Pas si simple de se débarrasser du manuel et du programme. Comment je me suis lancée, comment j’ai hésité, douté… pour retrouver du plaisir d’enseigner le néerlandais.
Le programme en langues modernes, c’est toujours un peu le casse-tête pour les enseignants. Il est à la fois d’une simplicité déconcertante — une douzaine de thèmes qui sont traités en apprentissages spiralaires durant l’ensemble des secondaires — et particulièrement désespérante pour les élèves. Concrètement, cela donne l’impression de revoir toujours la même chose, en approfondissant évidemment, et en poussant les prouesses grammaticales… Mais, souvent, avec le sentiment des élèves de ne toujours pas y arriver. Ajoutons à cela l’envie des profs de pouvoir apporter de la diversité dans leurs cours. Alors, adieu les manuels de cours cadenassés qui nous donnent le sentiment de toujours pousser le même rocher sur la tristement célèbre pente ?
Depuis une petite dizaine d’années, je donne les cours d’anglais et de néerlandais dans une école artistique à Bruxelles. Le public y est très bigarré, mais ce qui fait la différence avec d’autres écoles, c’est qu’une bonne partie des élèves sont là par choix pour l’option. En 2018, pour la première fois, je travaille avec une classe de 5e techniques de transition qui rassemble des étudiants en théâtre et en arts plastiques. Je leur donnerai les deux cours de langue, ce qui veut dire que je passerai six heures par semaine avec eux.
Une question s’impose d’entrée de jeu : je sélectionne un manuel ou je crée mon cours ? Deux élèves dans la classe n’ont jamais eu de néerlandais, du coup, le manuel aurait quelque chose de rassurant. D’un autre côté, le cours d’anglais que je donne depuis des années est construit tout à fait différemment — articles de presse, points de grammaire, musique, impros… — et cette manière de travailler me convient et semble plaire aux élèves. Choisir, c’est renoncer, donc je décide de faire les deux, un manuel en soutien, et comme que je bénéficie d’une double casquette avec un diplôme en journalisme et un en philo germanique, je décide d’axer une partie du cours sur l’actualité.
Pour la compétence savoir parler, je propose un temps de parole libre en langue cible pour ceux qui se sentent prêts à le faire et en français pour les autres. Je leur annonce que toutes les deux semaines, on fera de l’impro. Et que, régulièrement, on jouera à des jeux de société, histoire de dédramatiser l’usage de la langue à apprendre. Et le programme, dans tout ça ? Je travaille à l’envers : plutôt que de prendre les thématiques en fil rouge, on les abordera à travers divers sujets. Un pari nécessaire, car si les élèves sont là par choix, nombre d’entre eux ont en commun un rejet d’une institution scolaire qui les a, au mieux, malmenés.
Ça, c’était ce que je prévoyais. Et puis, il y a eu la réalité. Très vite, le manuel est passé à la trappe : quelques élèves appréciaient son côté scolaire, mais d’autres le trouvaient rébarbatif. Il sera remplacé par la découverte du néerlandais à Bruxelles. Une visite au Kaaitheater [1]Salle de spectacle dédiée au théâtre et à la dance, située le long du canal. nous permet de découvrir la scène et ses coulisses, cela donnera lieu à un très beau travail d’impro, en classe, à partir de sujets proposés par les élèves. Les seules contraintes : la langue, la durée et le lieu. L’occasion aussi de passer quelques heures de cours à leur apprendre comment réaliser des flashcards [2]Ces cartes avec, par exemple, un mot en français d’un côté, et sa traduction de l’autre, ou une définition, sont très efficaces pour tout type d’apprentissage : le fait d’ajouter une … Continue reading pour apprendre le vocabulaire nécessaire aux impros. Plus tard dans l’année, répondant à une proposition lancée par Het huis van het Nederlands, nous partirons à la découverte des institutions culturelles flamandes à Bruxelles, à travers un jeu de piste et des défis.
Face à l’hétérogénéité des niveaux, les pratiques de différenciation s’imposent. C’est, pour moi, difficile à mettre en place. Je décide donc d’appliquer l’option qui me semble la plus facile : le travail en sous-groupes. Est-ce vraiment de la différenciation ? Peut-être pas, mais les élèves, comme moi, apprécient ce dispositif. Les groupes se forment, et régulièrement, les élèves partagent leurs connaissances pour travailler sur des projets communs ou non. Lors d’exercice d’écriture libre avec des photos de presse, je leur propose de se relire mutuellement. Ça ne fonctionnera pas. Ils écrivent des textes, mais se tournent vers moi plutôt que vers leurs pairs, pour les vérifications. Je persiste : la grammaire, ils doivent se l’expliquer entre eux. Je leur demande de faire un livre de grammaire qu’ils pourront utiliser lors des exercices d’écriture et des évaluations. Un outil indispensable puisque leur travail de fin d’année sera d’écrire une lettre.
La principale difficulté du travail de groupe ? La mise au travail, justement. Et sans structure solide, avec un prof qui a tendance à se laisser entrainer par le flux, c’est chronophage. Mais quel gain en fin de compte !
Le travail sur les questions d’actualité sera omniprésent tout au long de l’année, avec Karrewiet, un journal télévisé pour enfants, l’utilisation régulière d’articles du Morgen et du journal Kits. Évidemment, dans une classe où près de la moitié des élèves participent aux marches pour le climat, les questions d’actualité, c’est impliquant. Pour les évaluations de fin d’année, je leur propose de travailler sur les questions climatiques ou de se pencher sur l’éveil de l’extrême droite en Flandre, vu les résultats des élections du 26 mai. C’est le deuxième sujet qui l’emportera : l’écoute, la lecture et l’oral porteront sur les élections. Pour la partie écrite, ils ont le choix aussi. À la suite d’une visite au musée de l’Afrique récemment rouvert (visite organisée en collaboration avec la prof d’histoire de l’art), toute une réflexion sur la période coloniale a été menée, je leur propose trois consignes : écrire une lettre d’excuses au peuple congolais pour le projet Sorry is een begin (« S’excuser est un début »), mener une réflexion sur la nécessité ou non de présenter des excuses, ou donner son avis sur la rénovation du musée. Un écrit à réaliser en classe, à l’aide de leur grammaire.
Les résultats sont plutôt bons, mais impossible de passer à côté des questions qui s’imposent : ont-ils appris quelque chose ? Est-ce que je suis parvenue à leur donner les outils qui leur permettront d’avancer et de construire un savoir pour la suite ? Est-ce que le projet n’est pas trop ambitieux ?
Une chose est sûre, j’ai pris plaisir à donner ce cours, et pour une fois, j’ai retiré autant de satisfaction de mon travail en néerlandais qu’en anglais. En 2019, on remet ça. Je vais refaire une tentative avec un manuel, mais cette fois je leur laisse choisir les chapitres qu’ils veulent travailler. Je garderai les axes principaux liés à la culture et l’actualité, mais je vais tenter d’établir un meilleur équilibre, de mieux respecter les temps de travail.
Il y a Tom Lanoye qui interviendra aux Midis de la poésie, j’en profiterai bien pour leur parler de Paul Snoeck et faire de la poésie expérimentale en classe. D’autant qu’un élève vient de nous confier qu’il fait du slam durant son temps libre.
Notes de bas de page
↑1 | Salle de spectacle dédiée au théâtre et à la dance, située le long du canal. |
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↑2 | Ces cartes avec, par exemple, un mot en français d’un côté, et sa traduction de l’autre, ou une définition, sont très efficaces pour tout type d’apprentissage : le fait d’ajouter une manipulation à la mémorisation inscrit plus durablement les apprentissages. |