Mains courantes

Construire ensemble une éthique des relations.

«On ne peut jamais forcer quelqu’un d’autre à jouer à ce dont il n’a pas envie». Principe fondamental à dire, redire, répéter, rappeler quand on voit des enfants jouer et que leur sécurité a l’air compromise. Un enfant qui joue doit toujours se garder une porte de sortie si le jeu tourne mal. Si deux enfants se battent ou se taquinent, toujours vérifier auprès d’eux si c’est un jeu et si les règles sont comprises de la même façon par les deux belligérants et, si ce n’est pas le cas, repréciser les règles avec les deux partenaires.

Dans la cour, il est difficile pour un surveillant de voir si les acteurs d’un jeu sont conscients et volontaires. Il faut donc constamment vérifier si on a l’impression d’un danger. Toujours intervenir et vérifier. Les adultes surveillants doivent être visibles et accessibles. Donc circuler. L’idéal serait un gyrophare sur la tête!

Privé, public

Quand un enfant se caresse devant les autres, quand deux enfants s’embrassent sur la bouche, leur rappeler: «Ce que tu fais est trop intime pour nous le partager, ton sexe est du domaine privé, ne nous regarde pas.». La cour de récréation et l’école sont des lieux publics et il y a des gestes intimes qui n’y ont pas leur place. Le plaisir (ou la colère) ne sont pas interdits, mais leur expression n’est pas libre. Rappeler aux grands enfants qu’une relation intime doit se faire en toute sécurité et qu’il faut d’abord s’assurer de ne pas être dérangé, que cela doit se passer dans l’intimité donc pas dans une école ou pendant une activité scolaire. L’école ne peut assumer la responsabilité d’une initiation sexuelle, c’est du domaine privé et familial. Par contre, l’école doit provoquer des lieux de parole sécurisants, organisés, réguliers, animés où la prise de parole se passe en toute sécurité et, là, en public.

Il n’est pas interdit de parler de sexe, mais il faut se garder de provoquer (en les initiant) des discussions à propos du sexe. Je pense qu’il faut répondre à toutes les questions et prendre le risque d’une réponse maladroite plutôt que de se taire. Les silences sont comme des boomerangs, des bombes à retardement. Tout comme il faut oser répondre à propos de la mort, de la naissance, du plaisir, de la jalousie et de la souffrance. La vie quotidienne regorge de situations suffisamment problématiques et il n’est pas nécessaire de les provoquer artificiellement. Les adultes doivent entre eux confronter les réponses qu’ils donnent à ces interpellations fondamentales et construire ainsi un éventail de réponses qui permettent de ne pas se noyer dans les spirales inconscientes qui envahissent la relation pédagogique. «Laisser une place à l’inconscient pour qu’il ne prenne pas toute la place.»

Distribution, respect, séduction

Distribuer des biscuits, des autorisations, des attentions, des caresses symboliques sont des situations qui génèrent guerres et affrontements. Le meilleur moyen de détruire une classe est d’avoir une relation privilégiée avec un enfant. On l’assassine aux yeux de ses camarades, on détruit la confiance et la sécurité que les enfants sont en droit d’attendre de nous et on place la relation pédagogique dans une arène où tous les coups sont permis, le but étant de conquérir la place d’élu. La médiation par la discussion sur le «Comment va se passer la distribution?» et «Qui décide: le hasard ou une tournante? » permet de désamorcer les grenades que nous déposons en posant (bêtement?) des questions telles que: «Qui veut bien aller apporter ce papier au secrétariat?» (Cf. les excellents numéros 152 et 153 d’Échec à l’échec sur la pédagogie institutionnelle).

«Il faut séparer ces enfants et leur interdire de jouer ensemble, ils font de l’exploration et se déshabillent devant tout le monde. Mon enfant est influencé par son copain qui est pervers, c’est lui qui soulève les jupes des autres filles…» (message angoissé d’une maman avertie par une autre maman). Rappeler aux parents que si des enfants explorent leurs corps en public, c’est précisément qu’ils n’ont rien à cacher et qu’on ne peut dès lors pas parler de perversion mais leur signaler la nuance importante sur l’intimité que nous rappelons aux enfants qui manifestent publiquement leur sexualité.

«Un père est digne de respect s’il a su faire d’une femme l’objet de son désir.»(J. Lacan). Petite phrase énorme. On peut l’écrire en changeant les genres (Une mère…). La relation pédagogique est basée sur une acceptation (minimale) de l’autorité du professeur. Et ce prof est digne de respect d’abord s’il est reconnu comme être sexué, c’est-à-dire s’il reconnait lui-même qu’il est sexué et ensuite s’il a pu exprimer sa sexualité, son désir, AILLEURS que dans la classe. C’est simple. Toute tentative de séduction des élèves porte en elle la destruction de ce pour quoi élèves et professeur sont dans le même local. Et pourtant la séduction est permanente dans notre quotidien. Il est donc déontologiquement essentiel d’en parler hebdomadairement avec des collègues pour, d’une part, s’en extraire en la nommant et, d’autre part, envisager ce qu’on en fait. Rappelons que le combat et donc l’agression est une forme de séduction. La séduction n’est pas toujours suave!

Malaise

En entrant dans le local informatique, je provoque un éparpillement d’enfants (6e primaire). Ils étaient regroupés autour d’un ordinateur, en train d’assister à une séance de chat (prononcez tchat‘), particulièrement ordurière. Plusieurs personnes se cachant derrière des pseudonymes «dialoguent» ensemble en même temps. On ne connait pas ses interlocuteurs et on peut se faire passer pour quelqu’un d’autre (de plus vieux, généralement) et apprécier ces injures et intimidations sexuelles comme «Tu veux sucer ma grosse bitte…». Hilarant mais gênant quand un adulte entre dans le local et lit le «dialogue». Discussions. “Vous avez l’air embarrassés! Vous sentez donc quelque chose qui vous gêne“. Le droit ou pas de faire cela?

Le malaise est un bon signal. «Si vous êtes embêtés parce qu’un adulte rentre dans le local pendant que vous naviguez sur des sites pour adultes ou pendant une séance de chat, c’est un signe que ce que vous faites est privé et que vous feriez mieux de faire cela chez vous et de vous assurer de ne pas être dérangés.» Il faut donc éviter ces «explorations» à l’école non pas parce que ce n’est pas bien mais parce que ce n’est pas le lieu.