Impliquer, en fin d’année, tous les élèves de première, dans la réalisation de films en stop motion qui concourront pour un festival maison, avec récompenses et tapis rouge à la clé, cela vous dit ? Récit des deux enseignants responsables du projet.
Sortir la vie de l’école et de son découpage du temps en matières, pour aller vers le transdisciplinaire, le travail de groupe, la créativité, l’autonomie et la responsabilisation. Ce projet vise aussi à rassembler les cent élèves de première, dans l’agora, à l’occasion d’un évènement festif de fin d’année, après l’évaluation des compétences.
C’est la deuxième année que ce projet est réalisé. Tout au début, nous avions envisagé de faire réaliser un film aux élèves, mais c’était un objet trop connu. Nous avons donc préféré les mettre dans les contraintes du stop motion, à savoir, une technique d’animation consistant à assembler des photos d’objets que l’on déplace progressivement, de manière à créer une illusion de mouvement. Cette technique, nos élèves ne la connaissent pas, ou peu. De plus, elle requiert beaucoup de minutie et d’ingéniosité. Enfin, cela permet d’être exigeants malgré la liberté laissée aux élèves.
Concrètement, nous avons divisé le projet en deux étapes : d’une part, l’écriture d’un storyboard, de l’autre, le tournage et le montage du film. Tout cela s’est déroulé sur une dizaine de jours. En termes de calendrier, il s’agissait, au bout de trois jours, de rendre un storyboard complet. Et cela sous la forme d’un dossier comprenant tout ce qu’ils comptaient mettre dans le film : les différentes scènes, le décor, le matériel utilisé (plasticine, etc.), les mouvements des personnages, le rôle de chacun dans le groupe, les éléments de dialogues éventuels. Du jour trois au jour sept : tournage, et du jour sept au jour neuf : montage.
« Cela permet d’être exigeants malgré la liberté laissée aux élèves. »
Les films ont été tournés en 24 images par seconde. C’est une contrainte très difficile à respecter, car cela donne 1 440 photos pour une minute de film : c’est énorme ! Concrètement, on bouge d’un millimètre le bras d’un personnage et on prend une photo, puis il faut déplacer le bras d’un nouveau millimètre et refaire une photo, et ainsi de suite. Nous avons donc limité la durée des films à trois minutes. Autre contrainte : toutes les prises devaient se faire sur une table.
En outre, il a fallu prévoir du temps pour les erreurs des élèves. Et les occasions étaient nombreuses : mouvements donnés aux personnages trop amples, lumière du soleil qui change, explications insuffisantes aux membres de l’équipe, plantages techniques du téléphone…
Le premier jour, nous avons organisé un accueil de tous les élèves en agora. Nous y avons expliqué ce qu’est le stop motion, avec un historique et des démonstrations à la clé. On a aussi visionné des tutoriels pour montrer comment faire, projeté les stop motions de l’année dernière accompagnés de critiques constructives. L’objectif, c’était de montrer toutes les potentialités sans nécessairement recourir à des jouets sophistiqués : trois boules de plasticine peuvent faire une magnifique sirène ! L’important, c’est le récit, l’humour, le punch et la prise de plan.
Après ce temps commun, les élèves ont été répartis en équipes de quatre, des équipes constituées avec soin par les titulaires. Durant les trois premiers jours, il s’est agi d’élaborer en équipe le scénario du film, à l’aide du schéma narratif étudié en classe. Puis, c’était le début du tournage, les élèves étaient pleins d’énergie, car ils pouvaient enfin utiliser leur téléphone ! La première matinée se passa bien, mais très vite, ils se sont rendu compte que le travail allait être long et laborieux. Il fallait être très minutieux pour, par exemple, ne pas renverser le décor qu’ils venaient d’installer !
La partie que nous avons un peu moins bien gérée est celle du montage. Une fois qu’ils ont eu leurs photos, il a fallu les assembler, ajouter du texte, des effets, de la musique, des voix off ou des sons. Ça leur a pris deux fameuses matinées. Nous étions deux enseignants à passer dans les groupes dans les cinq classes, pour faire le topo avec chacun, relancer et valoriser leur travail, et encourager leur désir de bien faire.
L’avantage pour cette étape, c’est que nos élèves sont très dégourdis avec leur téléphone. Pour soutenir la dynamique, nous avons utilisé des applications que nous savions qu’ils utilisaient déjà — par exemple, sur TikTok. Nous leur avons montré qu’ils pouvaient aller bien plus loin avec ces outils. À partir d’un certain moment, pendant que deux de l’équipe continuaient le tournage, un autre commençait déjà le montage d’une scène, et le dernier s’occupait du rangement du matériel. Cependant, l’organisation de cette étape sera à revoir l’année prochaine, parce qu’à certains moments, il n’y avait pas toujours du boulot pour tout le monde.
Le travail s’est globalement bien passé, même si, à la fin des deux semaines, il y avait une tension qui n’a pas toujours été facile à gérer. Mais, cela aussi a été intéressant à leur faire entendre : quand il y a une production commune, il est normal qu’il y ait des temps d’énervement, et cela aussi, il faut apprendre à le vivre tous ensemble. En fin de parcours, toutes les équipes ont réalisé leur film — une seule n’a pas participé au concours : l’élève responsable de l’envoi a oublié de le faire.
Le jour de la cérémonie, tous les films ont été montrés, à l’agora, devant tout le monde et en présence d’un jury, composé de membres de l’équipe éducative. Son rôle était de décerner différents prix : meilleur décor, meilleure fluidité, meilleure réalisation, meilleur thème, etc. La projection a eu lieu le matin et le jury a délibéré durant le temps de midi.
L’après-midi a démarré avec la proclamation, l’occasion de revoir les films lauréats. Les petits plats furent mis dans les grands, avec tapis rouge, micro, musique d’accueil et phrase rituelle : « Et la Palme est décernée à.. ! » Les équipes lauréates sont montées, une à une, sur scène pour recevoir leur prix et prendre la parole, tandis que l’équipe lauréate de l’année dernière a dit un petit mot à tous les participants. Tous étaient très émus !
La Palme d’or fut décernée à un film montrant un skateur, monté avec une très belle fluidité et intégrant des références très drôles à l’école, au cambriolage qui eut lieu durant l’année, aux sempiternels cheveux du directeur, etc. Ça a fait rire tout le monde. C’était très fort, alors que ça n’avait rien couté en matériel !
Enfin, il y eut un temps de parole collectif, où chacun pouvait répondre librement à la consigne : « Voilà ce que je retiens de ce travail. » Celui qui voulait prendre la parole se levait — parfois deux se levaient en même temps. C’était alors à chacun de savoir s’il voulait prendre la parole ou s’il la cédait à l’autre. C’était très intéressant. Il y a eu une grande écoute. C’est le seul moment méta de ce travail, outre les débriefings quotidiens organisés dans chaque classe en cours de projet. Si cela a bien fonctionné, c’est parce que cette autonomie des équipes ne s’est pas improvisée en fin d’année, mais qu’elle est le fruit du travail réalisé durant toute l’année scolaire.
Lors de ce temps de parole, la dimension compétitive du projet a été interrogée par les élèves, soulignant que nous étions dans une école qui mettait en avant la coopération. Nous leur avons répondu que durant tout le travail, il n’y avait pas eu de compétition, mais bien de la collaboration, par exemple pour le matériel (prêt de peintures, de jouets, de pâte Fimo, fabrication artisanale et collaborative de pieds de GSM, etc.). Et que la compétition avait amené chacun à donner le meilleur de lui-même.
Le travail a été très gratifiant, mais en bout de course, nous, nous étions complètement cuits ! Mais, toujours avec l’envie d’organiser une troisième édition… avec quelques améliorations cependant. D’une part, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait trop peu de consignes pour encadrer les grandes marges d’autonomie données. Par exemple, il y a eu beaucoup de films dont on ne comprenait pas bien l’histoire. Le fil rouge n’était pas respecté, ça partait dans tous les sens malgré la qualité technique indéniable. Pour l’année prochaine, lorsqu’on entamera l’écriture du récit à l’aide du schéma narratif, on précisera par exemple un timing plus serré : pour chaque étape du schéma (équilibre initial, etc.) proposer une durée précise du film.
Un autre point à améliorer est la définition du rôle des enseignants qui ont accompagné ponctuellement le projet en encadrant une classe pendant une demi-journée. Parce que c’était la fin de l’année, qu’ils avaient beaucoup de travail à faire par ailleurs et qu’ils n’avaient pas pu participer à la conception du projet, beaucoup n’ont pas pu s’impliquer. Or, les élèves avaient besoin de sentir l’engagement de l’ensemble de l’équipe éducative ! Il faudrait donc que l’année prochaine cela devienne trois vraies semaines coconstruites avec l’ensemble des membres de l’équipe.
Enfin, nous devrons soigner l’apprentissage de l’art de séquencer une tâche complexe en différentes étapes : quelque chose qui leur sera bien utile dans leur vie ultérieure ! Malgré tout, cela reste une belle réussite avec un beau moment de cohésion, impliquant tout le monde, de la tête aux tripes.