Ma part du plaisir

Dans la classe avec laquelle je travaille,
la plupart des enfants se lancent souvent
rapidement et avec curiosité dans les différentes
activités, recherches, lectures. Plaisir !
Mais pour certains apprendre est difficile.
Déplaisir !

Martin, Elizabeth, Pierre
et Zoé évoluent dans
mon groupe classe.
Apprendre les matières
imposées par le cadre
scolaire n’est pas facile pour eux, et ce
pour des raisons bien différentes : parce
que rester assis cinq minutes est quasi
impossible pour Martin, parce qu’Elizabeth a peur de se
tromper, parce que Pierre est tracassé par ce qu’il vit hors
de l’école, parce que Zoé voudrait ne rien faire, rien du
tout d’autre que ce qu’elle veut, tout de suite, maintenant.

Ainsi, il y a quelques jours, je proposais au groupe
une lecture, pas facile certes, mais humoristique, avec
des petits jeux de mots. En choisissant le texte, je me
suis fait plaisir : j’imaginais les voir sourire en découvrant
les sens cachés. Mais voilà, à la découverte des
mots, des jeux de langage, quatre enfants ne semblaient
partager aucun plaisir. Plus, ils étaient mal à l’aise au
sein de la classe qui s’était plongée dans l’histoire. Pour
Martin, le texte était trop long, Elizabeth ne le comprenait
pas, Pierre était inquiet, Zoé n’en avait rien à faire.

IMPASSE DU PLAISIR

À les voir ainsi, distants de ce qui se passe, j’ai cherché
à les rassurer, à les conduire jusqu’au sens en les
guidant vers les moments amusants, en leur demandant
de dessiner les personnages loufoques du récit. Mais
ils continuaient de s’échapper du moment de lecture…
Après le temps de découverte individuelle, dans les
temps de confrontation en sous-groupe et de partage
collectif, je les ai laissés à leur absence et ai travaillé
avec les autres enfants. Dans ces moments, je me sens
souvent démunie, je doute, je cherche aussi. Il y avait
là une question de places : la place de ces enfants à ce
moment au sein du groupe, la place de la lecture dans
leurs apprentissages, la place des objectifs de la leçon
face à des enfants qui n’y entraient pas, la place de la
différenciation, la place du plaisir…

Quotidiennement, je cherche à créer davantage de
dispositifs à travers lesquels les enfants pourraient apprendre
à partir de ce qui leur fait sens. Pour cela, les
désirs et questions des enfants ne manquent pas. Ils sont
curieux, savent une multitude de choses, apportent des
objets d’expérience et d’apprentissage. Leurs apports
sont une source de plaisirs partagés… Ceci dit, leurs
intérêts ne rejoignent pas toujours ce que nous prévoyons
à leur place. Les injonctions liées aux objectifs
programmés et dictées par l’école sont également nombreuses.
Les inscrire dans un temps précis à un rythme
défini me procure du déplaisir. J’aimerais pouvoir les
oublier, travailler autrement… Pourtant, je voyage ainsi entre les intérêts des enfants, les attentes
de l’institution. J’essaie de les faire se
rencontrer et de rester le plus possible
cohérente. Et tout compte fait, je me demande
assez peu quelle est ma place dans
ce plaisir d’apprendre, le leur, le mien.
La place de chacun, de l’apprenant et de
l’enseignant dans le plaisir d’apprendre.

PLACE DES AJUSTEMENTS

Au quotidien, les enfants sont au centre de mon
questionnement : leurs intérêts, mais aussi ce qui, en
classe, les sécurisera, ce qui les placera en situation de
défi et de recherche, ce qui leur permettra de s’approprier
l’un ou l’autre savoir… Ainsi, Elizabeth et Pierre
ont besoin d’être rassurés, de savoir qu’ils peuvent essayer
et se tromper, que leur travail sera une étape dans
un processus qu’ils construisent loin des jugements qui
sanctionnent. Ils ont besoin du soutien de l’adulte, de
pouvoir reposer plusieurs fois une même question avant
de se lancer, que ce soit seul ou en groupe, même dans
un travail qu’ils choisissent. À l’inverse, Zoé a besoin
d’un objectif défini et imposé, mais réalisable en toute
indépendance, rapidement évalué. Quant à Martin, il a
besoin de pouvoir se déplacer, bouger…

Prendre en compte les individualités est essentiel.
Pourtant, dans le lieu complexe et changeant qu’est la
classe, il n’y a pas seulement le sens que l’enfant trouve
dans les apprentissages, ses démarches personnelles
ou le plaisir des manipulations. J’oublie souvent que
si l’apprentissage est propre à l’apprenant, il n’en reste
pas moins vrai qu’en tant qu’enseignante, ma présence,
mon plaisir, mes connaissances, ma personnalité et mes
choix pédagogiques y jouent un rôle. Parce que, si un
enfant n’est pas l’autre, qu’un moment n’est pas l’autre,
un enseignant non plus n’est pas l’autre. Alors que puisje
offrir que l’apprenant n’a pas et qui l’accompagne
dans ses apprentissages… et qui soit source de plaisir ?

Je savais déjà que permettre à l’autre de construire,
de créer, c’est quitter la situation confortable du contrôle
et de la mainmise de l’enseignant sur les apprentissages.
Je n’ai que des petits éléments de réponse concernant
chaque enfant, dont Elizabeth, Pierre, Zoé et Martin.
J’ai conscience de ce que je ne parviendrai pas, chaque
fois, à leur apporter ce dont ils auront besoin. Par
contre, j’aimerais faire plus attention à ma place dans
leur plaisir d’apprendre. Je parviens petit à petit à dégager
ce qui me semble essentiel : j’aimerais qu’il réside
dans le choix de permettre à chacun de trouver sa juste
place, j’aimerais pouvoir être davantage cohérente avec
mes engagements pédagogiques et à parvenir à plus de
lâcher-prise… Tout cela avec plaisir.