comprendre l’illettrisme. J’ai lu les histoires des autres. Tout le monde a écrit un premier chapitre sur l’école.
Dans ce que j’ai lu, je retrouve beaucoup de mon histoire. Donc ça m’intéresse beaucoup La Chaine des savoirs. Depuis l’an dernier, nous sommes deux avec Yves à représenter notre association dans cette organisation.
À l’automne 2021, nous on est allé soutenir une action des copains dans le Morvan, une belle région en France. Il n’y a pas beaucoup de villes. Ce sont surtout des patelins, des lacs et des forêts. On a rencontré des députés. J’ai compris que là-bas, quand on est vieux, on ne peut plus apprendre à lire et écrire, et que c’est vraiment difficile pour avoir les droits de chômage. Ça m’a bouleversée. On a posé des questions à ces gros légumes, et j’ai osé poser la mienne.
Je crois qu’on a été écouté, mais j’ai quand même l’impression que ça ne va pas changer grand-chose. Souvent, je me sens en dehors des discussions, même entre nous parfois. Alors les choses politiques… Mais, notre association me fait du bien.
Il manque la voix de Francis. Voici ce qu’il a écrit dans la conclusion de sa minibiographie :
« En Belgique, je sens qu’on est soutenu. Et je suis triste quand je vois qu’en France et ailleurs peut-être, on met des bâtons dans les roues aux formateurs, qu’on oublie les apprenants.
Quand on peut apprendre, on peut ouvrir la porte du bonheur. Ça rend heureux d’apprendre parce qu’on se sent capable de quelque chose. Et quand on se sent capable, on se sent devenir quelqu’un qui compte pour les autres, alors on sort de l’ombre. »