L’Orient à portée de main

«Arrête de bourriner! Si tu bourrines, tu galères!» Maxime, prof de technologie, prend la scie des mains d’Ayoub et lui montre le mouvement : régulier, tout en douceur. Il lui rend l’outil. Il vérifie la position de la main sur la scie, si l’épaule accompagne le mouvement et si l’angle formé par le coude est correct.

Après avoir découvert le kamishibaï[1]Petit théâtre japonais, lire le premier épisode dans TRACeS de ChanGements n° 248. , nous sommes dans la phase de construction.
Les neuf élèves de 1re et de 2e différenciées sont sur le territoire de Maxime : l’atelier. Ils sont répartis par trois autour d’un établi. Ils se sont partagé les tâches.

Max explique qu’ils se sont mis d’accord sur un langage commun pour se comprendre et les élèves à tour de rôle me font découvrir leur nouveau lexique. Les volets, le rabat. Chaque pièce a un une face, un bout, un champ. Ils me parlent de scie à dos, de râpe, de presse, de lime, de cale… Je n’en reviens pas. J’ai l’impression qu’à mon cours de français, c’est la croix et la galère pour acquérir du vocabulaire plus soutenu. Ici, chaque mot est visualisé et prend sens. Pourtant, Max ne lésine pas : «Tu dois lisser la face avec le papier de verre. Attention, il faut suivre le sens du bois. N’oubliez les arêtes, il faut réduire les aspérités. C’est les yeux fermés que je vais voir si vous avez bien fait le boulot.»

Les élèves sont au travail, ils sont concentrés, le sérieux se lit sur leur visage.

Adopter les gestes

Ricardo appelle le prof : «C’est bon comme ça?» Je vois Max sourire. Je m’étonne de voir le gamin avec un marteau à la main alors qu’il doit scier une pièce… Sankisha m’explique très sérieusement : «C’est normal, Thérèse, c’est pour bien mettre la cale, elle doit être juste parallèle à la ligne tracée.»

Max est toujours près de Ricardo qui ne voit pas ce qu’il n’a pas bien fait. Je constate que la presse est dans le chemin de la lame, c’est impossible de scier la pièce. «Essaie et tu vas tout de suite voir ce qui cloche.» Le visage du gamin s’éclaire d’un large sourire et il rectifie son montage.

La semaine précédente, au cours de math, ils ont tracé les gabarits sur du papier pour pouvoir reproduire les pièces sur les morceaux de bois.

Mon collègue Yannick : «Ce n’est pas bon, Ayoub, tu as deux millimètres de trop à cet endroit.»

«C’est bon, Yannick! C’est quoi deux millimètres, c’est rien, je recommence pas!»

«Va voir Maxime à l’atelier (c’est le local juste en face), on en reparle après.»

Lorsqu’il revient, Ayoub est prêt à se remettre au travail. Il a pu constater qu’avec deux millimètres en trop, les rabats se superposeront, le castelet ne saura pas se refermer. La nécessité d’être précis prend ici aussi tout son sens.

Je vois Youssef fermer les yeux, comme Maxime, et passer son doigt sur la face, les bouts et les arêtes de sa pièce. Maxime la prend à son tour : «Tu pourrais encore atténuer les coups à cet endroit.»

Une des filles demande si elle peut commencer à scier et si Maxime peut faire le premier trait pour que ce soit plus facile. La pièce est trop près du bord, elle scierait l’établi si elle ne modifiait pas la position.

«Bien Amine, super geste, super mouvement!»

«Attention, Sankisha, regarde ma lime est perpendiculaire à cette face-ci, tu dois rester bien droite.»

Pendant ce temps, je vois Giulia qui passe son doigt avec délicatesse, en fermant les yeux, pour estimer le ponçage de sa pièce.

«Attention jamais une pièce en métal ne peut en toucher une autre!»

Les petits panneaux de la partie avant du castelet sont pratiquement tous achevés, les élèves veulent entamer la suite. Mon collègue revient au modèle. «Y a un trou, Maxime!!!» «Ah oui… et par où tu penses glisser les feuilles de dessin si on le referme?»

«Dis-moi Youssef, de mémoire, quelle est la longueur de cette face? C’est celle qu’on a divisée en deux sur le rabat.» Je me dis que le gamin n’en sait rien, mais il sait très bien de quoi on lui parle et répond correctement.

Ce va-et-vient entre le kamishibaï et les pièces à fabriquer me fascine. Ces élèves qui ne savent pas se concentrer en classe sont actifs et restent à leur établi et au travail. Je vois Youssef aller chercher le balai spontanément et se mettre à ramasser la sciure. Un autre aller suspendre les outils dont il n’a plus besoin.

J’ai vécu un moment hors du temps. La personnalité de Maxime y est sans doute pour beaucoup, je le vois accompagner en douceur, avec humour. Il a anticipé les difficultés, pensé les étapes, proposé des techniques. Je découvre toute une pédagogie en lien avec le cours de technologie, des gestes, des conseils ergonomiques…

Approfondir le sens

À la fin de l’atelier, avec Maxime, les élèves ont listé tous les mots nouveaux de la matinée.

Avec moi, en classe, ils ont noté dans leur carnet des apprentissages ce qu’ils pensaient de l’avancement du projet «kamishibaï» :

Vous avez mis la barre haut avec ce projet, mais on va y arriver.

J’ai envie de faire encore plus, de construire.

Peut-être qu’on aura fini la semaine prochaine. Maxime met beaucoup d’ambiance dans les équipes, ça nous motive.

C’est différent des autres modules de cours. Ça donne trop envie de continuer sur cette route et d’apprendre plein de choses. Ça va être beau, les autres vont kiffer.

Ça me donne envie d’aller plus loin.

J’ai aimé construire des choses pour du vrai.

J’ai bien aimé travailler dans l’atelier, j’ai envie de faire encore des choses avec Max.

C’est dommage que j’aie été absente, mais ce n’est pas grave, je le ferai la semaine prochaine. C’est cool, car on apprend en s’amusant.

J’ai plein d’idées pour faire les planches de dessin!

Ce dernier élève se projette déjà dans un autre temps, il appartiendra à Sebastian, le professeur d’éducation artistique. La semaine prochaine, il faudra terminer le castelet, réaliser les illustrations, s’entrainer à raconter pour la classe d’à côté puis pour toute l’école. Et cerise sur le gâteau, nous allons rencontrer l’auteur de l’album dans lequel nous avons puisé les histoires à illustrer.

Je suis contente, je ne me suis pas trompée, les élèves ont accroché au projet, ils en sont fiers. Certains en parlent lorsqu’ils sont en groupes de référence (classes verticales). Pour ces jeunes en grande difficulté scolaire, tous ces apprentissages font sens. Et, en plus, ça fait kiffer les autres, alors là…!

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Petit théâtre japonais, lire le premier épisode dans TRACeS de ChanGements n° 248.