Madame, je peux lire ?

Entre le bavardage et les textes trop longs, trop courts, pas attirants, et les questions en amont de la préparation, travailler l’oralisation de récits en classe relève parfois du défi. Cette fois-ci, c’est Arwa qui donne le la ! «,»Dans cette classe de 3e générale, il y a une vingtaine d’élèves et d’origines culturelles diverses : roumains, polonais, pakistanais, brésiliens. Il y a un équilibre entre filles et garçons. Dans leur horaire, ils ont cinq heures de français avec un collègue. Il est dans une séquence sur l’autobiographie. Je leur donne cinq heures de renforcement.
On y approfondit le cours principal, je peux tester de nouvelles choses. Durant cette séquence, on révise la conjugaison. Je cherche comment donner du sens et faire un lien avec le cours de mon collègue.

Observer le texte

Nous sommes en décembre. Nous revoyons les temps simples et les temps composés de l’indicatif. Je choisis de proposer de nouveaux extraits de textes. Désirant élargir le thème de la séquence, j’apporte aux élèves des textes d’auteurs qui ont quitté leur pays d’origine ou pour qui le français n’est pas la langue maternelle.
Pendant le cours, les élèves ont d’un côté le dossier conjugaison et de l’autre un extrait photocopié de Fleur du désert de Waris Dirie. J’apporte le livre en classe. Je le présente et on observe la quatrième de couverture. J’ai préparé quelques repères biographiques sur l’auteur.
Les élèves reçoivent les deux premières pages du livre. Je les lis à voix haute. Je leur demande de reformuler le passage. Ils confrontent leurs compréhensions de l’histoire, puis les personnages.
Ils relèvent l’originalité de la situation. En effet, ce n’est pas habituel, la narratrice se trouve face à un lion.
À partir de leurs questions, nous plongeons dans le décor en évoquant les temps utilisés dans le texte. Quelle est l’utilité du passé composé ? Pourquoi l’action évoquée semble si vivante ?
Ensuite, nous observons et analysons les phrases. Je leur demande de souligner dans des couleurs différentes les verbes aux temps simples de l’indicatif puis ceux aux temps composés. Quand c’est fait, on les épluche : quel est l’infinitif ? Quelle est la personne ? Quel est le temps ? Imparfait ? Passé composé ? On fait un rappel.
Un élève relève un auxiliaire, mais il ne voit pas le participe passé au bout de la ligne. Il pense que c’est du présent. Je demande de vérifier en regardant si l’auxi-liaire est accompagné d’un participe passé dans la phrase ? Il trouve.
Ils font des liens avec les règles vues au cours de mon collègue, ils associent les justifications pour l’emploi de tel ou tel temps. « Est-ce pour une description, une habitude, une action courte ? » C’est dynamique, c’est vivant. Ils sont motivés. Plus on répète les questions de drill, plus les réponses fusent. La sonnerie retentit. C’est déjà la fin de l’heure.

Laisser la place

Au cours suivant, je me prépare à lire à voix haute quand Arwa, une élève du fond de la classe m’arrête. C’est une élève motivée contestataire et impliquée au cours. Ses notes sont moyennes. Elle pointe les incohérences, les dysfonctionnements lors des cours. Elle lance : « Madame, je peux lire ? » Une autre la rejoint : « Moi aussi ! Je peux lire la suite ? » Je les regarde un peu surprise. Ça m’interpelle. J’aime leur lire l’histoire, je n’avais pas prévu de les écouter. Ces élèves ont saisi quelque chose auquel je n’avais pas réfléchi… Elles aussi, elles veulent donner leurs voix au texte, elles aussi elles veulent raconter l’histoire ! Leurs demandes m’entrainent vers une nouvelle piste, pas encore très claire pour moi. Je cède ma place.
Par la suite, j’apporte des extraits un peu plus longs. Je souhaite laisser l’occasion aux volontaires, maintenant filles et garçons, de lire. Je les écoute. Mais leurs visages expriment une déception, ils semblent contrariés. Une élève, l’air triste, demande : « Madame, comment on fait pour bien lire ? Pour lire comme vous ! »
Je ne sais pas ? Je n’ai pas préparé ça. Que puis-je répondre pour les encourager, là, maintenant ? Je finis par me reprendre : « Il n’y a pas de secret, c’est surtout de l’entrainement. Il faut penser à l’articulation, la prononciation… Il faut… aimer les mots, les décoder, les comprendre pour plonger dans l’histoire et la partager. »
À la fin de ces découvertes de lecture croisées avec les temps de conjugaison, les élèves ont eu une interro de repérage et d’analyse sur les temps simples et composés dans un nouvel extrait non travaillé en classe. En fin de test, je récupère les feuilles, une élève vient me trouver. Elle sourit et me confie avec joie qu’elle a acheté plusieurs livres à la FNAC dont un qu’elle a découvert, ici, au cours. Je trouve ça inouï. C’est la première fois que j’ai un retour joyeux comme celui-là.

Lire en cercles

Dans ce groupe, il y a de bons lecteurs. Ils représentent un tiers de la classe environ. Le reste est plus faible. Comme il y avait un intérêt chez certains élèves, j’ai choisi de poursuivre avec une courte séquence sur la lecture à voix haute. Ça a permis d’introduire le roman qui allait suivre : Faire le mort de Stefan Casta. Un texte narratif qui traite de la violence au sein d’un groupe d’adolescents.
Je me suis demandé comment donner confiance aux élèves plus faibles face au groupe. J’ai cherché.
Les élèves ont commencé par travailler les paramètres de l’oralité : l’intonation, l’articulation, le volume, le regard. Ça les a fait beaucoup rire, ils ont reçu des virelangues à répéter. Ils ont lu des phrases en variant les émotions. Enfin, j’ai attribué un extrait du livre à chacun. Ils savaient que ce serait à présenter pour la fin de la séquence.
Entretemps, en sous-groupe, ils ont travaillé sur les différents chapitres. Pour chaque date, toute la classe devait lire un certain nombre de chapitres. C’était des chapitres courts. Je leur avais donné un guide de questions que j’avais réalisé. Ils devaient y répondre.
Quand ils arrivaient en classe, ils partageaient leurs réponses en groupe. Pour ça, je me suis inspirée du modèle de cercle de lecture[1]J. Giasson, Les textes littéraires, De Boeck. Chaque élève choisissait une tâche à réaliser dans le groupe. Dans chacun d’eux, il y avait un responsable du vocabulaire, un maitre des liens, un illustrateur, un animateur de la discussion. Puis, durant l’heure, ils débattaient, confrontaient, discutaient sur les évènements importants de l’histoire, le texte, les liens avec la vie réelle, les lieux.
J’avais essayé de faire les groupes en veillant à mélanger les élèves faibles et avancés. Certains ont demandé un changement pour travailler selon leurs affinités. J’ai accepté. Ce qui comptait, c’était qu’ils soient acteurs de leur lecture. Ils se réunissaient pour travailler sur le texte et je leur demandais de varier et de noter à chaque séance les rôles qu’ils prenaient et un maximum d’informations partagées.
Quand je me mettais en retrait pour les regarder faire, je me disais que si le proviseur passait, il ne comprendrait pas : la disposition des bancs, le bavardage, les rires, les échanges. C’était quelque chose d’expérimental, mais qui semblait prendre toute la concentration des élèves. Je les imaginais déjà futurs citoyens, osant donner leur avis et réfléchir aux sens des mots, malgré les imperfections et l’accent de certains qui les gênait en début d’année. Je passais entre les bancs en m’arrêtant dans chaque groupe. Ils discutaient sur l’histoire et les mots.

Lire pour être entendu

Au mois de janvier, chaque élève a lu un extrait du livre par personne avec nuance et émotions. Il y a eu une lecture individuelle pour s’entrainer avec un retour de ma part. Puis, le moment est venu de lire devant la classe.
C’était un moment spécial. Je me souviens d’Ana, une lectrice plutôt faible, mais une bonne élève, qui lisait fort en saccade en général. Au départ, elle était rebutée par l’exercice. Pendant l’évaluation, elle a impressionné la classe et elle-même aussi… À la fin de l’exercice, elle dégageait une lumière. Je me souviens du silence après. Elle avait travaillé et toute la classe l’a ressenti, c’était agréable de l’écouter !
Chacun a osé, chacun a fait le travail. Il y a eu des retours sur les effets des voix sur le groupe. C’est un élément peu évoqué en général. Des voix vivantes, des voix douces, des voix énergiques, des petites voix, des voix rapides, des voix lentes.
Après ça, ils ont continué le travail sur la lecture du livre. Il y a eu une évaluation écrite.
Durant ce travail, les élèves ont développé leur motivation autour du roman. Ils ont réfléchi autour du même livre. Je crois qu’ils ont aimé essayer les différents rôles de lecteur durant le travail. J’ai trouvé important de faire une place à la voix. Ça a ajouté de la vie au texte et permis à plusieurs d’entrer dans l’histoire par une autre porte.

2022-09-28 11:22:47

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 J. Giasson, Les textes littéraires, De Boeck