En formation initiale d’enseignants (AESI en
sciences humaines), dès le mois de septembre, les
étudiants des trois années sont embarqués dans
un projet d’ampleur, le projet collectif vertical.
Ambiance en quelques instantanés ordinaires…
Mardi 24 septembre
: c’est la deuxième
séance du
projet. Il y a trois
jours, les étudiants
ont rencontré les enseignants à qui
est destinée la production : une séquence
de cours d’étude du milieu
pour la 1ère année du secondaire. Mais
aujourd’hui, c’est la première séance
de travail en classe.
C’est le tout début de l’année : à
peine une grosse semaine que les 1res
ont débarqué dans notre système de
formation1. Il faut s’accrocher pour
comprendre ce qui se passe.
Bref, cette séance est consacrée
à la lecture du contrat, qui définit
les objectifs, les contraintes, les
ressources et certaines des responsabilités
du projet. Il nous faudra
négocier contraintes et ressources
ensemble, puis aussi distribuer les
responsabilités. C’est moi qui préside
la séance, mais ce sera la seule
fois du projet.
Certains des 1es s’aventurent à
prendre des responsabilités – certaines
importantes : Pierre-Yves sera
notre archiviste ; Antoine, notre documentaliste
; Vincenza, la responsable-
planning… Cela
me fait un peu peur ;
on avait pourtant bien
dit avec mes collègues
(profs responsables
dans d’autres groupes
de travail) qu’il était souhaitable que
ce soient des étudiants de 2e ou de
3e qui prennent ces responsabilités.
Je fais une remarque dans ce sens,
mais Aurélie (3e) et Audeline (2e) argumentent
que les 1res trouveront de
l’aide au sein du groupe pour mener
à bien leur responsabilité. OK donc :
on va fonctionner comme ça.
Autre moment clé dans la négociation
du contrat : les absences. Si
la présence est théoriquement obligatoire
aux cours, il y a toujours des
étudiants qui s’absentent, peu ou
prou, et rendent parfois difficile,
par leur non-présence ou par leur
irrégularité, le projet. Et puis, ces
étudiants, en étant absents, n’apprennent
pas. Le groupe doit donc
prévoir des règles pour gérer ces
absences. Parmi celles-ci, le groupe
fixe un nombre maximal d’heures
d’absences au-delà duquel l’étudiant
concerné est exclu du groupe
et doit mener, seul et en autonomie,
un travail similaire à celui réalisé par
le groupe. Cette discussion prend
du temps : combien d’heures ? Fautil
inclure ou exclure les absences
justifiées par un certificat médical ?
Oui… Non… Mais, si un étudiant
est malade pendant longtemps, il
n’apprend rien… La discussion est
mouvementée, menée et argumentée
par des étudiants de 2e /3e, manifestement
divisés entre ceux, plus
nombreux, qui envisagent une règle
stricte (8 heures d’absences max.) et
ceux qui défendent une option plus
souple (16 heures). C’est la règle
souple qui l’emportera au vote ; à ce
stade, les 1res ont quasi tous voté pour
la règle la moins sévère. Logique
sans doute : ils envisagent certainement
davantage ce que cette règle
a comme impacts sur leur liberté
individuelle, plus que sur le travail
du collectif et l’apprentissage.
Nous rentrons de voyage ; les 3es
sont absents, car en préparation de
stage. La semaine dernière, nous
l’avons passée à Bruxelles, à St-
Josse et dans le quartier européen.
Notre point d’intérêt, c’est la mobilité
: nous avons parcouru les quartiers
dans tous les sens, nous avons
rencontré de nombreux acteurs de
terrain. Il s’agit d’en faire quelque
chose. C’est Pierre-Yves (1e), qui
préside cette séance délicate de retour
de voyage.
Il va nous falloir dégager des
enjeux de notre semaine d’observation,
formuler une question de
recherche qui sera notre guide pour
toute la suite du projet, identifier
donc la problématique. Au début
de la séance, ça patauge… À la fin
de la séance, ça patauge… Même
si Florian, étudiant de 2e, aura eu
la bonne idée de faire réfléchir le
groupe sur ce qu’est une « bonne »
problématique, au bout des 2 heures
de travail, nous ne savons pas encore
où nous allons. Tout le monde
sent que les étudiants de 1res sont
largués et ils ne manqueront pas
de l’exprimer lors du « ça va/ça va
pas », moment de régulation en fin
de séance :
• « Je n’ai pas vraiment compris ce
qu’il se passait. » ;
• « J’ai l’impression qu’on met
beaucoup trop de temps à se
mettre d’accord. » ;
• « C’est lent. » ;
• « On parle trop. ».
Pour le lendemain, Vincent (encore
un étudiant de 2e) préparera une
présentation de la démarche globale
de notre travail : vers où nous allons,
quelles sont les différentes étapes
par lesquelles nous devons passer et
pourquoi. On en fera une affiche qui
sera toujours visible dans la classe.
L’initiative lui revient et elle sera
salutaire, dès le lendemain, pour le
groupe. Même si c’est difficile pour
les 1res, l’implication des étudiants
de 2e m’épate.
Le projet touche à sa fin : dans
trois jours, la production doit être
achevée ! Le travail en sous-groupes
est organisé : chaque sous-groupe
est en charge d’une partie de la production.
Chacun semble savoir où il
doit aller ; les étudiants de 1res sont
impliqués. Des moments de travail
collectif sont néanmoins prévus
pour piloter l’ensemble et prendre
des décisions en grand groupe.
15 minutes avant la fin de la
séance, on se rassemble pour le 36-
15. Damiano, l’étudiant de 1re qui
préside, gère cette institution.
Le 36-15, c’est quoi ? C’est un
temps optionnel de 15 minutes, destiné
à apporter une réponse à une
demande formulée par un groupe
de travail. Durant ces 15 minutes, le
président du jour gère les prises de
parole pour atteindre au mieux cet
objectif.
Première demande, le groupe
d’Aurélie qui travaille sur la fin de
la séquence appelle à l’aide : il leur
manque pas mal d’informations en
provenance des autres groupes pour
pouvoir avancer. Dans les autres
groupes, on s’engage à fournir ces
informations pour le soir même.
Des personnes sont désignées, qui
doivent envoyer les documents à
Aurélie.
Deuxième demande, le groupe
de Pablo est en manque de photographies
du quartier européen.
Damiano rappelle que la base de
données de photos est sur Facebook.
Pablo ira voir ce qu’il y trouve.
Ce temps 36-15, opérationnel depuis
trois semaines, fonctionne bien.
C’est Boris, un étudiant de 3e, qui a
proposé et institutionnalisé ce temps
au sein de notre groupe. Il aura luimême
rédigé un texte définissant
l’institution et sa mise en pratique :
« Après avoir vécu plusieurs PCV, je
me suis rendu compte qu’un moment
charnière du travail était la production
de documents en sous-groupes.
Important, mais également ardu, j’ai
constaté qu’il pouvait souvent représenter
un obstacle difficile à surmonter
et qu’il pouvait par conséquent
« Une question
qui me
taraude… »
handicaper l’avancée du groupe PCV,
avec toutes les conséquences que cela
implique (ralentissement du travail,
retard, tensions au sein du groupe).
Comme il est, pour de multiples
raisons, difficile de sortir de son sousgroupe
pour appeler à l’aide, j’ai proposé
la création de ce temps.
Mise en pratique : au début de
chaque temps de travail, un responsable
36-15 est désigné. Son rôle est le
suivant : 20 minutes avant la fin d’un
temps de travail en sous-groupes, il
circule dans chacun de ceux-ci pour
s’enquérir d’une difficulté potentielle
rencontrée par les autres étudiants.
Deux possibilités s’offrent alors à lui :
• Si aucun groupe ne rencontre de
difficulté, il prévient le président
de la situation et le travail se
poursuit comme prévu à l’ordre
du jour.
• Si un ou plusieurs groupes rencontrent
des difficultés, le responsable
en discute rapidement avec
eux, et leur demande de formuler
une demande. Cette demande est
relayée au président qui devra
alors activer le temps 36-15. »
Cela fait maintenant un bon mois
que s’est terminé le projet. Il est
temps pour moi d’envoyer la production
finale aux enseignants qui
ont accepté d’accompagner le travail
de notre groupe. Il s’agit simplement
de rendre le travail diffusable.
Je vais y consacrer la journée
et puis, hop, c’est parti…
Oui mais… à la relecture de la
production, je bute : consignes pas
claires, obstacles à franchir par les
élèves non anticipés, documents
inadaptés par rapport au résultat
attendu… Ça coince ! Panique ! Panique, notamment parce que
les apprentissages didactiques qui
sont supposés être travaillés dans le
projet semblent, au moins en partie,
manqués. Le vécu d’un tel projet est
riche. Les ambitions en sont complexes.
Cette richesse et cette complexité
m’apparaissent aussi, à ce
moment précis, comme des limites
dans la mesure où la production
finale est, malgré tout le travail accompli
et toutes les heures passées
sur le projet, insatisfaisante.
Alors, il y a une question qui me
taraude, une question qui est certes
un peu provocante et certes liée à ce
moment de panique du 30 janvier :
mais qu’a-t-on appris ?